Menu
Libération
Libé des solutions

Le non-marchand des possibles

Restos antigaspillage, garages collaboratifs, boutiques sans argent… Des alternatives innovantes et solidaires émergent en réaction à la crise et à la société de surconsommation.
par Pierre-Henri Allain, Rennes, de notre correspondant, Alexandra Schwartzbrod, Richard Poirot, Marie Ottavi, Amandine Cailhol et Amaelle Guiton
publié le 27 décembre 2015 à 19h11

Non, le monde n’est pas aussi noir qu’il n’y paraît, il lui arrive encore de réserver quelques belles surprises comme cette émergence, dans nos sociétés contemporaines, d’une envie de consommer autrement : moins mais mieux, et en partageant ou en échangeant avec les autres. Preuve que le repli sur soi, que traduit la montée des populismes et de l’extrême droite dans de nombreux coins d’Europe, n’a pas totalement gagné. Certes, ce temps du partage a largement pris racine dans la violente crise économique de ces dernières années, qui a poussé nombre de consommateurs à trouver d’autres moyens de satisfaire leurs besoins. Mais ses racines vont beaucoup plus loin, dans une prise de conscience des abus de la surconsommation et surtout de ses méfaits sur nos organismes et sur la planète. Il faut saluer au passage toutes ces associations et ces ONG qui, depuis le début du siècle, ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur les ravages des pesticides et autres produits néfastes utilisés dans l’industrie de masse. Leurs alertes ont fini par porter.

Voisins. Crise économique, crise écologique et, depuis peu, crise de valeurs qui pousse beaucoup à retrouver le sens du partage et de l'authenticité ont donc remis au goût du jour des pratiques que l'on croyait oubliées, comme la mise en commun des biens et des services. Ce n'est pas encore le mode de vie dominant mais le phénomène gagne chaque année du terrain. «Le partage, c'est une solution et un symptôme, explique Anne-Sophie Novel, docteure en économie, spécialisée dans l'écologie et auteure du blog "De moins en mieux". Certains font ça parce que c'est branché, d'autres parce qu'ils veulent donner un sens à leur vie, et beaucoup parce qu'ils n'ont pas le choix.»

Le «glanage» se répand ainsi de plus en plus, une pratique qui consiste à récupérer de la nourriture non ramassée dans les champs, à la fin des marchés, dans les poubelles des commerçants ou dans les conteneurs des supermarchés. Elle concernerait plus de 20 % des Français, selon une récente étude de l’Observatoire des pratiques de consommation émergentes (Obsoco), qui montre aussi que plus d’un Français sur deux est passé à l’achat de produits bio ou issus du commerce équitable, ainsi qu’à l’achat direct auprès des producteurs.

A noter que ces pratiques de consommation alternative ont pris un véritable essor avec Internet, notamment chez les jeunes. Des sites destinés à faciliter la vie quotidienne comme Sharevoisins.fr, qui met en relation les voisins gratuitement pour qu'ils s'empruntent et partagent des objets, à ceux visant à abaisser le coût des transports en organisant du covoiturage, ils visent tous à mettre en adéquation convivialité et prix cassés. La culture n'est pas en reste avec un site, Billetgratuit.com, destiné à initier au théâtre et au spectacle vivant ceux qui n'en auraient pas les moyens en offrant deux billets par semaine en fonction des places disponibles.

Do it yourself. Notre rapport au gaspillage a sans doute beaucoup changé avec la crise. D'où l'essor des «repair cafés» et autres garages associatifs (lire pages 3-4) qui permettent de bénéficier de conseils et d'outils pour réparer soi-même objets ou voiture. C'est une des conséquences de ce phénomène, le «do it yourself» est en plein boum, dopé par le développement des imprimantes 3D qui permettent même de se fabriquer une main articulée (lire page 5).

Autre pratique définitivement entrée dans la vie quotidienne : la revente (sur Internet notamment), qui concerne 80 % des Français, à commencer par les jeunes qui intègrent souvent cette possibilité dès l’achat.

Bien sûr, le système connaît des dérives, comme Airbnb qui, de site destiné à contourner les hôtels trop chers, est devenu ultra mercantile. «C'est pour ça que je crois aux approches territoriales de l'économie de partage, poursuit Anne-Sophie Novel. Les politiques publiques locales ou régionales devraient porter ce type de solution.» Bientôt on ne sera plus dans l'utopie, c'est ça la bonne nouvelle de cette fin d'année, il en faut bien une.

