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Florilège

2015, une année en mots

par LIBERATION
publié le 1er janvier 2016 à 8h18

EI, COP 21, sextape, macronite... 2015 revisitée en douze mots qui ont marqué l'année.

EI (Etat islamique)

Comment le nommer, cet Etat islamique qui, le 13 novembre, a frappé si durement Paris ? Une organisation terroriste, un groupe jihadiste conquérant, un mouvement de revanche sunnite, à l’image du Hezbollah libanais pour les chiites, une armée de l’Apocalypse hantée par la fin des temps, un proto-Etat, un Etat ? Les experts se chamaillent sur ce sujet de la plus haute importance, puisqu’il déterminera la façon de lui faire la guerre. Peut-être aussi que la constellation dirigée par le calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi correspond à toutes ces définitions ? C’est vrai que l’EI excelle dans la terreur, qu’il recrute des musulmans du monde entier en attisant le feu de la guerre sainte, qu’il estime que les sun­nites ont été spoliés et qu’il est temps pour eux de prendre leur revanche, qu’il s’étend sur tout le Moyen-Orient, ­gagne l’Afghanistan et le Pakistan, s’impose en Libye et qu’il s’emploie à fonder un Etat à cheval sur l’Irak et la Syrie, avec Mossoul et Raqqa pour capitales. Soit une population comprise entre 8 millions et 10 millions d’âmes répartie sur une superficie équivalente à celle de la Grande-Bretagne.

A présent, il y bat monnaie, collecte des impôts et les administrations n'y marchent pas plus mal qu'ailleurs dans le monde arabe. D'où le casse-tête des états-majors occidentaux, russe, iranien, saoudien… impuissants à ce jour devant cette hydre aux têtes multiples. J.-P.P

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 Willkommenskultur

L'allemand étant une langue qui emboîte les mots de manière très poétique, celui de l'année outre-rhin est sans conteste la création magnifique Willkommenskultur. Elle désigne «les mesures prises dans la compassion pour offrir une nouvelle vie à des réfugiés fuyant la guerre en quête de liberté et de sécurité», selon Rudolf Muhr, de l'université de Graz, en Autriche, un homme qui a présidé le jury couronnant cette expression bougrement positive et étonnante. A l'origine, elle vient du vocabulaire touristique et existe depuis des décennies. Mais à partir du mois de septembre 2015, elle a pris un tout autre sens avec l'arrivée de centaine de milliers de migrants. Désormais, elle désigne un phénomène de société  : la fameuse «culture de l'accueil» revendiquée par Angela Merkel et qui contraste avec une France renfrognée. B.G.

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Migrants

Le mot se voulait neutre, il est, dans la bouche de certains, presque une injure, alors qu'il ne fait que décrire le phénomène de personnes en train de se déplacer. Au cours des dernières années, on a utilisé bien des expressions pour qualifier ces êtres qui pour des raisons diverses partent de chez eux pour survivre ou vivre une meilleure vie. On avait ainsi le mot «immigrés», surtout en France, devenu péjoratif avec la montée des sentiments grégaires, qui caractérise les personnes étrangères qui viennent d'arriver, alors qu'au Canada, enfin au Québec, on utilise le terme «plus fréquemment immigrant» pour qualifier une personne en train de s'installer dans un nouveau pays. Les mots «émigré» et «émigrant», très utilisés entre les guerres mondiales, qui font plutôt référence au départ des personnes qui fuient leur pays,n'ont plus cours. Et les grincheux – ceux qui manient le doute et le soupçon – détestent celui de «réfugié», le seul qui peut réellement qualifier la situation de ces dizaines ou centaines de milliers de Syriens qui, tout cet été, ont fui la guerre et à qui les conventions internationales exigeraient qu'on donne l'asile. Leur déplacement pourrait, lui, être qualifié d'exode. H.D.-P.

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COP21

Une fois n'est pas coutume en cette grise année, voilà enfin un happy ­ending. Avec sa flopée d'acronymes, son jargon impossible et sa science des crochets, la 21e Conférence des parties, qui s'est tenue au Bourget jusqu'au 12 décembre, ne le laissait pas forcément présager. Elle a pourtant accouché dans l'euphorie générale de l'Accord de Paris, traité adopté par 195 pays. Outre la sauvegarde du multilatéralisme onusien et la célébration de l'habileté de la diplomatie française, la COP 21 a permis d'embarquer les Etats vers un monde un peu moins apocalyptique, en les invitant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement climatique. L'accord, a minima sur de nombreux aspects, est présenté comme le début de quelque chose. Qu'il faudra juger sur pièce après 2020, date de son entrée en vigueur. I.H.

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«Mein Kampf»

Fayard souhaite republier Mein Kampf augmenté de milliers de pages d'historiens, destinées à rappeler que le livre de Hitler a servi de soubassement à l'idéo­logie nazie. Qui l'ignore ? Etrange idée que de concevoir un avertissement aux lecteurs que l'on imagine monumental, pour dire en gros «ne lisez pas ce texte pour son message». Mais, après tout, pourquoi pas. Le plus étrange dans cette affaire, au-delà du fait de rentrer dans une librairie pour dire : «Bonjour, je cherche Mein Kampf», est de savoir qui va gagner de l'argent avec ce commerce. Fayard a dit : «Pas nous», les bénéfices seront reversés. Mais à qui ? Le Mémorial de la Shoah, à Paris, a dit «pas à nous». On imagine mal qui pourra dire : «Nous, on prend.» Ph.D.

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Sextape

Les footballeurs ont au moins deux smartphones. L'un officiel, avec un ­numéro qu'ils gardent année après année pour conserver les liens qui comptent (la famille, le premier coach durant l'enfance, le journaliste ami). Un autre, moins durable et plus officieux, permet de donner son 06 (ou 07) aux oiseaux de nuit qui vont de pair avec une notoriété grandissante, voire pour les plus coquins de filmer leurs ébats avec leur compagne (officielle ou officieuse). En confiant son portable à de supposés amis censés transférer des données mais qui avaient en fait l'âme de maîtres chanteurs, Mathieu Valbuena a été à l'origine d'un séisme pour le foot français, aboutissant sur la mise en examen et la privation d'équipe de France de Karim Benzema. Il a aussi remis au goût du jour la sextape, cette vidéo érotique supposément à usage privé mais qui finit parfois dans le domaine public (Pamela Anderson, Kim Kardashian, etc.). Le mystère demeure complet quant au scénario exact de l'œuvre filmée de Valbuena, qui n'a pas fuité sur les réseaux sociaux. M.Gr.

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Uberisation

Apparu en 2014 et popularisé par le publicitaire Maurice Lévy sur le mode «uberiser ou être uberisé, that is the question», ce terme a été conjugué à toutes les sauces en 2015 pour pointer le tsunami numérique qui déferle sur l'économie «d'avant» et bouleverse les schémas de pensée et d'organisation. Inspiré par les nouvelles pratiques «disruptives» de l'économie collaborative incarnée par Uber dans le transport urbain, Airbnb dans l'hébergement entre particuliers et Drivy dans la location de voitures personnelles, ce terme désigne le processus par lequel les nouvelles plateformes globales d'échanges rendent subitement ­obsolètes des activités économiques parfois centenaires. Après s'être attaqué au commerce, à la finance, aux médias, aux transports ou encore à l'hôtellerie, l'uberisation risque de chambouler demain l'assurance, la santé, l'énergie ou l'éducation. Plus aucun secteur (ou presque) n'est à l'abri de ce que l'économiste autrichien Joseph Schumpeter appelait dès les années 50 la «destruction créatrice» en décrivant comment la machine à vapeur avait mis fin à l'ère de la diligence au XIXe siècle. Dans un monde qui privilégie de plus en plus l'usage à la ­propriété, l'uberisation ­menace le modèle du salariat, gage de stabilité sociale. Demain tous indépendants ? La question, pour le Nobel d'économie Jean Tirole, est plus de savoir si ces nouveaux modèles seront capables de générer suffisamment d'emplois et à des niveaux de rémunération jugés acceptables par la société. C.Al.

Tiers payant

Expression incompréhen­sible. C’est un tiers qui paye ? Oui, en l’occurrence la Sécurité sociale. Et cela veut tout simplement dire que vous n’avez plus à avancer de ­l’argent quand vous allez consulter un médecin con­ven­tionné. Comme à la pharmacie avec la carte vitale où vous ne payez plus les ­médicaments.

Cette modalité est banale. Elle est déjà en vigueur dans la quasi-totalité des pays européens, sans qu'elle n'ait provoqué la moindre fronde. En France, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a voulu faire de cette avancée le point fort de sa loi santé. Mal lui en a pris, tous les syndicats de médecins lui sont tombés dessus. Il n'empêche, le tiers payant généralisé est lancé, mais son ­application va sûrement prendre un peu plus de temps que ne le prédisait la ministre. E.F.

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Macronite

A défaut d'avoir relancé la croissance, Emmanuel Macron a, cette année, permis d'enrichir la langue. Au début, le dictionnaire a suffi pour qualifier les embardées libérales du ministre de l'Economie : ses propos sur les «illettrés» de Gad ou son souhait de voir de jeunes Français «rêver de devenir milliardaires» étaient à mettre sur le compte de son «inexpérience». En juillet, quand, sortant de son champ de compétences, le même a regretté «l'absence de la figure du roi dans la politique française» ou estimé que «le FN est, toutes choses égales par ailleurs, une forme de Syriza à la française, d'extrême droite», il a fallu trouver autre chose. Simple «macronade», a alors défendu l'ami de Hollande et coach politique de Macron, Julien Dray : la singularité du ministre, d'ordre comportementale, était de dire ce qu'il pense sans tabou. Mais en août, quand Macron a ravalé la réduction du temps de travail au rang des «fausses idées», il n'a plus été question dans les rangs socialistes que de «macronerie», le suffixe renvoyant cette fois directement à ânerie. Quand, à un mois des régionales, le ministre a jugé le statut des fonctionnaires «inadéquat», puis estimé que se faire élire député était un «cursus honorum d'un ancien temps», c'est à Jean-Luc Melenchon que Macron a semblé donner raison. Le leader du Front de gauche avait, lui, mis en garde contre la «macronite», une inflammation de l'ego. N.R.

A retrouver notre dossier Macron, la gauche contrariée

Syriza

En français, l'acronyme de la Coalition de la gauche radicale grecque évoque le mot cerise. Mais à Athènes, le temps des cerises aura été de courte durée pour le premier parti anti-austérité jamais arrivé au pouvoir en Europe. Dès son élection, le 25 janvier, le gouvernement d'Aléxis Tsípras est absorbé par les négociations avec les créanciers du pays qui avaient tout fait pour éviter son arrivée au pouvoir. Jusqu'à la reddition finale du 13 juillet, qui force Syriza à accepter de se soumettre à un nouveau plan d'austérité. Le parti qui incarnait l'alternance en sort brisé et divisé, mais son combat perdu révèle aussi le déni démocratique de Bruxelles qui aura fait plier la Grèce en menaçant de l'exclure de la zone euro. M.M.

A retrouver notre dossier Quel avenir pour la Grèce ?

Brexit

Le mot est issu de Britain (Royaume-Uni) et Exit (sortie). Il copie le concept du Grexit évoqué lors de la crise grecque et qui faisait référence à l'éventualité de la sortie de la Grèce de l'eurozone. Le Brexit évoque, lui, une sortie de l'Union européenne. En janvier 2013, le Premier ministre britannique, David Cameron, avait promis l'organisation d'un ­référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne. Cette annonce ­visait à satisfaire l'aile droite et eurosceptique de son parti conservateur et à freiner la montée du ­petit parti europhobe du Ukip. Le référendum doit être organisé avant fin 2017. En attendant, ­David Cameron tente de négocier des aménagements de la position du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne, une tâche qui s'avère difficile. Selon les derniers sondages, les camps du oui et du non sont à peu près à égalité. S.D.-S.

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Fifagate

Des types avec le brassard du FBI qui vont ramasser les édiles du foot mondial dans les hôtels de luxe de Zurich deux jours avant la réélection du Suisse Joseph Blatter à la tête de la Fédération internationale de football. Ce même Blatter qui démissionne quelques jours plus tard sous le poids de pressions issues en partie du monde extérieur au football, un illustre prétendant à sa succession (le Français Michel Platini, encore auréolé de la grâce qu'il avait joueur) rattrapé par une affaire ou prétendue telle alors qu'il n'avait plus qu'à s'asseoir dans le fauteuil de président… Avec le recul, ­l'année 2015 aura marqué dans le monde du ballon une sorte d'année zéro : s'estimant gendarmes du monde, les Etats-Unis, effrayés par les sommes hors de contrôle exhumées lors du ­passage de certains pots-de-vin aux Bermudes, en Floride et à New York, franchissent les frontières du sport et s'immiscent dans les affaires du foot. Reste à savoir où ils comptent l'emmener. G.S.

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