L'acteur Sean Penn serrant la main du traficant de drogue Joaquin "El Chapo" Guzman fait la Une le 10 janvier 2016 du quotidien mexicain "El Universal"

L'acteur Sean Penn serrant la main du traficant de drogue Joaquin "El Chapo" Guzman fait la Une le 10 janvier 2016 du quotidien mexicain "El Universal".

afp.com/ALFREDO ESTRELLA

A l'image de Vincent Chase, le héros de la série Entourage désireux d'incarner Pablo Escobar dans un biopic, pléthore d'acteurs et de réalisateurs restent fascinés par les barons de la drogue. Dans cette optique, en octobre dernier, Sean Penn a rencontré Joaquin El "Chapo" Guzman. De son côté, Ridley Scott a aussi annoncé, en juin dernier, vouloir réaliser une oeuvre sur le célèbre Mexicain. Hollywood et narcotrafiquants, une relation complexe, qui oscille entre fascination et répulsion.

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Les narcos, une source d'inspiration pour la fiction

Les barons de la drogue ne sont jamais contre une certaine médiatisation. "C'est par péché d'orgueil et de mégalomanie, analyse Thierry Noël, historien latino-américaniste, auteur de Pablo Escobar, histoire d'un trafiquant de cocaïne, aux éditions Vendémiaire. Ce dernier cherchait quelqu'un pour écrire sa biographie de son vivant. "Mais la fiction n'est pas le seul canal apprécié par le crime organisé pour chanter ses exploits. "Au Mexique, des morceaux retranscrivent les aventures des barons. Ces chansons sont reprises par les classes moyennes et populaires," note Jean Rivelois, chercheur de l'INED, enseignant à Paris I et Paris III, spécialiste des phénomènes de violence et de corruption.

De leur côté, les aventures des barons de la drogue sont une source d'inspiration presque inépuisable pour les scénaristes. Et pour cause. Comme le personnage désormais culte de Tony Montana dans Scarface, de puissants narcotrafiquants sont partis de rien. C'est le cas de Pablo Escobar ou encore plus récemment d'El Chapo. "Leurs parcours sont passionnants pour cette raison. Ils ne sont personne et arrivent à prendre la tête de multinationales du crime. Est-ce que le cinéma provoque une identification au crime organisé? C'est une bonne question. On peut aussi se demander si cette identification n'existe pas déjà," commente Jean Rivelois,

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Une violence édulcorée

L'industrie du cinéma est aussi une porte d'entrée vers un autre monde pour ces infréquentables. "Le rêve du mafieux est d'intégrer la haute société. Rien de tel que de passer par le monde du spectacle", remarque Alain Rodier. D'ailleurs, lorsque la violence est évoquée ou montrée, elle reste esthétique et édulcorée." Quand ces criminels sanguinaires se mettent en scène, ils gomment ce qui n'est pas présentable. Au Mexique, sous le président Felipe Calderon de 2006 à 2012, les cartels ont tué 70 000 personnes et fait disparaître 30 000 autres, poursuit-il. C'est énorme. On oublie qu'en termes de violences, ils n'ont rien à envier à l'organisation EI: décapitations, démembrements, corps pendus en plein jour. La violence sordide des cartels est rarement retranscrite sur grand écran". Selon lui, La Cité de Dieu, un film brésilien sorti en 2002, est l'un des seuls opus à montrer l'embrigadement des jeunes dans les cartels. Il est très loin des grosses productions hollywoodiennes. Pourtant, en 2015, Sicario de Gilles Villeneuve est parvenu à proposer un thriller impeccable et glaçant sur les méthodes de ces cartels...

"Les sicario sont recrutés jeunes. Garçons ou filles, sont dans un premier temps torturés et violés. Puis, ils sont formés eux-mêmes à torturer à leur tour des innocents, en leur ouvrant les genoux avec une perceuse, en les émasculant avec une fourchette, après ça, ils sont prêts à tout faire," rappelle Alain Rodier. Car l'un des dangers des films sur les trafiquants de drogue restent la complaisance et l'admiration malsaine. C'est le cas pour Thierry Noël de Lost paradise,sorti en 2014 avec Benicio del Toro. "On est dans le mauvais goût absolu. Pablo Escobar y est diabolisé à outrance. L'admiration est palpable".

Un autre écueil des films sur les narcos à Hollywood? "Leur vie est fantasmée. Leur quotidien présenté comme glamour est bien plus minable en réalité. Les filles, l'alcool, la fête sont pourtant les seules choses qui sont mises en avant", insiste Thierry Noël.

Un pouvoir pédagogique

Cependant, le cinéma et les séries peuvent parfois avoir un rôle pédagogique pour expliquer ces organisations criminelles. "Un film, lorsqu'il est bien fait, ne joue pas, sur l'aspect sensationnel mais sur le côté didactique", explique Jean Rivelois. L'ambition est de montrer, non pas l'ascension d'un chef, mais plus largement les conditions qui permettent l'émergence et l'épanouissement du narco trafic. "Si El Chapo meurt, le système perdurera. Il est l'ennemi public numéro 1. Cependant, on s'intéresse moins sur grand écran aux banquiers qui blanchissent l'argent de la drogue. Ils sont essentiels aux rouages. C'est regrettable", précise-t-il. En dehors d'Hollywood, la peinture du crime organisée est plus subtile. Le film européen Gomorra, tiré du livre et du documentaire, expose une version plus crue, plus violente, qui démystifie leurs acteurs. En un mot, moins de manichéisme, d'admiration malsaine pour plus de réalisme.

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La réussite de la série de Netflix Narcos et les projets en perspective ne risquent en tout cas pas de s'arrêter. Pourquoi le retour de ce genre aujourd'hui aux Etats-Unis, déjà populaire dans les années 80? Thierry Noël y voit trois raisons. D'abord, le phénomène des narcotrafiquants est ancien mais ancré en Amérique Latine. Ensuite, l'historien estime que les productions d'Hollywood illustrent souvent les intérêts de la politique extérieure américaine. "Les Etats-Unis s'intéressent de nouveau au continent. Les films et séries sur le sujet se sont donc multipliées," remarque Thierry Noël. Enfin, selon lui, le pays ne peut pas négliger la communauté latino, première minorité du pays, en demande de ce type de programmes, "même si les narcotrafiquants offrent une image peu valorisante et réductrice du continent" poursuit-il.

"Le cinéma et la mafia s'influencent mutuellement "

Mais narcotrafiquants, mafias, crime organisé empruntent aussi parfois certains codes au cinéma. "L'un et l'autre s'influencent mutuellement, analyse Alain Rodier*, directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement. Le Parrain mettait en scène Marlon Brando, à qui l'on venait baiser la main. Cette pratique ne correspondait en rien à la réalité. Mais elle a tellement plu qu'elle a été reprise." Autre exemple en août 2015: un chef présumé d'une organisation criminelle est aussi enterré en grande pompe, avec la musique du classique de Francis Ford Coppola. Tout un symbole.

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