Changer sa boîte de vitesse soi-même

Capots ouverts et véhicules démembrés, silhouettes enfoncées jusqu’aux coudes dans les moteurs : on ne chôme pas au garage associatif de Rennes-Villejean, à la périphérie de la ville. Pendant que ses mécaniciens en herbe s’affairent, Jean-Paul Serrand, l’animateur de la structure, salopette zippée jusqu’au cou et lunettes, s’active de l’un à l’autre pour dispenser un avis, mettre le doigt sur un ressort d’amortisseur, prévenir un mauvais geste ou conseiller un outil. «Nous ne sommes pas là pour concurrencer les garages professionnels, prévient cet ancien garagiste. Nous ne vendons rien, nous ne fournissons aucune pièce et nous avons des équipements relativement limités. Notre but, c’est juste de donner aux gens qui ont peu de moyens ou qui s’intéressent à la mécanique l’accès à l’entretien de leur voiture.»

De fait, à l’atelier mécanique de l’association des Trois Regards, qui gère ce lieu (ainsi que des ateliers de musique, d’arts martiaux ou de danse), les prix sont imbattables : 7 euros de l’heure pour un véhicule placé sur un des deux ponts élévateurs du hangar qui fait office de garage, et 5 euros pour un emplacement au sol, à l’extérieur. Pour profiter de l’atelier, il faut toutefois être adhérent de l’association (18 euros l’année) et surtout avoir signé un règlement visant à prévenir tout usage mercantile de ses services.«Beaucoup de gens viennent ici pour des raisons économiques, les temps sont durs, relève Jean-Paul Serrand. Mais ils viennent aussi pour découvrir la mécanique. Nous proposons des stages de formation pour réaliser soi-même de la petite mécanique et devenir autonome avec sa voiture.» Au menu : vidange, changement de plaquettes de freins ou d’amortisseurs, mais aussi réparation de circuits de distribution ou de systèmes d’embrayage. Plus rarement, certains s’attaquent à la boîte de vitesse ou au bloc-moteur.

Crise oblige, la formule connaît un succès croissant. L'annuaire en ligne selfgarage.org a référencé 135 ateliers en France. A Rennes, sur les 1 100 adhérents de l'association, 460 ont profité de l'atelier mécanique la dernière saison, soit 20 % de plus que l'année précédente. Créée en 1983, cette structure a peu d'équivalent en France. Elle doit sa pérennité au soutien de la ville qui fournit gratuitement les locaux. «Il existe beaucoup de «self-garages» privés où on loue un emplacement et des outils mais pour plus cher. Et il y a aussi des garages solidaires réservés à des personnes en situation précaire, précise Maxime Rohan, coordinateur de l'association. Ici, le garage associatif est ouvert à tous, sans condition, pour des prix très intéressants.»

Ce jour-là, veille du réveillon de Noël, une demi-douzaine d’adhérents s’affairent autour de leur automobile. Pour la plupart des voitures millésimées, telle cette Renault 11 de 1986, dont Emmanuel, quadra au chômage, change le carburateur avec application. «Je suis tombé en rade l’autre jour et j’ai hésité à appeler un garage, raconte-t-il. Ici, on m’a fourni gratuitement une barre de traction pour remorquer la voiture et j’ai trouvé une pièce d’occasion à 30 euros que je vais pouvoir installer moi-même, c’est une belle économie, et on se sent actif.» Samy, 32 ans, salarié, s’est découvert un goût pour la mécanique. Il se serait sans doute séparé de sa vieille Mercedes s’il n’avait pu l’entretenir à moindre frais.

D’un véhicule à l’autre, on échange des conseils, tandis que s’échappent de l’atelier musique voisin des notes de saxophone. Les apprentis mécaniciens qui officient sous l’œil vigilant de Jean-Paul Serrand ne sont pas exclusivement masculins : l’atelier a accueilli cette année 55 femmes.

