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La plus vieille usine de France s'arrête aujourd'hui

Dans les Vosges, la papeterie de Docelles, fondée vers 1478, ferme vendredi. Arnaud Montebourg dit vouloir « chercher un repreneur qui accepte d'utiliser ses capacités d'exportation ».

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Publié le 22 janvier 2014 à 10h05, modifié le 24 janvier 2014 à 10h04

Temps de Lecture 4 min.

Site de l'usine, à Docelles (Vosges), en 2010.

La plus vieille usine de France va-t-elle être rayée de la carte ? A Docelles, dans les Vosges, se joue ces jours-ci une histoire hautement symbolique. Une affaire qui mobilise les pouvoirs publics et en dit long sur l'industrie française, ses heurs et malheurs, ses fragilités.

Ses atouts aussi : le site, où les machines s'arrêtent vendredi 24 janvier, intéresse un industriel indonésien qui n'exclut pas de le sauver. A moins qu'il ne soit repris par ses ouvriers… « En tout cas, ce n'est pas possible qu'on laisse à l'arrêt une belle usine comme cela ! », veut croire Christian Tarantola, le maire divers gauche du village.

« Nous cherchons un repreneur qui accepte d'utiliser ses capacités d'exportation pour la reprendre », a affirmé, jeudi 23 janvier, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg au micro d'Europe1. « Je ne suis pas certain que l'on y arrive », a-t-il toutefois ajouté, rappelant les difficultés que traverse le secteur du papier.

Pour le grand public, Docelles est resté ce bourg perdu où, un soir de 1984, le corps ligoté d'un enfant de 4 ans a été découvert dans les eaux froides de la Vologne. Il s'appelait Grégory Villemin.

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Mais, durant des siècles, la Vologne avait au contraire assuré le bonheur et la prospérité de Docelles, la « cité du papier ». De l'eau et des forêts : au XVe siècle, il n'en fallait guère plus pour que les moulins à papier se multiplient autour d'Epinal. A la grande époque, Docelles en comptait cinq. Dont celui dit du Grand Meix, le seul site encore en activité.

CE PETIT MOULIN A SURVÉCU À TOUT

Son origine reste un peu floue. Certains historiens datent sa création de 1478, d'autres de 1510. Sur la façade actuelle, une plaque mentionne une autre année encore, 1452. Seule certitude : ce petit moulin devenu une vraie usine avait jusqu'à présent survécu à tout. Au gel, aux crues, à la guerre de Trente Ans qui avait laissé des trous béants dans les murs, à d'innombrables changements de propriétaires, à la Révolution, à deux conflits mondiaux.

Cette résistance en fait la plus ancienne papeterie d'Europe, et l'une des plus anciennes usines de France, sinon la plus ancienne, tous secteurs confondus.

Aujourd'hui encore, Docelles emploie 165 personnes et fabrique du papier pour photocopie, pour les enveloppes ou encore les notices pharmaceutiques. Plus pour longtemps. Toute la production doit s'arrêter vendredi. Les 165 lettres de licenciement devraient partir la semaine du lundi 27 janvier au vendredi 31 janvier. Ainsi en a décidé UPM, le papetier finlandais propriétaire des lieux depuis 1978.

Pourtant, l'usine n'a rien de vétuste. « Certains bâtiments sont un peu anciens, mais la machine, elle, est assez récente et performante, témoigne Emmanuel Kohler, le secrétaire du comité d'entreprise. En 2006, un investissement de 26 millions d'euros a permis d'augmenter la production de 30 %. »

Docelles est « une installation très flexible, qui permet de produire efficacement de petites séries, confirme un papetier. Le tout est d'abandonner les produits standards et de monter en gamme. C'est risqué, mais jouable. »

Les dirigeants d'UPM, eux, ont un autre regard. En Europe, la consommation des papiers comme ceux produits à Docelles recule d'année en année, à cause notamment de la baisse du courrier. Le finlandais se retrouve donc avec des surcapacités de production.

En moyenne, ses usines ne tournent qu'à 80 % de leur potentiel. D'où la décision d'abandonner la plus petite, celle des Vosges, et de répartir la production entre ses autres sites.

PLAN SOCIAL

Il y a un an, UPM s'est mis en quête d'un repreneur. Une solution a émergé, montée par Emmanuel Druon, propriétaire de Pocheco, un fabricant d'enveloppes, client de Docelles depuis vingt ans. Pendant des mois, ce patron atypique, chantre de l'économie écologique, a mis au point un plan pour sauver l'usine en la réorientant vers des produits à plus forte valeur ajoutée. « C'est un site qui tourne bien, plaide-t-il. Mais il a été fragilisé, parce qu'UPM a externalisé les approvisionnements puis le service commercial, dans une logique purement financière. »

Soutenu par la Société générale, le personnel et les pouvoirs publics, ce dossier est néanmoins tombé à l'eau en décembre 2013. M. Druon demandait à UPM de lui laisser 18 millions d'euros en caisse pour relancer l'affaire. « C'est moins que les 30 millions que risquent de lui coûter le plan social et la fermeture », argumentait-il.

UPM a jugé ce plan trop optimiste. En cas d'échec, le groupe pouvait craindre d'être appelé en responsabilité, et d'avoir à payer le plan social après avoir financé la reprise. « Peut-être ne voulait-il pas non plus donner un coup de pouce à un possible concurrent », glisse un professionnel.

Les dirigeants scandinaves ont en tout cas choisi de fermer Docelles et de licencier tout le personnel, dans le cadre d'un plan social jugé unanimement généreux.

Le dossier n'est pas clos pour autant. UPM se dit prêt à étudier des offres de reprise de l'usine après sa fermeture. Deux pistes sont déjà à l'étude. Le premier projet émane de Paper Excellence, un industriel d'origine indonésienne qui a déjà investi en France en 2010 en achetant les usines de pâte à papier de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) et de Tarascon (Bouches-du-Rhône). Pour l'heure, ce dossier semble cependant à l'arrêt.

La seconde piste est suivie par les salariés eux-mêmes. Ils préparent la création d'une coopérative de production. « Nous pourrions reprendre au moins 90 personnes », avance Sébastien Saget, délégué CGT, qui espère entrer sous peu en négociations avec UPM.

Dans le meilleur des cas, la papeterie pourrait ainsi être mise en sommeil quelques mois, puis réveillée, comme celle d'Alizay (Eure) relancée en juin 2013 par un Thaïlandais après plus d'un an de fermeture. Sinon, une histoire industrielle de plus de cinq cents ans sera définitivement achevée.

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