En 2015, nos mots ont pris du poids

LE FAIT DU JOUR. La gravité des événements des douze derniers mois se lit aussi dans notre vocabulaire. Rarement il aura été aussi solennel et porteur de valeurs.

Paris (Xe), le 11 janvier. Dans la capitale (ici place de la République), comme dans de nombreuses villes de province, des foules de marcheurs ont exprimé la colère après les attentats contre « Charlie », la solidarité entre Français et rendu hommage aux victimes.
Paris (Xe), le 11 janvier. Dans la capitale (ici place de la République), comme dans de nombreuses villes de province, des foules de marcheurs ont exprimé la colère après les attentats contre « Charlie », la solidarité entre Français et rendu hommage aux victimes. (LP/Philippe de Poulpiquet.)

    Qu'elle semble loin la « bravitude » ! Zappées, les « zlataneries » ! Adieu les « allô », bye le « bling-bling » et autres néologismes rigolos qui donnent un âge à nos conversations. En 2015, nos mots ont pris du poids. « République », « libert?, « laïcit?... Emporté par une actualité dramatique, le vocabulaire, pour ne pas chavirer, s'est lesté de grandes valeurs, laissant de côté â?? pour combien de temps ? â?? les gadgets de la langue.

    « C'est une année épique, et sans frivolité, avec un vocabulaire qui renvoie au choc et à la sidération. Comme disait Georges Perec, c'est le retour de l'histoire avec une grande hache », relève Mariette Darrigrand, sémiologue, chargée de cours à l'université Paris-XIII. Cette gravité, les spécialistes du langage la considèrent avec intérêt. Car les mots de l'année ne sont pas seulement le miroir de douze mois d'actualité. « Ce sont aussi des lanceurs d'opinions, des initiateurs », explique Gilles Guilleron, linguiste et professeur de lettres à l'université de Bretagne.

    Urgence et colère

    En clair, la société se parle et, cette année, elle s'est décrite blessée dans sa chair. « Le terme urgence, très utilisé ces temps-ci, renvoie étymologiquement à une pression exercée par un corps sur un autre, détaille Mariette Darrigrand. De même, le mot colère, très présent depuis plusieurs années dans la parole publique, est issu de la médecine médiévale et désigne la souffrance corporelle. » « Comme après un accident, on fait un constat », souligne Gilles Guilleron. Alors, pour recoller les morceaux, on fait appel aux mots ciments : la fraternité, la liberté, la cohésion nationale, la solidarité, la compassion... « C'est ce qui permet aux gens de se rapprocher, de créer une communaut?, poursuit-il.

    Au Royaume-Uni, la très sérieuse académie du dictionnaire Oxford s'est passée de mot pour décrire 2015. Elle a couronné l'émoticone le plus utilisé au monde dans les conversations SMS : un smiley qui pleure de rire, le visage tout jaune encadré de deux grosses larmes bleues.