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Interview

«Donner des contours à un monde en émergence»

Agriculture, économie locale, lutte contre la pauvreté : un atlas d’Isabelle Lefort et Alain Thuleau, préfacé par Jacques Attali, recense 1 000 initiatives citoyennes pour dessiner un monde plus juste et une économie moins inégalitaire.
par Catherine Calvet
publié le 20 décembre 2015 à 18h21

Besoin d'un bon shoot d'optimisme pour affronter une période quelque peu plombée par les attentats et la progression de l'extrême droite ? Alors, il faut absolument lire l'Atlas de la planète positive d'Isabelle Lefort et Alain Thuleau (éditions Les liens qui libèrent). Avec une préface de Jacques Attali, initiateur du mouvement de l'économie positive et président de Positive Planet. Une multitude d'initiatives y sont racontées, et à force d'aller dans le bon sens, elles sont un peu une façon de refaire le monde. Il y est question de citoyenneté, d'environnement, d'économie circulaire, d'éducation, de santé, de lutte contre la pauvreté. Ces programmes ne sont pas ceux d'institutions internationales mais de particuliers, d'associations ou d'entreprises, de collectivités locales. Un «Etat du monde» version positive. Une traduction en anglais est en préparation ainsi qu'une déclinaison en site. L'un des deux auteurs, la journaliste Isabelle Lefort, raconte l'aventure de cet atlas.

Si vous deviez retenir trois séquences décrites dans tout l’atlas, quelles seraient-elles ?

Celle que je trouve la plus ludique, et qui donne bien une idée de l’esprit de cet atlas, est Playpumps. L’initiative est née en Afrique du Sud. Comme sur le reste du continent, l’accès à l’eau potable est difficile. Playpumps a imaginé un tourniquet pour les enfants, à installer dans chaque village ou cour d’école. En s’amusant à le faire tourner, les enfants pompent de l’eau potable en profondeur. Ainsi, on n’envoie plus

les petites filles - le plus souvent - à plusieurs heures de marche pour aller chercher de l’eau. Cela diminue les risques de maladies liées à la consommation d’eau non potable, et augmente le temps passé à l’école. Certes, c’est un projet à très petite échelle mais très efficace. Cette initiative m’enchante, et elle n’est ni difficile ni coûteuse à mettre en place.

La deuxième expérience, qui me réjouit, est celle des Guerrilla Grafters. Il s’agit d’un collectif d’artistes de San Francisco, engagés dans la protection de l’environnement et adeptes de la permaculture. Ils ont décidé de faire revivre des vergers urbains. Ils greffent donc sauvagement (c’est considéré comme du vandalisme par la loi) des arbres fruitiers stériles avec des scions d’arbres fruitiers fertiles. Pour l’instant, seule une cinquantaine d’arbres donnent des fruits dans les quartiers les plus populaires de la ville mais l’expérience est en train de s’étendre à New York. Des cartes interactives permettent de localiser les lieux de cueillettes. C’est une manière de vivre la ville différemment et de se réemparer de son territoire.

Une dernière, et c’est très frustrant car les 1 000 histoires racontées dans l’atlas sont toutes intéressantes et surtout surprenantes : l’université des va-nu-pieds («Barefoot College»), un projet apparu en Inde, au Rajasthan, à l’initiative de Sanjit Bunker Roy. Cette université doit permettre de résoudre les problèmes quotidiens de paysans dans les régions les plus reculées : apprendre à avoir accès à l’eau potable et à l’électricité. Bunker Roy s’est inspiré de Gandhi, cette initiative vise donc aussi à une émancipation. Les élèves sont essentiellement des grands-mères analphabètes, les Solar Mamas, qui viennent apprendre d’abord à lire et à écrire, puis également à construire des panneaux solaires. De retour dans leur village, avec un minimum de matériel pour y démarrer l’équipement, elles diffusent ces savoirs autour d’elles. C’est plus de 1 160 villages de 67 pays différents qui sont ainsi électrifiés. J’ai rencontré des femmes birmanes qui étaient parties en Inde pour apprendre ces techniques. A leur retour, elles étaient considérées comme des héroïnes, non seulement elles rapportaient l’électricité mais elles étaient alphabétisées et avaient enfin accès à l’information.

Comment est venue l’idée de cet atlas ?

Comme toutes les bonnes idées, elle se conçoit à plusieurs. Je collabore à une revue We Demain, et Jacques Attali lançait son projet d'économie positive. Nous voulions promouvoir un «capitalisme patient», c'est-à-dire un capitalisme à long terme qui tienne compte de l'intérêt des générations futures, et non cette vision actuelle court-termiste de l'économie avec des bénéfices qui ne profitent qu'à une poignée d'individus. Nous nous sommes donc intéressés à toutes les initiatives qui ont un impact social et ou environnemental positif. Nous avons dans un premier temps créé le Positive Energy Forum au Havre (la quatrième édition a eu lieu en 2015). L'année dernière, nous avons publié une première édition du Positive Book où des participants du Forum énoncent réflexions et principes d'action. Une tentative de donner des contours à un monde en émergence. Il y a aussi une envie de fédérer toutes ces volontés positives. La conclusion de cette aventure est que toutes ces initiatives qui semblent parcellaires, comme des gouttes d'eau, sont partout présentes, sur tous les continents. C'est une véritable révolution positive par le bas.

Comment avez-vous sélectionné ces 1 000 initiatives recensées dans le livre ?

Nous avons travaillé avec beaucoup d’ONG et d’associations. Dans le domaine social, nous avons été très aidés par Ashoka, le premier réseau d’entrepreneurs sociaux du monde. A l’origine américain, il est présent maintenant dans plus de 80 pays.

Demain,la Terre est bleue, Atlas de la mer au XXIe siècle sous la direction de Cyrille P. Coutansais.

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