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En Pologne, la société craint le PIS

Deux mois après leur victoire aux législatives, les nationalistes ont réussi à s’aliéner une large partie de la population, inquiète pour la démocratie.
par Maja Zoltowska, Correspondante à Varsovie
publié le 23 décembre 2015 à 19h31

«Non à la Pisocratie», scandaient samedi les 10 000 personnes venues manifester devant le Parlement polonais, à Varsovie. Le parti conservateur de Jaroslaw Kaczynski, Droit et Justice (PIS), détient depuis deux mois la majorité absolue à la Diète, la Chambre basse, et il veut le pouvoir, tout le pouvoir. «Un jour, c'est le Tribunal constitutionnel, un autre, on apprend que le ministre de la Défense veut doter le pays d'une bombe atomique. La nuit, ils font passer des lois express. A 4 heures du matin, le président Andrzej Duda nomme des juges au Tribunal constitutionnel. Demain, ils vont s'en prendre aux médias, à l'ombudsman [le médiateur, ndlr]… Puis ils vont changer la Constitution et faire sortir la Pologne de l'Union européenne», s'indigne Piotr Tarczynski, la trentaine, qui n'a pourtant pas l'habitude de sortir manifester.

«C'est un changement de pouvoir naturel. Le PIS a gagné les législatives du 25 octobre de manière démocratique. Il a le droit d'exercer son pouvoir», rétorquent les partisans du parti eurosceptique et nationaliste. Selon la nouvelle Première ministre, Beata Szydlo, ces manifestations sont l'expression d'une «hystérie à laquelle il faut mettre fin» et «sont inspirées par ceux qui ont été battus aux élections», qui «défendent leur zone d'influence et leur pouvoir perdu».

«Paralysie totale»

C'est un projet de loi autour du Tribunal constitutionnel qui a fait éclater cette crise politique. Estimant que l'institution est dominée par des juges favorables aux libéraux ou issus du régime communiste, le PIS a introduit ses propres juges et s'apprête à faire passer, en mode accéléré, une nouvelle loi sur le fonctionnement du tribunal, dite de «réparation». Ce texte introduit notamment la majorité des deux tiers pour chaque verdict du tribunal, obligé, afin de pouvoir statuer, de réunir 13 des 15 juges que compte cette cour. De plus, son siège pourrait déménager - on évoque même la ville de Przemysl, située à 400 kilomètres de la capitale. Selon les juristes, cela signifie «une paralysie totale» de cette instance qui tranche sur la constitutionnalité des lois. Le texte a été adopté mercredi.

Cette affaire a déchaîné une vague de critiques de l'opposition. Sur Facebook, Mateusz Kijowski, un informaticien quinquagénaire, a lancé un mouvement spontané : le Comité de défense de la démocratie (KOD), référence à peine voilée au mouvement KOR, le célèbre Comité de défense des ouvriers créé par l'opposition anticommuniste des années 70. Kijowski a réussi à mobiliser 50 000 personnes le 12 décembre pour «défendre la démocratie». Samedi, plus de 10 000 personnes sont à nouveau sorties à Varsovie, et des milliers dans une vingtaine de villes. Du jamais-vu depuis l'époque de Solidarnosc, il y a plus de vingt-cinq ans. «C'était mon devoir de venir ici. J'ai bien en mémoire la Pologne des années 80, et toute notre lutte pour la liberté», explique Danuta Kozielska, 60 ans. «En quelques jours à peine, ce gouvernement veut nous enlever toutes les libertés pour lesquelles on s'était battus à l'époque de Solidarnosc. Elles tombent les unes après les autres. Comme dans un mauvais rêve», dit-elle en brandissant un exemplaire de la Constitution et un drapeau européen. Dans les manifs de KOD, les drapeaux à douze étoiles sur fond bleu font jeu égal avec les étendards blancs et rouges polonais, en réaction au retrait de drapeaux européens de la salle de presse du gouvernement exigé par la Première ministre juste après sa prise de fonction, à la plus grande joie des eurosceptiques.

