RD Congo - Filimbi - Yangu Kiakwama : "Nous sommes des passeurs, des accoucheurs de démocratie"

INTERVIEW. Actuellement en exil, le porte-parole du mouvement citoyen Filimbi d'opposition à un 3e mandat du président Joseph Kabila frappe du poing sur la table.

Propos recueillis à Bruxelles par

À l'image de la signification même du nom du mouvement citoyen Filimbi dont il est le porte-parole, Yangu Kiakwama kia Kiziki veut siffler la fin d'un régime qui semble tenté par des manoeuvres jugées antidémocratiques.
À l'image de la signification même du nom du mouvement citoyen Filimbi dont il est le porte-parole, Yangu Kiakwama kia Kiziki veut siffler la fin d'un régime qui semble tenté par des manoeuvres jugées antidémocratiques. © MDMM

Temps de lecture : 7 min

C'est en marge du Forum de Gorée (Sénégal), coorganisé du 12 au 15 décembre dernier par la fondation allemande Konrad Adenauer, qu'a été constitué le Front citoyen pour la démocratie et l'alternance en 2016, communément appelé Front citoyen 2016. Ce front se bat pour l'alternance et la tenue notamment de l'élection présidentielle congolaise dans les délais constitutionnels. Il s'agit de faire échec aux tentatives du camp présidentiel de maintenir le chef de l'État, Joseph Kabila, à la tête du pays, après l'expiration de son deuxième et dernier mandat en décembre 2016. Le Front rassemble divers acteurs de la société civile, dont La Voix des sans-voix, l'Asadho et la Linelit, des mouvements citoyens tels que Filimbi et Lucha, des personnalités comme l'analyste politique Jean-Jacques Wondo, des opposants tels que Moïse Katumbi et divers partis politiques, dont L'Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, L'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d'Étienne Tshisekedi, L'Engagement pour la citoyenneté et le développement de Martin Fayulu et La Convention des démocrates chrétiens (CDC) de Gilbert Kiakwama. Le 19 décembre 2015, deux conférences de presse se sont tenues simultanément à Bruxelles (Belgique) et à Kinshasa (RD Congo), à l'initiative du Front citoyen, pour lancer le Front et présenter les grandes lignes de l'accord signé à Gorée par ses acteurs. Présidée par le mouvement citoyen Filimbi et divers acteurs de la société civile congolaise, la conférence de presse qui a eu lieu à Bruxelles a enregistré notamment la présence de Félix Tshisekedi de l'UDPS, de Vital Kamerhe et de Samy Badibanga (député, président du groupe parlementaire UDPS et alliés). À cette occasion, Yangu Kiakwama kia Kiziki, porte-parole du mouvement citoyen Filimbi (qui signifie coup de sifflet en langue swahili), s'est confié au Point Afrique.

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Le Point Afrique : Pouvez-vous nous présenter le Front citoyen 2016 ?

Yangu Kiakwama : La situation politique de la RD Congo est préoccupante. Face à l'importance des enjeux démocratiques, il était important de constituer un front pour agir ensemble et être à la hauteur des défis. Le Front citoyen 2016 est une initiative citoyenne qui a commencé il y a plusieurs semaines, bien avant le Forum de Gorée. Il est le résultat d'un long travail de discussion entre tous les acteurs de la société congolaise dans leur diversité, aussi bien ceux des forces sociales que des formations politiques. Il s'est matérialisé en marge du Forum de Gorée, du fait de la présence de nombreux acteurs congolais à cette rencontre.

Pourquoi avoir choisi la date du 19 décembre pour organiser ces deux conférences de presse ? Et pourquoi Bruxelles ?

Il était important d'envoyer un message à nos compatriotes en RDC et à la diaspora, ainsi qu'à tous les amis du Congo et à ceux qui s'intéressent à la situation de notre pays. Le 19 décembre est une date symbolique. C'est le 19 décembre 2005 qu'a été adoptée par référendum, avec 85 % des suffrages exprimés, la Constitution congolaise. Dans un an, le 19 décembre 2016, prendra fin le mandat du président de la République qui a été investi le 19 décembre 2011. À cette date, il faudra qu'il y ait alternance et que le président Joseph Kabila cède le pouvoir à son successeur, quel qu'il soit.

S'agissant du Front citoyen, vous parlez d'un moment historique, et même d'un 3e moment historique ? Que voulez-vous dire ?

