J’avais commencé par écrire un post de blog sur les raisons de
l’agression dont j’ai été l’objet. Puis cet article n’a plus eu lieu d’être.
Car entre-temps l’ennemi, Ianoukovitch, a déclenché la guerre. Hier, les titouchki
[des provocateurs recrutés par le pouvoir, qui agissent en civil parmi les
manifestants] ont enlevé mon ami Ihor Loutsenko. Nous l’avons cherché partout,
et dans le froid, nous avons même cherché son corps. Nous sommes sans nouvelles
de lui, mais au moins nous n’avons pas non plus trouvé son cadavre.

Et quelques heures plus tard, nous avions deux tués sur Maïdan.

C’est la guerre. Une guerre qui oppose l’ennemi de
l’Ukraine, Viktor Ianoukovitch, à son peuple.

La guerre est une chose terrible. J’étais en Tchétchénie dans
les années 2000, et j’ai toujours eu peur qu’elle ne touche mon pays.

Mais ce n’est pas nous qui l’avons commencée, c’est
Ianoukovitch. Il la mène contre l’Ukraine et contre son peuple pour protéger
son propre royaume. Il est prêt à verser des rivières de sang, il est prêt à
nous éliminer. Il veut être roi et transmettre son royaume à son héritier, son
fils, riche “homme d’affaires” qui compte bien régner lui aussi.Oui, c’est un psychopathe

Et c’est là que j’ai compris que les raisons de mon agression
étaient en réalité les mêmes que celles de l’agression contre les Ukrainiens et
l’Ukraine.

Pour Ianoukovitch, être roi, c’est mener une vie de luxe, se
faire construire une salle de banquet flottante, toute d’or et d’acajou, c’est
s’offrir une table de massage chauffante en marbre, c’est pouvoir se rendre sur ses propriétés en hélicoptère.

Les raisons de la haine sanguinaire qu’il nous voue sont
simples : il est persuadé que nous, les Ukrainiens, nous menaçons avant
tout ses rêves de palais, son désir de vivre dans une opulence incroyable. Ce
qui est tout à fait vrai. Sauf que ce qui nous semble être des exigences
normales de notre part constitue à ses yeux de psychopathe un défi mortel.

Oui, c’est un psychopathe. “L’orphelin de Ianikiieve” [nom de
son village de naissance, dans la région de Donetsk, dans l’est du pays] est
disposé à nous tuer simplement parce que nous menaçons ses lieux de
villégiature favoris, construits avec des sommes énormes et décorés avec les
matériaux les plus coûteux au monde.

Et c’est parce que j’enquêtais sur ces lieux que l’on a tenté
de m’assassiner. La voiture qui a embouti la mienne était un véhicule de luxe.
Par conséquent, mon élimination a coûté cher. Pourquoi ? En réalité,
j’étais facile à trouver, je sors souvent dans les rues de Kiev, et recruter
des titouchki est plutôt bon marché. Du reste, ils n’ont pas cherché à
m’intimider. Ils m’ont frappée avec l’intention de m’éliminer, j’avais les
poumons remplis de sang.Pourquoi payer si cher pour me tuer ? Pour mon
activisme ? Cela n’aurait pas été une raison suffisante. Mais parce que
j’étais allée observer les propriétés de Ianoukovitch, là, oui. Donc, pour mes
investigations ? Ce que j’avais rassemblé sur la question des biens du
président n’avait pas encore été publié.

Ne mourons pas pour Euromaïdan, marchons sur ses propriétésMais peu importe la raison, en fin de compte. L’essentiel
n’est pas là. En fait, j’espère que les Ukrainiens n’attendront pas que Viktor
Ianoukovitch cède officiellement son trône à son successeur, qu’il s’agisse de
son fils ou d’un quelconque ancien patron du crime organisé.

L’ère de ces gens-là et de leurs propriétés de luxe a pris fin
quand Maïdan s’est soulevé. Nous devons tenir jusqu’au bout.

Ianoukovitch sera affaibli si nous nous en prenons à ce qui
lui tient le plus à cœur. Ne mourons pas pour Euromaïdan, marchons sur ses propriétés.
En masse, au moins cent mille d’entre nous. C’est difficile, nous risquons même
la mort. Mais si nous ne le faisons pas, les tirs continueront dans le centre
de Kiev. Puis ils viendront nous tuer devant chez nous.