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Christiane Taubira plus fragilisée que jamais

La ministre de la justice a exprimé plusieurs fois son désaccord avec la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français condamnés pour terrorisme, qui figurera dans le projet de révision constitutionnelle.

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Publié le 23 décembre 2015 à 12h10, modifié le 25 décembre 2015 à 09h11

Temps de Lecture 25 min.

La ministre de la justice, Christiane Taubira, le 23 décembre lors de sa sortie du conseil des ministres à l'Elysée.

Christiane Taubira peut-elle encore rester au gouvernement ? La ministre de la justice a dû une nouvelle fois avaler son chapeau, mercredi 23 décembre, en apprenant que François Hollande entendait malgré tout maintenir l’extension de la déchéance de nationalité dans la Constitution.

Lors d’une conférence de presse à l’issue du conseil des ministres, le premier ministre, Manuel Valls, a pourtant assuré que Mme Taubira défendra ce texte devant les élus :

« C’est son rôle au sein du gouvernement comme garde des sceaux, nous défendrons ensemble ce texte devant le Parlement. »

Mme Taubira, elle-même présente à cette conférence de presse, a déclaré :

« La parole première est celle du président de la République. Elle a été prononcée au congrès à Versailles. La parole dernière est celle du président de la République, elle a été prononcée ce matin en conseil des ministres et c’est le point final. »

« La seule fois où je me suis exprimée sur la déchéance de nationalité (…), je n’ai pas hésité à dire que ceux qui retournent leurs armes contre leurs compatriotes s’excluent eux-mêmes de la communauté nationale. »

Une déclaration désavouée

En voyage officiel en Algérie, dimanche 20 et lundi 21 décembre, Mme Taubira avait pourtant cru la disposition définitivement écartée. Elle l’avait indiqué à la radio algérienne Chaîne 3, qui a diffusé son intervention mardi 22 décembre. La garde des sceaux évoquait « un sujet qui va s’éteindre » :

« Je vous indique par exemple que le projet de révision constitutionnelle qui sera présenté en conseil des ministres mercredi ne retient pas cette disposition », avait déclaré la ministre. Elle avait d’ailleurs estimé, à titre personnel, que cette réforme « posait un problème de fond sur le principe fondamental qu’est le droit du sol », auquel elle est « profondément attachée ».

Elle a appris en revenant à Paris que la question n’était pas définitivement tranchée, et que les derniers arbitrages devaient avoir lieu mardi dans la nuit – des arbitrages auxquels elle n’était pas conviée. Ce nouveau désaveu est aujourd’hui un casus belli.

Depuis des mois, Christiane Taubira s’inquiète de la dérive du gouvernement auquel elle appartient ; elle a failli une première fois claquer la porte quand sa réforme du droit des mineurs a été reportée sine die. Elle a obtenu qu’elle soit inscrite au calendrier parlementaire en 2016 – et n’est plus bien certaine aujourd’hui que ce soit encore le cas.

Les limites de son influence

La position de la ministre était ainsi devenue très inconfortable : devenue une sorte d’alibi au gouvernement pour rassurer un électorat de gauche décontenancé par le virage sécuritaire du chef de l’Etat, elle avait pour consigne de se taire – elle n’avait le droit que de s’exprimer sur les victimes des attentats. Elle espérait en coulisse se faire entendre pour contenir ce qui lui apparaissait comme des excès des ministres de la défense et de l’intérieur. Le maintien de la déchéance de nationalité signe clairement les limites de son influence.

Christiane Taubira est devenue une sorte d’alibi au gouvernement pour rassurer un électorat de gauche décontenancé par le virage sécuritaire du chef de l’Etat.

La crise remonte au discours du président de la République, le 16 novembre, devant le Congrès réuni à Versailles. La plupart des ministres ont appris en même temps que les Français que le chef de l’Etat entendait inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité dans la Constitution : aucune réunion interministérielle n’avait évoqué la question auparavant. Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales, et Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat à la famille, ont demandé à Christiane Taubira si elle était au courant, elle a bien dû avouer que non.

Le mardi suivant, le 1er décembre, les ministres rencontrent le groupe socialiste, qui ne réagit pas réellement. Pascal Cherki, le député de Paris d’ordinaire très vif, fait part de ses réserves, mais les parlementaires sont encore sous le choc des attentats. François Hollande convoque alors quelques-uns de ses ministres, samedi 28 novembre, à une réunion consacrée à la révision de la Constitution. Il y a là Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, Christiane Taubira et le président.

Marc Guillaume, conseiller d’Etat et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, explique qu’il a discrètement sondé ces deux institutions et qu’il existe un risque sérieux que la déchéance de nationalité ne soit pas constitutionnelle : il est donc impérieux de réviser la loi suprême. Cazeneuve, Valls et Hollande tombent tous les trois d’accord, et se félicitent sans fard de couper l’herbe sous le pied de la droite, qui va s’enferrer dans le piège tendu par le gouvernement.

Fort mal à l’aise

Christiane Taubira est fort mal à l’aise. Elle estimait déjà que soumettre au Conseil d’Etat la proposition de Laurent Wauquiez (Les Républicains), qui visait à créer des camps d’internement pour les suspects, était déjà une façon de la légitimer, et essaie ce samedi de convaincre le président, en quatre points.

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Elle a dit à François Hollande qu’elle avait relu son discours du Congrès, et qu’il n’avait en réalité pas annoncé formellement qu’il allait inscrire la déchéance dans la Constitution : il était donc encore temps de s’abstenir. Elle a ensuite rappelé que la déchéance de nationalité n’avait aucune efficacité ni contre des kamikazes ni contre des jeunes qui brûlent leur passeport avant de partir en Syrie.

La ministre a rappelé que la déchéance de nationalité n’avait aucune efficacité ni contre des kamikazes ni contre des jeunes qui brûlent leur passeport avant de partir en Syrie.

En revanche, et c’était son troisième point, la ministre a rappelé que la déchéance avait une charge symbolique très lourde. La gauche a toujours été contre, et même tout récemment, le 4 décembre 2014, lors de la discussion à l’Assemblée de la proposition de loi de Philippe Meunier (Les Républicains), qui visait à déchoir les individus portant les armes contre la police ou l’armée. « Dans quelle situation tu vas placer les députés de la majorité ? », a demandé Mme Taubira, avant de souligner que la déchéance de nationalité portait atteinte au droit du sol, une vraie valeur pour la gauche.

La ministre a été la dernière à parler, Bernard Cazeneuve a échangé une plaisanterie avec elle en partant, il a été cependant décidé d’envoyer le projet de révision au Conseil d’Etat, qui a donné un avis favorable. Paradoxalement, les jours suivants, tant le premier ministre que le ministre de l’intérieur ont semblé avoir des doutes, et Christiane Taubira est partie en Algérie avec le sentiment que l’affaire était enterrée. La ministre doit partir une petite semaine en vacances en Guyane. Et ne manquera de réfléchir à son très proche avenir, si le gouvernement lui en laisse le choix.

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