Pierre-Henri Allain (Correspondant à Rennes)

La prothèse bionique imprimée à la maison

Nicolas Huchet, alias Bionicohand, ne vise pas le gratuit, mais le bas coût. Et surtout le «faire au lieu d’acheter» grâce à l’open source, à l’esprit collaboratif et au «do it yourself», la philosophie du «faire soi-même». Le trentenaire a déjà expérimenté cette recette en fabriquant sa propre main-robot. Amputé du bras droit après un accident de travail en 2002, il a été équipé d’une prothèse myoélectrique, capable de détecter les signaux musculaires grâce à des capteurs. «C’était la plus basique qui soit, remboursée par la Sécurité sociale», dit le Rennais. Dix ans plus tard, en 2012, il découvre que de nouveaux modèles, bien plus perfectionnés, sont disponibles sur le marché. Sauf qu’ils sont inaccessibles car hors de prix. La même année, il rencontre un geek, lors d’un salon de l’innovation. Ils causent open source, plans gratuits de prothèses à télécharger et FabLab de Rennes, un labo collaboratif de fabrication. C’est là qu’ils se retrouvent pour se lancer dans la création d’une prothèse bionique.

«Personne ne savait si c’était possible, mais on s’est dit qu’on allait essayer», résume Huchet. L’imprimante 3D crache les premières pièces, les capteurs arrivent des Etats-Unis. Un Brésilien bossant sur le même projet participe, à distance, à la réflexion. En juin 2013, un prototype à «la sauce bidouille, fait avec les moyens du bord», voit le jour. Coût : 300 euros à peine, au lieu des 10 000 à 100 000 euros pour les modèles du commerce. «Attention, on ne parle pas de la même chose, nuance le bidouilleur. Notre prothèse est très prometteuse, mais on est encore loin d’un vrai modèle.»

S’il n’est qu’une première étape, ce bout de plastique connecté l’emmène tout de même aux quatre coins du globe, de l’Europe à la Russie en passant par New York. Chaque fois, l’enthousiasme est au rendez-vous. En avril 2015, Nicolas Huchet reçoit ainsi un prix de l’innovation par le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il est aussi finaliste, avec son association, My Human Kit, du Google Impact Challenge, fonds de soutien à l’innovation. De quoi le pousser à poursuivre l’aventure. Prochaine étape : ouvrir d’ici à 2017, à Rennes, un FabLab dédié à la «réparation de soi» et permettre ainsi à des personnes handicapées de «fabriquer, personnaliser et réparer» elles-mêmes leurs prothèses. Une sorte de «human lab» à la frontière du médical, de l’ingénierie et de la philosophie des «makers». D’autres mains bioniques y seront conçues, mais aussi des prothèses auditives, des gants sonar pour aveugles ou des outils de sensation musicale pour malentendants.«Notre philosophie, c’est le «handicap powerment», dit Huchet. S’impliquer et regarder autrement son handicap, ne plus être juste le client d’une entreprise, mais être indépendant, acteur et partie intégrante de la solution.»

Amandine Cailhol

Donner plutôt que jeter

Une penderie de vêtements d’occasion, des assiettes non assorties, une balance de bébé, un espace livres, un arc pour enfant avec ses flèches à ventouse… et pas de prix. Au Siga Siga («doucement doucement» en grec), comptoir installé dans l’ancienne gare de Reuilly, à Paris, tout est gratuit. Créé en juin par l’association la Boutique sans argent, le Siga Siga est un lieu de dons où se croisent ceux qui déposent des objets dont ils ne se servent plus et d’autres qui viennent se servir. Ici, pas de discours sur la charité ou l’aumône. Pas de justificatif à présenter ni de nom à écrire sur un registre. «Nous ne demandons qu’une seule chose : ce que vous prenez, vous l’utilisez.» Pas de stock, que du flux, telle pourrait être la devise du lieu. L’association veut faire sortir les objets conservés dans les placards afin qu’ils retrouvent leur usage - «nous les entassons chez nous pour les utiliser plus tard, au cas où. Mais le «cas où» n’arrive jamais», affirme Debora Fischkandl, présidente de l’association. L’objectif est d’élargir au quartier les échanges habituellement restreints au cercle familial. Pas question de vendre la marchandise, même à un prix symbolique : «Pour certaines familles à très faibles revenus, quelques euros pèsent très vite sur un budget contraint», explique-t-elle.

Sans revenus issus de ses ventes, le Siga Siga est hébergé gracieusement par la mairie du XIIe arrondissement et l’association vit essentiellement grâce au soutien du conseil régional. La boutique ne prend que les objets en bon état - «on ne répare pas» - et «pas plus volumineux qu’un micro-ondes». Ses membres ne se déplacent pas non plus, c’est aux donateurs de venir : «Cela fait partie de la démarche du don.» Le magasin (fermé durant les fêtes) reçoit en moyenne 1 000 visiteurs par semaine. «En septembre, on a même dû stopper les dons, on n’avait plus de place.» Aujourd’hui encore, les dépôts sont plus importants que les retraits. Si ces boutiques sont très présentes en Allemagne, le phénomène reste confidentiel en France où seulement 6 à 8 comptoirs ont été recensés par l’association parisienne.