Le parti au pouvoir a mobilisé ses troupes dans les rues de la capitale pour clamer son plein soutien au nouveau gouvernement et à leur leader, Jaroslaw Kaczynski, le véritable maître du jeu. «Les libéraux ont perdu le pouvoir, ils ne veulent pas partir, ils s'accrochent à tout prix à leurs postes. D'où une agression sans précédent de leur part, une véritable guerre par laquelle ils veulent faire tomber ce gouvernement élu pourtant de manière légitime, dit Edward Dulewicz, juriste. Ils ont pillé la Pologne pendant des années, il est temps qu'ils partent. Et qu'on ait une nouvelle Constitution.»

Images de la Vierge

«C'est une lutte du bien contre le mal qui a lieu en ce moment en Pologne, et la prière nous permettra de gagner», martèle Grzegorz Senatorski, médecin et membre du mouvement Croisade du rosaire pour la patrie. Avec une cinquantaine d'autres activistes, ils se sont réunis le 13 décembre pour réciter des rosaires et brandir des images de la Vierge devant le siège du principal quotidien polonais, Gazeta Wyborcza, tandis qu'un prêtre exorcisait ses journalistes. «Gazeta est comme un cancer qui touche notre nation, c'est le fief du mensonge et [son rédacteur en chef] Adam Michnik est le plus grand ennemi de la Pologne», explique-t-il. Avant de dire qu'il a prié «pour que les journalistes reviennent sur la bonne voie car ils ne s'identifient pas à notre culture, notre histoire, et propagent des idées libérales ou gauchistes qui détournent les gens de Dieu».

Fondée pour les premières élections partiellement démocratiques en Pologne le 4 juin 1989 (d’où son nom de «gazette électorale»), le journal de l’ancien dissident Adam Michnik est devenu depuis le symbole de la liberté d’expression.

«Résistance»

Ce sont deux Pologne qui se font face. «La polarisation de la société n'a jamais été aussi forte et dramatique qu'aujourd'hui», estime Izabella Galicka, historienne d'art proche du PIS, affirmant que les racines de cet affrontement remontent à 1989 et la transition : «Walesa, Mazowiecki et Michnik ont conclu des accords avec les communistes et, une fois le communisme tombé, ces derniers les ont protégés. Les communistes n'ont jamais été punis pour leurs crimes. Au contraire, [les libéraux] leur accordaient tous les honneurs, comme on l'a vu lors des obsèques du général Jaruzelski [l'homme fort de la Pologne communiste]. Justice n'a jamais été faite. Ces gens ou leurs enfants occupent toujours les postes clés du pays.» Entre 2005 et 2007, le PIS était au pouvoir, mais dans le cadre d'une coalition. Maintenant le parti a la majorité absolue et veut régler ses comptes. «Mais il ne s'attendait pas à une telle résistance», reconnaît l'historienne.

A la différence de la Hongrie voisine, que le nationaliste Viktor Orban a mise en coupe réglée, la Pologne fait front grâce à la force de sa société civile. Toutes les manipulations autour du Tribunal constitutionnel ont fait chuter la cote de popularité de Kaczynski de 42 % à 27 % en une dizaine de jours, alors que celle du leader de l’opposition, Ryszard Petru, chef du nouveau parti Nowoczesna («moderne»), est passée de 10 % à 24 %.

«Jaroslaw Kaczynski et son parti sont sur la voie de la dictature. Nous avons affaire à un mouvement populiste, nationaliste, basé sur les ressentiments, l'esprit revanchard et la peur», analyse Ireneusz Krzeminski, sociologue à l'Université de Varsovie. D'où sa crainte de confrontations croissantes : «D'un côté, on a un mouvement spontané civique, de l'autre des militants du PIS qu'on fait venir de toute la Pologne en bus, des fidèles de la Radio Maryja aveuglés par une rhétorique de haine.»

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