La RD Congo est une nation et un État en constitution. Les Congolais progressent sur deux plans : en tant que conscience d'être une nation et une communauté de destin et dans l'obtention et l'exercice de leurs droits. Le premier moment historique fort est 1960, quand nous accédons à la souveraineté d'État. L'indépendance est une victoire des Congolais. C'est un processus qui a commencé en janvier 1959 et s'est matérialisé lorsque tous les protagonistes réunis à la table ronde de Bruxelles en février 1960 ont exigé la libération de Patrice Lumumba qui était emprisonné. C'est le premier moment de sursaut national. Le deuxième moment historique est la constitution de la RD Congo en tant que démocratie. Il se situe en février 1991, quand, à l'initiative de l'Église, tous les Congolais se sont levés pour exiger la reprise de la Conférence nationale souveraine qui va permettre à notre pays de s'engager dans la voie de la démocratie. Aujourd'hui, c'est le troisième moment historique, qui vise à ce que tous les Congolais deviennent des acteurs de la démocratie. En d'autres termes qu'ils deviennent pleinement citoyens.

Ce troisième moment d'union nationale, incarné par l'accord de Gorée signé par les acteurs du Front citoyen 2016, semble davantage impulsé par la société civile que par les politiques ? Est-ce le cas ?

C'est l'une des originalités de ce troisième moment, en effet. Le Front citoyen est une initiative qui n'a pas été portée par les partis politiques, mais par les mouvements citoyens comme Lucha, Filimbi et des organisations de la société civile. Ensemble, ces derniers ont proposé aux partis politiques la création d'un front citoyen. Les partis politiques ont accepté, contribuant ainsi, au même titre que la société civile, à la constitution de ce front.

Quelles sont les grandes lignes de l'accord de Gorée ?

Dans cet accord, nous mutualisons nos ressources, nos moyens, nos intelligences, nos stratégies pour coordonner nos actions en vue d'atteindre deux objectifs principaux : l'organisation d'élections libres, démocratiques et transparentes dans les délais constitutionnels, c'est-à-dire avant la fin 2016, et l'obtention de l'alternance à la tête de l'État (application de l'article 220 de la Constitution qui interdit au président de la République de faire plus de deux mandats).

Pour les élections, quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?

Le report des élections, qui sous-entend la prolongation indue du mandat présidentiel, est de plus en plus mis en avant. Notre position sur ce point est claire : il faut mettre en œuvre un calendrier électoral et organiser dans les délais prévus deux scrutins qui sont constitutionnellement obligatoires : la présidentielle et les élections législatives nationales et provinciales. Sur cette base, nous demandons deux choses : la publication au 30 janvier 2016 au plus tard d'un nouveau calendrier électoral consensuel et réaliste, concentré sur ces deux scrutins, et, au plus tard le 10 février 2016, le démarrage des premières opérations électorales (enregistrement des électeurs).

La question d'un candidat commun de l'opposition n'est-elle donc pas dans votre agenda ?

Nous sommes un front citoyen. Les citoyens veulent que la démocratie puisse s'ancrer et avancer. Cela passe par les élections. Nous voulons exercer notre droit de choisir. Le choix ou non d'un candidat unique est l'affaire des politiques. C'est un autre débat qui n'est pas le nôtre.

Comment les relations entre les acteurs de la société civile et les partis politiques au sein du Front citoyen s'articulent-elles ?

Dans le contexte congolais d'aujourd'hui, il n'est plus possible d'exercer ses droits de citoyen comme le droit d'expression, d'opinion, de militer, etc. Pour preuve, certains d'entre nous sont en exil et, en RD Congo, deux de nos compagnons sont encore en prison. Nous avons donc dit aux politiques qu'avant de prétendre à un mandat quelconque il fallait que les Congolais puissent se réunir pour les entendre et savoir ce qu'ils proposent. Et donc rétablir un terrain de jeu praticable par tous. Restaurer l'espace démocratique et faire revivre l'État de droit, c'est à ce niveau que se situe notre point d'accord avec les politiques.

Comment mesurez-vous l'impact de vos propositions sur la population congolaise ?

Nous inversons la question. Nous n'existons que parce que les Congolais se sentent concernés. Des mouvements citoyens comme Lucha et Filimbi ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Nous savons que la population congolaise est prête et motivée. Elle veut davantage de démocratie et que les règles soient respectées. Cela se vérifiera dans les semaines et les mois à venir.

Il restait à relier et à fédérer ces consciences ?

Oui. Notre visibilité permet aux nombreux Congolais éparpillés dans notre grand pays d'identifier le point où ils peuvent se réunir et se connecter pour mutualiser leurs ressources et définir les actions à mettre en oeuvre. Nous ne servons qu'à cela. Nous sommes des passeurs, des accoucheurs de démocratie.