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Jawad Bendaoud, logeur de terroristes du 13 novembre : « Je m’en doutais mais je voulais l’argent »

Mis en examen, il a toujours nié toute responsabilité. Des pièces du dossier que « Le Monde » a pu consulter montrent pourtant un degré de complicité, nourri entre autres par l’appât du gain.

Par  et

Publié le 22 décembre 2015 à 20h16, modifié le 23 décembre 2015 à 13h53

Temps de Lecture 7 min.

Capture d'écran de la chaîne BFM-TV montrant Jawad Bendaoud, à Saint-Denis le 18 novembre.

Son apparition saugrenue, mercredi 18 novembre au petit matin, sur les écrans de télévision avait offert à un pays en état de choc un premier moment de catharsis. L’assaut mené par le RAID contre la planque d’Abdelhamid Abaaoud – le coordinateur présumé des attentats du 13 novembre – dans un immeuble délabré de Saint-Denis est retransmis en direct lorsque Jawad Bendaoud, propriétaire autoproclamé de l’appartement, apparaît spontanément devant les caméras de BFM-TV à 7 h 20 :

« J’étais pas au courant que c’était des terroristes, moi. (…) On m’a demandé de rendre service, j’ai rendu service, Monsieur. On m’a demandé d’héberger deux personnes pendant trois jours, j’ai rendu service tout simplement. Je ne sais pas d’où ils viennent, on est au courant de rien, Monsieur. Si je savais, vous croyez que je les aurais hébergés ? »

L’homme n’a pas le temps de finir sa plaidoirie qu’un policier l’embarque. Son interpellation en direct et l’incongruité de son témoignage en font immédiatement une star sur les réseaux sociaux. Un compte Twitter parodique, Logeur du Daesh, compte plus de 70 000 abonnés, une soirée pyjama fictive organisée chez lui rassemble 200 000 participants et d’innombrables vidéos pullulent sur la Toile.

Les Français avaient besoin de se défouler après cinq jours d’angoisse et de deuil ; avec Jawad Bendaoud, ils tiennent leur bouffon.

Lire notre enquête exclusive Article réservé à nos abonnés Les liens de sang entre djihadistes français et belges

Mélange de bêtise, d’appât du gain et d’idéologie

A l’issue de sa garde à vue, l’homme de 29 ans est mis en examen pour association de malfaiteurs criminelle en relation avec une entreprise terroriste. Mohamed S., une de ses relations de quartier, 25 ans, soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire entre Hasna Aït Boulahcen – en quête d’une planque pour son cousin Abdelhamid Abaaoud – et Jawad Bendaoud, est mis en examen du même chef.

Malgré les dénégations des deux hommes, la justice dispose d’éléments suffisamment troublants pour les suspecter d’avoir « sciemment hébergé des personnes en cavale », selon des pièces du dossier que Le Monde a pu consulter. Ces documents permettent surtout de mieux cerner leur degré de complicité avec les auteurs des attentats du 13 novembre, fruit d’un obscur mélange de bêtise, d’appât du gain, d’amitiés de quartier et de sympathie idéologique.

Rien ne permet d’affirmer que Jawad Bendaoud avait reconnu Abdelhamid Abaaoud, l’homme le plus recherché de France, au moment de lui louer l’appartement. Le logeur admet pourtant avoir regardé des vidéos du djihadiste belge durant l’un de ses séjours en prison. Sur la plus célèbre, Abdelhamid Abaaoud, hilare, traîne des cadavres de soldats syriens à bord d’un pick-up. « Tout le monde regardait des vidéos de lui en prison, se défend-il. Vous croyez que je lui aurais loué mon appartement si je l’avais reconnu ? »

Des échanges de SMS permettent cependant de comprendre qu’il avait pu faire le lien entre ces fugitifs et les attentats de Paris et Saint-Denis. Le 17 novembre vers 22 h 30, ce marchand de sommeil, qui loge des gens de passage – migrants, proxénètes ou dealers – moyennant 50 euros, accueille en personne Abdelhamid Abaaoud, sa cousine Hasna Aït Boulahcen et un troisième terroriste non identifié dans le petit appartement sans eau courante de la rue du Corbillon. Le lendemain à l’aube, l’assaut du RAID réveille le quartier en sursaut. Jawad Bendaoud reçoit deux textos de sa petite amie : « Je m’en doutais putain », « Je te l’avais dit en plus, c’est chelou ».

Jawad Bendaoud répond :

« Tous les mecs de ma rue, hier, ils rigolaient, ils m’ont dit t’es un OUF, tu ramènes des mecs de Belgique, deux frères MUS. (…) Sur le coran de La Mecque c’est des terroristes, nous on rigolait, bah on s’en bat les couilles, moi je les héberge. (…) Les mecs ils viennent de Belgique, ils me demandent de quel côté on fait la prière, ils me disent on est fatigué, on veut dormir, on a passé trois jours de fils de pute, 150 euros pour trois jours, pourquoi ils ont pas été à l’hôtel ? (…) Vazy même moi j’ai trouvé ça suspect les mecs… »

Des éléments téléphoniques intrigants

Après avoir farouchement nié, Jawad Bendaoud finit par admettre devant les enquêteurs avoir fait le lien avec les terroristes en cavale. « J’ai douté, il y avait un truc pas clair, mais je ne vais pas prendre vingt ans pour ça, (…) je m’en doutais, mais je voulais l’argent. » A l’en croire, l’appât du gain semble avoir été son unique mobile.

