Les attaques terroristes de janvier et novembre 2015 ont trouvé les Français unis pour réprouver le fanatisme totalitaire qui les frappait, et dans le même temps elles les ont vus rassemblés autour des valeurs fondamentales de la République. Chacun a pu sentir le prix de la liberté, de l’égalité et de la fraternité qui sont, bien davantage que des valeurs abstraites, l’oxygène que nous respirons et l’horizon auquel nous aspirons. Et cette prise de conscience commune a été la pierre angulaire de notre victoire face au terrorisme. Là où ceux qui nous détestent nous espéraient divisés, ils nous ont trouvés unis ; là où ils nous espéraient perdus, ils nous ont trouvés déterminés ; là enfin où ils nous espéraient faibles, ils nous ont trouvés forts.
Tout l’enjeu pour nous est aujourd’hui de donner à cette magnifique réaction intuitive de la société française la postérité et la pérennité qu’elle mérite. Et si une révision constitutionnelle doit être conduite, c’est d’abord pour servir fidèlement l’unité et la cohésion dont nos concitoyens ont fait preuve dans les jours qui ont suivi les attentats.
Réunir et ne jamais diviser
Chacun peut en effet comprendre et accepter que la liberté doive faire quelques concessions à la sécurité qui la rend praticable. Et, de la même manière, chacun peut se résoudre à lutter ardemment contre les forces qui se sont vouées à notre destruction. Chacun enfin peut entendre qu’il lui faille renoncer à certaines de ses espérances pour consolider le bien commun quand il est si directement menacé.
Tous ces efforts ont été demandés aux Français et ils les ont faits sans tergiverser et sans polémiquer. Cette unité, notre bien le plus précieux, rend ô combien légitimes les alertes qui se multiplient aujourd’hui face à la perspective d’une extension de la déchéance de nationalité.
Ces expressions à la fois sincères et raisonnées émanent de l’ensemble du champ politique et de la société civile. Bien loin des simples pétitions de principe qui, ignorant tout, n’engagent à rien, elles se fondent à la fois sur l’esprit de notre droit et sur l’état de notre société. Toujours elles font valoir l’inanité théorique, l’inefficacité pratique et les effets sociaux délétères d’une mesure trop mal née pour espérer bien vivre.
Elles doivent donc être entendues par l’exécutif comme un rappel à la fois à nos idéaux et à notre réalité. Personne ne s’égare en dénonçant la remise en cause d’une partie du droit de la nationalité dont est porteuse une mesure qui fait des binationaux non des citoyens à part entière mais des citoyens entièrement à part. Et personne ne se trompe en prenant la défense des millions de binationaux concrètement ciblés par cette mesure, d’autant plus brutale et injuste qu’elle est érigée en symbole par ses défenseurs. Or la fonction de tout symbole est de réunir et de ne jamais diviser.
Déni ou reniement
Beaucoup a été écrit sur l’inutilité d’une disposition que peu de responsables parmi les forces de sécurité demandent et qui, en dernier ressort, ne concernera pas grand monde. Et beaucoup a été écrit également sur les risques de discorde dont est porteuse une mesure qui établira de façon inéluctable une séparation de fait entre les citoyens nés français. Cette inefficacité et cette discorde, personne ne les désire aussi ardemment que les terroristes eux-mêmes, dont un des buts de guerre est de nous faire renoncer à ce que nous sommes.
Faire la guerre au terrorisme, c’est donc récuser toute altération profonde de ce que nous sommes – et l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français est bien, en théorie comme en pratique, ce déni ou ce reniement qui conduit la République à espérer survivre en cessant d’être elle-même.
C’est la raison pour laquelle, avec un pragmatisme loyal à nos idéaux, nous proposons de substituer à une mesure inégalitaire de déchéance de la nationalité une mesure égalitaire d’indignité nationale pour tous ceux, quel que soit leur statut dans la nationalité, qui prennent les armes contre leur pays et leurs concitoyens. Il s’agirait d’ôter aux terroristes tous leurs droits civiques, leur passeport, et de leur interdire la fonction publique.
Benjamin Franklin ne se trompait pas en prévenant ses contemporains qu’un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. Quant à nous, nous ne renonçons pas à défendre l’une et l’autre d’un même cœur, puisqu’elles sont concrètement indissociables. C’est la raison pour laquelle nous demandons d’abord au président de la République de donner davantage de moyens aux forces de l’ordre qui nous permettent de vivre en liberté et en sécurité – mais également de renoncer à prendre le risque de la discorde pour s’assurer, en même temps que la sécurité et la liberté, la concorde à laquelle elles concourent.
Anne Hidalgo est maire de Paris et Jean-Pierre Mignard est avocat.
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