Ruée vers l'or rouge en Malaisie

Un bulldozer au dessus d'un tas de bauxite, dans l'état rural de Pahang en Malaisie, le 13 octobre 2015
Un bulldozer au dessus d'un tas de bauxite, dans l'état rural de Pahang en Malaisie, le 13 octobre 2015 © AFP - MANAN VATSYAYANA

Temps de lecture : 4 min

Surin Beris a fait raser sa plantation de palmiers à huile, dans l'est de la Malaisie. Sa nouvelle activité est autrement plus rentable : extraire du sol de la bauxite, un précieux minerai devenu synonyme de richesse, mais aussi de dommages pour la santé et l'environnement.

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Dans l'Etat rural de Pahang, le sol est désormais très convoité pour cette roche rouge riche en alumine dont il regorge, et qui tire son nom de la ville des Baux-de-Provence, dans le sud de la France, où elle avait été découverte en 1821.

Pour Surin, 67 ans, c'est une manne. Quand il cultivait ses palmiers pour produire de l'huile végétale, il gagnait environ 2.000 ringgit par mois (445 euros). Avec le boom de la bauxite, principal minerai de l'aluminium dont les gisements sont peu nombreux dans le monde, il a fait fortune.

"J'ai gagné un million de ringgit (223.000 euros) en moins de six mois. Je remercie le Dieu Tout-puissant d'être aussi généreux", jubile ce musulman ravi de ce "cadeau d'Allah".

La Malaisie était il y a peu un producteur insignifiant de bauxite. Mais l'exploitation de ce minerai a bondi après que l'Indonésie en a interdit les exportations en janvier 2014 - pour encourager le traitement des métaux dans le pays - pénalisant du coup de grands importateurs comme la Chine.

La Malaisie s'est alors empressée de combler la demande. Sa production de bauxite a plus que quadruplé, à 963.000 tonnes en 2014, et devrait croître encore selon des projections officielles.

Mais des critiques, dont des défenseurs de l'environnement, mettent en garde contre cette exploitation minière effectuée la plupart du temps illégalement - comme Surin - et accusent le gouvernement de n'accorder aucune attention aux dommages causés à l'environnement.

- Problèmes de santé et pollution -

Surin Beris, producteur d'huile de palme, montre sa plantation désormais transformée en mine de Bauxite, le 14 octobre 2015 dans l'état de Pahang en Malaisie © MANAN VATSYAYANA AFP
Surin Beris, producteur d'huile de palme, montre sa plantation désormais transformée en mine de Bauxite, le 14 octobre 2015 dans l'état de Pahang en Malaisie © MANAN VATSYAYANA AFP

L'extraction de bauxite, qui s'effectue par le creusement de galeries dans le sol, est en effet susceptible de rejeter des métaux lourds cancérigènes comme le strontium, le césium et d'autres éléments chimiques nuisibles, ainsi que de faibles niveaux de radioactivité.

A Pahang, région aux paysages dominés par les forêts tropicales et l'agriculture, le va-et-vient de camions chargés de bauxite provoque un dégagement de nuages de poussière rouge autour des mines et le long des routes jusqu'au port de Kuantan, qui donne sur la mer de Chine méridionale, où les minerais sont expédiés vers le marché chinois.

D'aucuns redoutent que les métaux lourds n'entrent dans le système d'approvisionnement d'eau ou la chaîne alimentaire, et affectent durablement la population locale.

Certains défenseurs de l'environnement affirment que des rivières de la région et des côtes le long de Kuantan sont déjà fréquemment souillées par les rejets miniers, et que des habitants se plaignent de plus en plus de problèmes respiratoires et de démangeaisons.

Un ouvrier porte un masque sur son visage, dans une mine de bauxite dans l'état du Pahang en Malaisie, le 13 octobre 2015 © MANAN VATSYAYANA AFP
Un ouvrier porte un masque sur son visage, dans une mine de bauxite dans l'état du Pahang en Malaisie, le 13 octobre 2015 © MANAN VATSYAYANA AFP

"Ma petite-fille de quatre ans souffre car elle ne peut pas respirer normalement. Nous inhalons de la poussière tous les jours", se plaint Manap Muda, chef d'un village proche de Kuantan, accusant les autorités locales de fermer les yeux.

Le député d'opposition Fuziah Salleh relève qu'un vide juridique permet à de petits propriétaires d'extraire du sol des minerais sans l'approbation des autorités. Nombre d'entre eux "saccagent la terre au nom du profit", déplore-t-il. "Les gens sont avides d'argent et gagnent beaucoup au détriment de la santé publique".

- Créations d'emplois -

Le gouvernement malaisien assure être conscient du problème. Le ministre de l'Environnement et des Ressources naturelles, Wan Junaidi, a ainsi remis à l'AFP un rapport officiel faisant état de "forte concentrations" de substances dangereuses détectées dans des échantillons d'eau prélevés en août dans le Pengorak, une rivière proche des sites de bauxite et de Kuantan.

Un habitant de Pahang en Malaisie, observe la plantation devenue une mine de bauxite, le 13 octobre 2015 © MANAN VATSYAYANA AFP
Un habitant de Pahang en Malaisie, observe la plantation devenue une mine de bauxite, le 13 octobre 2015 © MANAN VATSYAYANA AFP

"Nos constatations ont montré la présence d'aluminium, d'arsenic, de mercure et de manganèse. L'exploitation minière a affecté la qualité de l'eau" de la rivière, qui ne peut plus être utilisée pour la consommation ni l'irrigation, relève le rapport.

Mais un responsable du gouvernement local, Mohamad Soffi Abdul Razak, balaye, lui, les craintes concernant la santé et l'environnement, mettant l'accent sur l'aspect économique: "La ruée vers la bauxite crée des emplois. Pahang est bénie par le Seigneur", estime-t-il.

Manap Muda, le chef de village, affirme s'être plaint auprès des autorités. Mais "la corruption maintient l'exploitation minière illégale", critique-t-il.

Surin reconnaît qu'il extrait de la bauxite sans autorisation et ne voit aucun inconvénient à ces activités. Avec tout ce que lui rapporte l'or rouge, il prévoit de construire sur ses terres des maisons pour les louer. Et de retourner en pèlerinage à La Mecque avec sa famille.

23/12/2015 09:30:31 - Kemajuan Tanah Bukit Goh (Malaisie) (AFP) - Par M JEGATHESAN - © 2015 AFP