Richard Poirot

Repair café, repaire utile

Ils n'aiment pas jeter, ne supportent pas qu'une panne leur résiste ou n'ont pas 500 euros à claquer tous les trois ans pour un nouvel ordinateur. Ils sont bricoleurs-nés pour les uns, prêts à apporter leur expertise bénévolement. Visiteurs en galère pour les autres, qui viennent avec leurs objets en panne dans les bras, espérant les sauver de la déchetterie. Lieu de rendez-vous : les «repair cafés»,un réseau de réparation gratuite qui apporte une alternative au tout jetable et qui, depuis six ans, ne cesse de grandir à travers le monde.

«On voit surtout du matériel électrique, des ordinateurs, des téléphones, des imprimantes. Et aussi le petit électroménager : sèche-cheveux, cafetière…» explique Koffi Hukportie. Cet ancien technicien «froid et climatisation» est l’âme du repair café de Vauréal, dans la Val-d’Oise. Avec ceux de Paris et de Nice, il fut le premier à ouvrir en France. C’était le 6 avril 2013, lors de la semaine du développement durable, dans la salle des expos de la mairie. 400 personnes ont répondu à l’appel. En face, 25 bénévoles prêts à donner du temps, à partager leur savoir-faire. Depuis, Koffi Hukportie essaime les repair cafés dans son département, à Saint-Prix, Villiers-le-Bel ou Taverny. Dans sa ville, entre 20 et 30 personnes viennent à l’atelier le samedi matin. «Les bénévoles m’ont dit qu’il y avait trop de demandes. Après les fêtes, on ouvrira toute la journée, et le mercredi aussi.»

Le premier repair café est né à Amsterdam. Martine Postma, alors journaliste et conseillère municipale, a organisé un premier rendez-vous dans son quartier. Succès immédiat. «C’était la bonne idée au bon moment», dit Gertrud Maes, une des trois salariés de la fondation Repair café. Six ans plus tard, 953 lieux de réparation participative ont vu le jour, essentiellement en Europe, ouverts sur une base plus ou moins régulière. Les Pays-Bas en comptent le plus grand nombre (325), la France en abrite 54. «Ce n’est pas du tout un public bobo, assure Thibault Lescuyer, responsable du repair café parisien, qui tourne sur plusieurs lieux.On dit qu’on accueille des gens de 7 à 77 ans, mais c’est vraiment ça. Des mamies et des enfants viennent nous voir.» Principe fondateur : réparer ensemble. «On ne dépose pas son objet pour venir le rechercher plus tard, précise Koffi Hukportie. On montre, on explique. Si la personne n’a jamais touché un tournevis, elle peut prendre le tournevis, ou bien elle regarde simplement. Mais il n’y a pas de discrimination à la débrouillardise.»

Les visiteurs restent avec le réparateur, ne serait-ce que pour tenir les deux bouts de fil ou conserver les vis, explique Frédéric Vignaux, vice-président du très actif réseau belge francophone : 68 repair cafés à ce jour, 550 sessions en 2015 et 7 000 réparations réussies sur 10 000 interventions. Ce succès s’explique selon lui par trois raisons : le désir de ne plus gaspiller, de réduire les dépenses, et d’apprendre pour «ne plus subir le diktat des marques ou de la distribution». Les gens ont besoin de reprendre le contrôle des objets du quotidien, explique Frédéric Vignaux, qui déteste «ne pas décider ce [qu’il] doit changer ou ne pas changer».

Ri.P.

La mise en commun des intelligences

«Une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel» : ainsi le philosophe français Pierre Lévy définissait-il, en 1994, «l’intelligence collective», vue comme finalité sociale idéale de l’informatique communiquante… Vieux rêve d’un «hypercortex numérique» porté par bien des pionniers de l’Internet et du Web (1), qui combine le «pouvoir d’agir», offert aux individus par l’ordinateur personnel, et la construction collaborative des savoirs par la libre circulation des connaissances sur le réseau.

