Editorial du « Monde ». Année terrible, 2015 l’a été avant tout parce qu’elle a sans cesse contraint nos démocraties à subir. A endurer l’horreur, comme en France, frappée, de janvier à novembre, de Charlie au Bataclan, par les coups les plus cruels du terrorisme djihadiste. Mais aussi à ne plus envisager l’actualité que comme une interminable série de réactions en chaîne : les guerres au Moyen-Orient déclenchant les flots de réfugiés raidissant les populations européennes alimentant l’audience des partis nationalistes provoquant in extremis, comme aux élections régionales françaises, un sursaut républicain évitant une prise de contrôle du Front national sur de vastes territoires.
Partout, ballottés par la brutalité des événements, les gouvernants occidentaux ont été contraints à des postures défensives, à des gestions de court terme. Nulle part, ils n’ont semblé en mesure de revenir, après la gestion des conséquences immédiates, au traitement de fond des causes multiples – religieuses, sociales, économiques, culturelles, identitaires – sur lesquelles prospère « l’idéologie de la séparation », pour reprendre l’expression utilisée par l’historien Patrick Boucheron dans sa récente, et passionnante, leçon inaugurale au Collège de France – nous en publions de larges extraits dans cette édition.
A une seule exception, cependant : celle de la COP21, organisée si près, dans le temps et l’espace, des lieux des massacres parisiens du 13 novembre. A cette occasion, les dirigeants de 195 Etats ont donné l’impression d’avoir retrouvé le sens du temps long et la volonté de construire un destin commun. Au cours d’une négociation, dirigée de main de maître par la diplomatie française, ils ont su renouer le fil de pratiques – le dialogue, le compromis – qui ont permis à l’humanité d’échapper aux âges barbares de la guerre de tous contre tous.
Deux chantiers majeurs
Il faut espérer que 2016 saura s’inspirer de cette brève parenthèse de concorde dans l’année violente qui vient de s’achever. Il faut souhaiter que les hommes de bonne volonté sauront y trouver des moyens d’agir et plus seulement l’obligation de subir.
Deux chantiers majeurs s’y présentent devant eux. Celui d’une relance de la construction européenne, dont la crise des réfugiés vient de démontrer qu’elle n’était plus qu’une fiction. Et celui de la rénovation complète, et urgente, de la vie politique française. De ce point de vue, les dernières semaines ne manquent pas d’inquiéter, après la surenchère de bonnes intentions qui a suivi les élections régionales. Quelle que soit sa formation, le personnel politique semble très vite revenu à ses habitudes et à cet entre-soi qui empêche tout renouvellement en profondeur de ses effectifs. Il a été repris par la routine de la préparation de l’échéance qui écrase notre système démocratique : l’élection présidentielle.
La demande de rénovation n’en demeure pas moins forte, bien au-delà des électeurs tentés par le vote Front national. Mais elle ne s’adresse pas qu’aux hommes politiques : elle exige de tous les acteurs de la société civile, et notamment des médias, qu’ils s’impliquent dans cette réflexion. Le Monde, comme l’a écrit récemment notre médiateur, a reçu de nombreux messages en ce sens. Il ne se dérobera pas. Il continuera à utiliser toute la liberté que lui assure l’indépendance de sa rédaction, tout autant qu’à assumer les responsabilités que cela lui donne.
Cela passe par l’enrichissement, tant dans le quotidien que sur les supports numériques, de tous les formats de notre journalisme, de l’enquête au reportage, en passant par la vérification des faits et le décryptage des rumeurs. Egalement par la création de nouveaux suppléments, dans le cadre d’une offre week-end étoffée, pour mieux rendre compte des débats qui traversent notre société, mais aussi, loin du discours décliniste ambiant, de tout ce qui change, de tout ce qui avance dans le monde proche ou lointain.
En 2016, surtout, Le Monde s’efforcera d’organiser de multiples rencontres autour des thématiques de la refondation politique. Avec, comme point d’orgue de ces échanges, la troisième édition du Monde Festival, dont le thème sera justement : « agir ». Ces rencontres seront notamment à destination des jeunes, de plus en plus nombreux à s’éloigner de la citoyenneté ou à être tentés par le vote protestataire. Au-delà de 2016, c’est un des enjeux majeurs de l’avenir de notre société : notre capacité commune, comme le dit Patrick Boucheron des historiens, à « convaincre les plus jeunes qu’ils n’arrivent jamais trop tard ».
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu