
C’est un classement d’universités qui pourrait vite « changer la donne, devenir l’un de ceux qui vont compter dans le monde », prédit Philippe Oster, directeur de la communication d’HEC. LinkedIn, le puissant réseau social professionnel qui revendique 400 millions d’abonnés à travers la planète, dont 10 millions en France, expérimente, en effet, un outil qui pourrait révolutionner l’orientation dans le supérieur et bousculer la hiérarchie des établissements établie par les classements classiques, Shanghaï, Times Higher Education ou Financial Times.
La promesse est la suivante : « Plus que jamais, indique le réseau social, les étudiants vont à l’université pour obtenir un emploi, un bon emploi. A cette fin, ils veulent savoir quelle université leur donnera la meilleure chance d’obtenir un poste enviable. C’est là que nous pouvons aider. » Quand les palmarès traditionnels décomptent les Prix Nobel, les publications scientifiques ou les salaires des anciens, LinkedIn mesure la « valeur » d’un établissement à la carrière de ses diplômés. « Un changement de paradigme », note M. Oster. Et le réseau se fait fort d’indiquer à chacun où il devrait étudier en fonction de son objectif professionnel. Travailler dans la finance aux Etats-Unis ? LinkedIn conseille d’intégrer l’université de Pennsylvanie. Devenir marketeur au Royaume-Uni ? Postulez à la London Schools of Economics, propose le réseau social.
Une mine d’or
Pour en arriver là, LinkedIn a analysé le parcours professionnel de ses millions de membres, une mine d’or qu’il est le seul à posséder. Exemple avec le développement de logiciels. Il a, d’une part, déterminé les entreprises les plus convoitées et celles qui retenaient le mieux leurs salariés pour ce secteur d’activité (comme il le fait pour les autres). D’autre part, il a regardé où les développeurs inscrits sur le réseau ont fait leurs études, sachant que seul un diplôme obtenu moins de huit ans auparavant est pris en compte afin de réfléter les tendances d’emploi les plus récentes. En combinant ces éléments, LinkedIn a calculé pour chaque université le pourcentage d’anciens élèves ayant trouvé un travail en développement de logiciels dans les entreprises les plus convoitées. Et il en a tiré un classement.
Pour l’instant, cet outil créé en 2014 est encore limité aux Etats-Unis, Royaume-Uni et Canada. Et un petit nombre de secteurs. Et la France ? « Nous n’avons pas d’annonces à faire à ce stade », indique Charles Hardy, responsable du développement éducation Europe-Moyen-Orient-Afrique chez LinkedIn. « Ils ne vont certainement pas tarder à intégrer la France, pronostique toutefois M. Oster. Dix millions de Français sont inscrits sur ce réseau social, soit un tiers de la population active. LinkedIn a donc suffisamment de données pour se lancer. » Au reste, il est déjà possible d’obtenir quelques éléments sur la France, et d’autres pays, en utilisant le moteur de recherche personnalisable que LinkedIn a mis en place pour trouver un établissement. Point de classement ici, mais une recherche effectuée parmi les données brutes du réseau. En fonction d’un secteur, d’une entreprise et d’un pays, le réseau propose une liste d’établissements « populaires ».
Limité, le classement l’est aussi dans sa conception. Tous les établissements et tous les secteurs ne sont pas également représentés sur LinkedIn. La taille de l’université est également un biais. Par ailleurs, les personnes inscrites « font leur autopromotion, rappelle Ellen Hazelkorn, professeur au Dublin Institute of Technology et spécialiste des classements. En conséquence, l’information est partiale et limitée, et reflète les trajectoires de carrière des personnes participant à un ensemble restreint d’universités du monde entier. Il s’agit donc d’une méthode scientifique extrêmement douteuse. Ces limites sont, certes, peu susceptibles de dissuader les gens de l’utiliser ».
Une « révolution »
De fait, l’argument de vente est puissant : les prescriptions de LinkedIn sont fondées sur une base de données immense. Elève à l’Edhec, Nicolas Planchon trouve le classement « très pertinent », davantage que les classements classiques. « Quand on cherche une école, justifie-t-il, savoir que l’une ou l’autre compte tel pourcentage de femmes parmi ses chercheurs, ce n’est pas très intéressant. C’est pourtant un critère du classement du Financial Times. Quant aux enquêtes d’insertion faites par les établissements, tout le monde en rigole. Les diplômés qui y participent racontent ce qu’ils veulent. Et personne ne leur demande leur fiche de paye. En revanche, on ne peut pas mentir longtemps sur son profil LinkedIn. »
Le potentiel de ce classement n’a échappé à personne. « On a un peu l’impression de ramer sur un petit canot face aux gros filets de LinkedIn, reconnaît François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise. Son classement est complémentaire à nos enquêtes d’insertion, mais il a toutes les chances d’être plus efficace et de les balayer. »
« Notre promesse aux étudiants et aux familles, rappelle Jean-François Fiorina, directeur général de Grenoble école de management, c’est un accès privilégié à l’emploi. Dorénavant, il faudra le prouver de manière détaillée. » Ce qui se prépare n’est rien moins qu’une « révolution », abonde Henri Isaac, maître de conférences à Paris-Dauphine.
Les écoles et, surtout, les universités ne le mesurent pas encore très bien. Le classement demeure mal connu. Mais tous perçoivent déjà que leur visibilité dépend de plus en plus de la présence des diplômés sur LinkedIn. « Nous apprenons à nos élèves à exister en tant que professionnels sur les réseaux sociaux, assure M. Fiorina, à définir le message qu’ils veulent faire passer. Plus ce sera le cas, plus nos écoles apparaîtront. » Certains envisagent même de relier leur base de scolarité à LinkedIn.
« Pour être bien représenté, il faut d’abord procurer une formation de qualité, rappelle M. Oster. Mais on ne peut pas piloter ce classement. Il nous faut donc mobiliser les anciens à être présents sur le réseau. » L’été dernier, l’université Panthéon-Sorbonne se flattait de compter 97 000 abonnés sur LinkedIn. « Plus de 4 000 alumni vous attendent sur notre groupe LinkedIn », tweetait l’université Paris-Est-Créteil en octobre. Mais les autres ? « Elles vont vite percuter », prédit François Germinet. Un hommage, finalement, au potentiel de ce classement.
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