Dès le milieu des années 80, à rebours du développement du logiciel propriétaire, l’informaticien américain Richard Stallman initiait le mouvement du logiciel dit «libre», qui promeut la liberté de copier, d’étudier et de modifier le code source. Mais «c’est la montée en puissance du Web qui lui a vraiment permis de se développer», confirme Hugo Roy, membre du conseil d’administration de la Free Software Foundation Europe (FSFE). S’il perce encore difficilement dans le grand public, malgré quelques réussites comme le navigateur Firefox, il s’est en revanche largement imposé chez les hébergeurs. Et Google a bien compris l’intérêt de travailler avec des communautés ouvertes de développeurs : Android, son système d’exploitation mobile, est partiellement libre. Même Microsoft, ces dernières années, s’est rapproché dans une certaine mesure du monde de l’open source. La plateforme en ligne de partage de code GitHub compte quelque 10 millions d’inscrits. Au-delà des arguments mis en avant depuis longtemps par ses promoteurs - valeurs éthiques ou qualité du code -, la transparence apparaît aussi, de plus en plus, comme une réponse face aux dérives du logiciel «fermé» : du scandale de la triche à la pollution chez Volkswagen aux «portes dérobées» dans les équipements réseau de Juniper.

Le partage s’est étendu au matériel (ou open hardware), comme en témoigne le succès des imprimantes 3D, devenues un incontournable des FabLabs (lire ci-contre), ou celui des circuits imprimés du fabricant italien Arduino, utilisés par des «bidouilleurs» d’électronique et de robotique du monde entier. Et, bien sûr, à la connaissance et à la culture : de Wikipédia, forte de près de 2 millions de contributeurs, aux licences Creative Commons, qui permettent à un créateur de définir par avance les conditions de réutilisation de son travail et ont dépassé cette année le milliard d’œuvres concernées (textes, photos, vidéos, etc.). Autant de «biens communs numériques» dont le développement témoigne d’une aspiration grandissante à de nouveaux modes de production, d’échange et de gouvernance.

(1) Le Web, créé en 1989, correspond à la principale applicationd du réseau Internet.

Amaelle Guiton

Des gueuletons pas bégueules

Freeganisme : ce mot-valise (contraction de free et de véganisme) rassemble une communauté resserrée depuis seize ans autour d’une même idée : trouver des alternatives pour éviter le gaspillage alimentaire et réduire la pollution générée par les déchets. Freegan Pony est l’une des innombrables déclinaisons du mouvement. Ce restaurant clandestin a ouvert cet automne dans une zone délaissée, sous le périphérique parisien, près de la porte de la Villette (XXe arrondissement). Il propose, du lundi au vendredi, des repas végan à très bas coût, produits à partir d’invendus et de fruits et légumes moches récupérés à Rungis le matin même. L’entrepôt de 500 m2 ouvert à tous (même aux bobos en quête de sens) se veut solidaire des migrants, sans-abri et prostituées du coin. Une cinquante de couverts y sont servis par des bénévoles. Menacé d’expulsion (le lieu, squatté, appartient à la Ville de Paris), Freegan Pony devrait rouvrir le 8 janvier.

Autre initiative, tous les derniers jeudis du mois, Nathalie Baschet organise, avec les moyens du bord, un dîner pour susciter «le goût de l’autre». Enseignante en français auprès de sans-papiers, elle a vite pigé que ceux-ci avaient besoin de se socialiser, de «sortir de leur vie de l’ombre». Au lendemain de l’occupation de l’église Saint-Bernard, en 1996, elle a eu l’idée, avec le Réseau chrétiens immigrés (RCI) et certains de ses proches, de ces dîners qui mêlent plats français et étrangers afin de favoriser des rencontres entre personnes qui ne se côtoient pas naturellement. La participation est peu élevée, 6 euros. Il suffit de s’inscrire à l’avance (1) et, le jour J, les cuisiniers improvisés se rendent à Château-Rouge (XVIIIe) pour acheter le nécessaire, certains commerçants offrant des «facilités». La vingtaine de convives est accueillie par la mairie du IVe, qui soutient le projet depuis le début.

L’opération, qui s’est développée à Lyon, pourrait prendre de l’ampleur à Paris. Elle vient de donner naissance à un livre, Plats d’existence (éditions de l’Atelier), qui rassemble 54 recettes de 16 pays. Les bénéfices iront à RCI pour aider les demandes de régularisation des sans-papiers.

(1) legoutdelautre@yahoo.fr

M.O et A.S.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique