Entretien « Oubliés du terrorisme... »

Le 26 juin, Hervé Cornara, était la victime d’un effroyable assassinat. Un acte terroriste dont l’auteur s’est suicidé en prison. Aujourd’hui, sa femme, Laurence, Kévin, son fils, se considèrent comme des oubliés.
Propos recueillis par Geoffrey MERCIER. - 13 janv. 2016 à 05:00 - Temps de lecture :
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Pour Laurence Cornara, « Quand on écoute les hommages,  on a la sensation d’être oubliés ».  Photo Le Progrès/Richard MOUILLAUD
Pour Laurence Cornara, « Quand on écoute les hommages, on a la sensation d’être oubliés ». Photo Le Progrès/Richard MOUILLAUD
Lors de la dernière promotion de la Légion d’honneur du 1er janvier, ne figurait pas le nom de votre mari. Comment vous l’avez vécu ?

Je l’ai vu et je n’ai rien dit. J’en ai parlé à mon fils. Il était très en colère. Avec le sentiment que tout le monde a oublié ce qu’il s’est passé. Nous, on reste avec cette douleur. Pour mon fils, c’était important. D’autres d’ailleurs la méritaient autant que mon mari et ne l’ont pas eu non plus. On la donne à des acteurs, des chanteurs… Mon mari est mort pour une cause qui n’est pas la nôtre. Quand on écoute les hommages, on a la sensation d’être oubliés. On parle des attentats de Charlie, de l’Hyper Cacher, de ceux du 13 novembre, mais les autres ? Saint-Quentin, la Tunisie ? Mon fils, c’est ce qui le perturbe le plus.

Depuis cette épreuve, vous avez été, vous et votre fils, accompagnés pour surmonter ce drame ?

Non. Il n’y a rien eu de spécial. À part l’association d’aide aux victimes. Ils nous soutiennent. Ils ont notamment organisé une cérémonie en septembre à laquelle j’avais participé. On a également vu M. Hollande à Saint-Exupéry. Le président de la Chambre de commerce nous a contactés et est venu nous voir pour nous demander de quoi nous aurions besoin.

Votre fils, Kévin, travaillait dans l’entreprise de transport de votre mari au moment des faits ?

Il travaille toujours dans l’entreprise. Il prend un peu le poste de mon mari. Il y a une solidarité formidable des transporteurs. Ils nous donnent du travail, ils nous aident. C’est important, pour la mémoire de mon mari, de faire prospérer l’entreprise. Kévin n’a que 21 ans. Il était chauffeur livreur, comme les autres. Mon mari voulait lui donner un peu de responsabilités pour lui apprendre. Kévin, maintenant à la tête de l’entreprise, m’a surpris. Mais aujourd’hui, il a de la haine en lui. Il se réfugie dans le travail. Il devait rester habiter avec moi jusqu’au procès de l’auteur des faits. Mais il n’y aura pas de procès. Il veut quand même rester avec moi. Mais je dois me résoudre au fait qu’il doit faire sa vie.

Et vous ? Vous surmontez l’épreuve ?

Il faut laisser le temps au temps. Heureusement qu’il y a Kévin, je n’aurais pas pu sans lui. Je ne peux pas le lâcher maintenant. Je pense toujours à la manière dont cela s’est produit. J’aurais toujours ça à l’esprit. Et puis je me dis que j’aurais pu remarquer quelque chose le matin où ça s’est produit. J’ai vu le chauffeur, je ne suis pas allée vers lui. Il a piégé mon mari en lui demandant s’il était là car il ne le savait pas. C’était quelqu’un de très réservé. Il n’avait aucun signe religieux, rien. Au début, je pensais que tous les deux étaient victimes. C’était incompréhensible.

Vous parvenez à prendre une forme de recul pour expliquer la motivation des terroristes ?

Quand vous voyez qu’ils veulent tuer des professeurs, imposer leur loi… On ne peut être qu’impliqué dans tous ces faits. Quelle force ils ont pour les endoctriner ! Peut-être sont-ils drogués, je ne sais pas. Les auteurs de ces actes sont des jeunes qui ont des problèmes. Beaucoup sont aussi des Français convertis. Moi, je suis ouverte à toutes les religions, je ne fais surtout pas d’amalgame. Mais ça, je ne le comprends pas.

Aujourd’hui, quel est votre état d’esprit ?

Je suis déçue pour tous les oubliés du terrorisme. Je parle pour mon mari, mais aussi pour tous les autres. Et c’est dur, mais ce n’est pas grave. On se débrouille, on continue. C’est dommage. Maintenant, quand on entend les politiques, on ne sait plus qui écouter.