« Le 9 janvier 2013, trois militantes kurdes étaient assassinées à Paris. Qui le sait? » La banderole barre l'estrade installée place de la Bastille, au centre de la capitale française, où des milliers de Kurdes venus de toute l'Europe ont réclamé samedi « paix » et « justice ».

Alors que Paris commémore les attentats djihadistes qui ont fait 17 morts il y a un an, les Kurdes pleurent trois « combattantes de la liberté » qui n'ont « toujours pas obtenu justice ».

Entre 7000 (selon la police) et 10 000 personnes (selon les organisateurs) ont aussi dénoncé la passivité de l'Europe face aux « crimes du régime turc » contre les Kurdes, « en première ligne » contre les djihadistes en Syrie.

« Non à l'impunité des crimes politiques », ont scandé les manifestants, trois ans jour pour jour après l'assassinat de Sakine Cansiz, 54 ans, une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) réputée proche de son chef historique Abdullah Öcalan, Fidan Dogan, 28 ans, et Leyla Saylemez, 24 ans.

Elles ont été tuées de plusieurs balles dans la tête au siège du Centre d'information du Kurdistan, dans le Xe arrondissement de Paris. L'exécutant présumé des crimes, un Turc de 33 ans nommé Omer Güney, a été renvoyé devant les assises mais les enquêteurs suspectent une implication des services secrets turcs, le MIT, dans leur préparation.

« Silence de la France »

« Trois ans après, la justice n'a encore apporté aucune lumière sur les commanditaires de cet attentat. Que signifie le silence de la France? », a lancé à la foule Xane Ozbek, militante du Conseil démocratique kurde, qui regroupe plusieurs associations en France.

Le visage des trois militantes est partout, sur des fanions ou drapeaux mauves brandis par la foule, compacte. Beaucoup de femmes, des familles avec poussettes, des grappes d'adolescents venus d'Allemagne, d'Espagne, de Suisse ou des Pays-Bas.

Au son d'un chant révolutionnaire kurde, le cortège a défilé jusqu'à la place de la Bastille, après une halte au siège du CIK où des gerbes de fleurs avaient été déposées trois jours plus tôt.

Au premier rang d'un défilé hérissé de centaines de drapeaux aux couleurs du PKK et de portraits d'Öcalan, les proches des trois femmes ont marché en silence.

Le frère de Sakine, Haydar Cansiz, qui vient tous les ans d'Allemagne, est touché par l'ampleur de la marche : « Le combat de Sakine continue. Elle a été une grande militante de la cause kurde mais aussi de la liberté, des femmes ».

Des femmes qui « sont une force de mobilisation et qui effraient le pouvoir turc » pour Nursel Kilic, présidente du Mouvement des femmes kurdes.

Dans le cortège, les plus jeunes sont en colère. « Les Kurdes portent le combat contre les djihadistes en Syrie », mais le régime du président Recep Tayyip Erdogan « massacre les Kurdes », dénonce Huseyin Guzel, venu de Lausanne. « L'Europe regarde mais ne fait rien. Ça suffit!».

Sur le qui-vive, le service d'ordre inspecte chaque poubelle, soulève les bâches de scooters. « Nous, cela fait longtemps qu'on connaît ça, la guerre dans nos rues », explique un ancien.

Perchée sur un camion, Xane Ozbek dénonce une « Turquie qui négocie son adhésion à l'Union européenne alors que depuis les législatives [de novembre], elle a déclaré la guerre aux Kurdes ».

Au premier rang, la députée turque Figen Yuksekdag, coprésidente du principal parti prokurde HDP, poursuivie pour « crime constitutionnel » après avoir parlé d'autonomie pour les régions kurdes.

« Nous sommes tous poursuivis, menacés, relève un vieux militant. Qui fera quelque chose si la France se tait? »