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Facebook contre «l'Origine du monde», le match en appel

Un tribunal français peut-il juger Facebook ? La cour d'appel de Paris examinait ce mardi le cas d'un internaute qui, depuis 2011, poursuit le réseau social pour atteinte à la liberté d'expression.
par Amaelle Guiton
publié le 5 janvier 2016 à 20h01

Les internautes français pourront-ils un jour poster sur leur profil Facebook une reproduction de l'Origine du monde, le fameux tableau de Gustave Courbet représentant un sexe féminin, sans risquer les fourches caudines de la censure venues de la Silicon Valley ? Avant même de pouvoir en décider, encore faut-il que la justice française soit compétente en la matière. C'est tout l'enjeu d'une procédure judiciaire qui dure depuis plus de quatre ans et revenait, mardi matin, devant la cour d'appel de Paris, laquelle doit se prononcer le 12 février.

Un enjeu de territorialité

Rappel des faits : en février 2011, un professeur des écoles, utilisateur du réseau social, voit son compte suspendu. Son «crime» : avoir posté sur sa page de profil un lien vers un documentaire retraçant l'histoire de l'Origine du monde, diffusé par Arte. Avec, en illustration, le fameux tableau. Ses réclamations après sa suspension étant restées sans réponse, il décide de traîner Facebook en justice, pour atteinte à la liberté d'expression. Problème : pour la firme de Menlo Park, les tribunaux français n'ont pas à mettre le nez dans sa politique de modération. En effet, si on suit à la lettre les conditions générales d'utilisation que l'internaute a signées, seul le tribunal de Santa Clara, en Californie, où l'entreprise a son siège, peut trancher un litige avec un utilisateur.

Une clause que l'avocat du plaignant, Me Stéphane Cottineau,considère comme «abusive et déséquilibrée». En mars dernier, le tribunal de grande instance de Paris lui a d'ailleurs donné raison, en se déclarant compétent pour juger la société californienne. A la grande déception de cette dernière, qui a immédiatement fait appel.

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Ce mardi, devant la cour d'appel, chaque partie a de nouveau rappelé ses arguments, comme le rapporte l'AFP. Pour l'avocate de Facebook, le code de la consommation, qui prévoit la saisine d'un tribunal du ressort du consommateur, ne s'appliquerait pas : d'une part parce que, l'adhésion au site étant gratuite, l'internaute ne pourrait être considéré comme un consommateur – argument plus que discutable, le modèle économique de l'entreprise étant construit sur l'usage de ses données. D'autre part parce que le plaignant, «photographe free-lance», aurait eu un usage professionnel de sa page de profil – ce qu'il conteste.

Une politique de modération mise en cause

Pour Me Cottineau, «Facebook utilise tous les arcanes du droit pour éviter d'être jugé en France», de peur «que ce dossier fasse jurisprudence». De fait, l'affaire concerne potentiellement tous les grands services en ligne établis dans la Silicon Valley… Pour Facebook, elle est d'autant plus sensible que sa politique de modération est plus que jamais pointée du doigt. Quand le réseau social censure sans état d'âme des œuvres d'art pour cause de nudité non conforme à ses «standards de la communauté» – outre l'Origine du monde, des études de nu de Laure Albin Guillot sur la page du centre d'art du Jeu de Paume en 2013 ou des photographies de Clémence Veilhan sur celle de la galerie Laure Roynette en 2014 –, il est de plus en plus critiqué pour son manque de réactivité quant à d'autres types de contenus. Derniers exemples en date, une vidéo montrant de jeunes jihadistes belges appelant à commettre des attentats en Europe ou tout récemment celle, mise en ligne ce week-end, qui a motivé ce mardi l'ouverture par le parquet de Perpignan d'une information judiciaire pour «viol en réunion» à l'encontre de deux hommes.

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