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Déchéance de la nationalité : "Une utilisation politique de la révision constitutionnelle"

DECRYPTAGE - François Hollande s'apprête à réviser la Constitution de la Ve République. Depuis 1958, le texte fondateur a déjà été remanié 24 fois. Pas forcément pour de bonnes raisons comme l'observe le constitutionnaliste Bertrand Mathieu : "Il y a de plus en plus une utilisation politique de la révision constitutionnelle."

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François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès.
François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès. © Reuters

Le 16 novembre devant le Parlement, François Hollande a annoncé une réforme constitutionnelle, détaillée au Conseil des ministres de mercredi dernier. Deux articles : l'un sur l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution, l'autre sur l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français s'ils portent atteindre à la Nation. Si la classe politique se divise sur le sujet, il fait moins débat parmi les juristes, sceptiques sur le caractère indispensable de cette révision constitutionnelle.

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Lire : Les points-clé de la réforme constitutionnelle

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Entre autres, l'avocat William Bourdon parle dans L'Express d'une "décision absurde"; la juriste Anne-Marie Le Pourhiet dénonce "une révision parfaitement inutile" dans Marianne ; même l'avocat Jean-Pierre Mignard , "l'ami" de François Hollande, se demande sur Europe 1 : "Y a-t-il besoin de mettre cela dans notre Constitution? Rien n'est moins sûr." En guise d'argumentaire, ils citent deux avis du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat, lesquels incitent le législateur à agir sans nécessairement passer par un Congrès.

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"La Constitution est victime de ce qu'a subi la Loi"

Interrogé par le JDD, Bertrand Mathieu , président de l'Association française de droit constitutionnel et professeur à l'université Paris I, connaît bien les arcanes du Congrès. Il été membre de la Commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'Etat en 2002 (révisé dans la Constitution en 2007) avant de participer à la réforme constitutionnelle de 2008. Il partage le constat de ses confrères : "On pourrait arriver au même résultat sans passer par une révision constitutionnelle." "François Hollande se contente d'un ajustement ponctuel. Il va mettre dans la Constitution quelque chose qui ne devrait pas y figurer", argue le juriste.

Depuis 1958, la Constitution a été révisée 24 fois à l'occasion de 19 congrès et d'un référendum (en 2000, pour le quinquennat). Depuis le début des années 2000, les gouvernements recourent davantage à cet outil avec 14 révisions constitutionnelles dont trois d'importance (l'instauration du quinquennat en 2000, la décentralisation en 2003 et la révision institutionnelle de 2008). Une inflation que redoute Bertrand Mathieu : "La Constitution est victime de ce qu'a subi la Loi. On règle dans l'urgence des problèmes qui nécessitent un débat juridique plus approfondi."

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Des révisions qui auraient pu être évitées

Le juriste estime qu'"il y a de plus en plus une utilisation politique de la révision constitutionnelle", et celle que propose François Hollande en est, selon lui, un exemple. Bertrand Mathieu distingue quatre types de révisions constitutionnelles :

- Celles qui sont nécessaires pour s'adapter au droit européen ou international (la ratification d'un traité par exemple).
- Celles qui sont symboliques comme l'introduction de l'abolition de la peine de mort dans la Constitution ou à la reconnaissance des langues régionales comme patrimoine.
- Celles, majeures, qui modifient les éléments centraux de la Constitution, à savoir les institutions. C'est le cas du quinquennat (2000), de la révision de l'ensemble du mécanisme institutionnel (2008) ou encore de l'autonomisation de la Nouvelle-Calédonie (1998 puis 2007).
- Et les "autres", celles qui ont un ressort avant tout politique.

Parmi ces révisions constitutionnelles qui n'avaient pas forcément lieu d'être, Bertrand Mathieu cite en exemple celle du 25 novembre 1993. Les accords en matière de droit d'asile mis en place par le gouvernement Balladur avaient été retoqués par le Conseil constitutionnel. Plutôt que de changer son projet de loi, la cohabitation gauche-droite (Mitterrand à l'Elysée, Balladur à Matignon) avait alors choisi de modifier la Constitution.

"La bonne logique juridique obligerait la Loi à s'adapter à la Constitution, et non l'inverse", regrette le professeur de Paris I qui ajoute : "On ne devrait toucher à la Constitution que lorsque ce changement est indispensable à un but fondamental." A travers leur position unanime, les spécialistes du droit constitutionnel s'alarment que le texte fondateur de la République soit modifié sous le coup de l'émotion.

Source: leJDD.fr

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