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Deux éléments intriguent pourtant les policiers. Le 3 novembre, Jawad Bendaoud reçoit un appel d’un numéro belge. Or ce numéro a appelé le 14 novembre un autre numéro belge, à ce jour non attribué, qui avait borné la veille – soir des attentats – au Stade de France, dans le 11e arrondissement de Paris, et dans le 18e arrondissement, à des heures correspondant au parcours funeste des terroristes.

Autre détail troublant : le téléphone de Mohamed S. a borné dans la nuit du 13 au 14 novembre allée Vauban, à Châtillon, au même moment que celui de Salah Abdeslam, un des terroristes en cavale. Il affirme ne pas le connaître. Les enquêteurs n’ont encore tiré aucune conclusion de ces recoupements.

Plusieurs échanges de SMS entre Hasna Aït Boulahcen et Mohamed S. conduisent en revanche les juges à suspecter Mohamed S. d’être, des deux hommes, celui qui était le plus susceptible de connaître le pedigree des fugitifs. Le 17 novembre, la cousine d’Abaaoud lui écrit pour le remercier d’avoir trouvé un logement : « Toute la cité m’a appelé. (…) Ils ont vu à la télé, ils m’ont appelé tous (…) Aujourd’hui, ce que tu as fait, la vie de ma mère, tu es un bon. »

Quelques heures plus tard, Hasna Aït Boulahcen évoque avec Mohamed S. le « taxi » qui doit les conduire tous les « trois » – elle, Abaaoud et le terroriste non identifié – jusqu’à l’appartement de la rue du Corbillon. « Je peux pas dormir avec toi, t’es malade. (…) Y m’a dit tu restes avec moi, j’ai pas confiance moi. (…) Tu sais très bien ce qui se passe. » Elle ajoute ensuite avoir regardé « Les Feux de l’amour ». « T’as compris quand je te dis Les Feux de l’amour ? » Mohamed S. affirme n’avoir pas décrypté ce message codé.

A les entendre, Jawad Bendaoud et Mohamed S. ont été poussés par leur seule vénalité et leur absence de sens moral et civique. Leur parcours, entre délinquance multirécidiviste et tentation radicale, en dit un peu plus sur leur personnalité. Les deux hommes, vendeurs de drogue à Saint-Denis, se sont rencontrés lors d’un séjour en prison en 2011. Mohamed S., surnommé « Gros yeux » par ses amis et « Mouss » par ses clients, purgeait une de ses quinze condamnations pour vol avec arme et violences volontaires.

Jawad Bendaoud, lui, a été condamné en 2008 à huit ans de prison pour avoir malencontreusement tué un de ses meilleurs amis avec un couteau de boucher. La scène s’est déroulée rue du Corbillon, là même où ce petit dealer a hébergé les terroristes. Résolu à régler à sa façon le vol du téléphone portable de sa mère, il avait menacé un certain Fouad à l’aide d’un hachoir volé à l’étal d’un magasin exotique. Son ami David avait tenté de s’interposer. Jawad B. s’était débattu. David était mort d’un coup de lame dans la poitrine.

« Je ne peux pas dire que c’est un ennemi »

Décrit par un ancien codétenu comme « radicalisé », Jawad Bendaoud se dit non pratiquant, attestant d’une consommation régulière d’alcool, de cannabis et de cocaïne, et d’une vie sexuelle trépidante. Il reconnaît cependant avoir un jour laissé entendre qu’il pourrait s’inspirer des meurtres de Mohamed Merah. « J’y ai peut-être pensé en prison, mais une fois sorti, tout est sorti de ma tête », assure-t-il aujourd’hui.

« Mouss » résume d’une formule le lien qui l’unit à Jawad Bendaoud : « Je ne peux pas dire que c’est un ennemi, mais je lui ai déjà fait du mal. » Une sombre histoire de dette non remboursée derrière les barreaux a scellé leur association. A leur sortie concomitante de prison, en septembre 2015, Mohamed S. réclame son argent. Jawad parle mal de sa mère. « Mouss » lui assène un coup de crosse de revolver.

« Finalement, résume une note judiciaire, ils se réconciliaient et trouvaient un arrangement : Mohamed S. livrait Jawad Bendaoud en cocaïne que ce dernier transformait en crack avant de lui restituer la moitié de ses gains. »

Cette petite entreprise narcotique a servi de modèle à l’arrangement qui a conduit les deux hommes à héberger des terroristes rue du Corbillon, un des principaux points de deal de Saint-Denis. Selon leurs dires, Mohamed S., l’intermédiaire, aurait empoché 100 euros pour dépanner les terroristes, Jawad Bendaoud, le logeur, se contentant de 50 euros. A peine le prix de trois grammes de coke à eux deux.

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