La fusée réutilisable de Space X, une fausse bonne idée ?
Sur le papier, le concept de l’engin spatial réutilisable semble le meilleur moyen de réduire les coûts. Mais l’exemple de la navette spatiale rappelle que ce n’est pas si simple.
Par Bruno Trévidic
Ok, les ingénieurs de Space X ont réalisé un exploit technologique en parvenant à faire re-atterrir sur son lieu de décollage, le premier étage d’une fusée orbitale, après que celle-ci eut placé 11 satellites de communication en orbite. Mais au-delà de l’exploit technique, une question reste posée : est-ce une bonne idée ? Sur le papier, le concept semble très séduisant. Le premier étage est la partie la plus coûteuse d’un lanceur, qui représente à lui seul 50 % de sa valeur totale. Soit dans le cas d’une fusée Falcon 9, quelque 30 millions de dollars. Pour reprendre une formule chère à Elon Musk, c’est un peu comme si on n’utilisait un avion de ligne qu’une seule fois. D’où les efforts déployés par Space X - dont toute la stratégie est basée sur la réduction du coûts de lancement - pour mettre au point un lanceur partiellement réutilisable. Selon son PDG, cela permettrait de diviser « par un facteur deux » le prix des lancements.
Engouement pour le réutilisable
Elon Musk n’est apparemment pas le seul à le croire. Ses principaux concurrents, Airbus Safran launcherset la coentreprise américaine ULA, qui associe Lockheed Martin et Boeing, ont également fait savoir qu’ils travaillent, eux-aussi, sur des concepts de fusées partiellement réutilisables. Pourtant, cet engouement pour la récupération est loin de faire l’unanimité chez les spécialistes du secteur, qui sont nombreux à douter de la rentabilité d’un tel concept. « Dans le meilleur des cas, le gain ne sera que marginal », estime un expert du secteur, qui n’est pas un concurrent de Space X.. « Il ne suffit pas de pourvoir récupérer le premier étage ; encore faut-il s’assurer qu’il puisse être réutilisé en toute sécurité, explique-t-il. Cela représente des coûts de vérification et de remise en état qui sont difficiles à estimer. Par ailleurs, faire redescendre en douceur une partie du lanceur exige beaucoup de carburant. Environ 40 tonnes pour le Falcon 9. Cela représente une perte de 30 % à 40 % de la performance du lanceur. Au final, pour économiser un peu sur 50 % de la valeur du lanceur, on ne peux lancer que 60 % de la masse d’un lanceur classique ».
Vendre les réticences des clients
On peut également ajouter que le succès de la récupération reste, à ce stade, très incertain. Dans le cas des moteurs à poudre, l’effort sur les matériaux est tel qu’ils ne peuvent être réutilisés. Enfin, même en cas de succès, il faudra encore convaincre le client - et son assureur - qu’un lanceur utilisant un premier étage de « récup » est aussi fiable qu’un lanceur neuf. Ce qui n’est pas gagné d’avance.
Le contre-exemple de la navette spatiale
Dans le cas présent, Space X n’a d’ailleurs pas l’intention de réutiliser le premier étage récupéré hier. « Ce sera pour la prochaine fusée », assure Elon Musk. On peut le croire ou continuer à en douter. Cependant, ce ne serait pas la première fois qu’un exploit technique se révèle être un échec commercial. Dans le domaine spatial, l’exemple le plus connu est bien sûr, la navette spatiale. Là aussi, l’objectif principal des Américains était de disposer d’un engin spatial réutilisable pour les mises en orbites de satellites, afin de réduire le coût de l’accès à l’espace. C’est finalement le contraire qui s’est produit. Les navettes spatiales se sont avérées moins fiables que les lanceurs traditionnels Proton, pour un coût de lancement quatre fois plus élevé, d’environ 500 millions de dollars par tir. Et ce, sans compter les coûts de développement, qui se sont chiffrés en milliards de dollars. Au final, faute de compétitivité, l’industrie spatiale américaine s’est faite souffler son « leadership » sur le marché des satellites par les Européens.
Objectif Mars ?
Cependant, il est également possible que l’intérêt d’Elon Musk pour les lanceurs réutilisables ne soit pas purement économique. « Elon Musk a besoin de maîtriser la technologie du « réutilisable » pour pouvoir réaliser un jour son rêve fou de la conquête de Mars », estime un bon connaisseur. Surtout si une partie de la facture est supportée par son premier client, la NASA. Et si ces exploits technologiques peuvent, en plus, contribuer à accroître sa notoriété et celle de ses lanceurs, c’est encore mieux.