ELLE.fr. Pourquoi avoir choisi la forme du roman pour votre quatrième livre, même s’il traite, comme les précédents, de l’islam radical ?  Aviez-vous tant besoin de la fiction pour vous exprimer cette fois ?
Marc Trévidic. J’avais dans mon deuxième livre  « Terroristes : Les Sept Piliers de la déraison » * déjà utilisé des nouvelles pour illustrer mon propos. Dans un essai, la forme reste très bordée finalement. La fiction possède une puissance, à travers l’incarnation des personnages, qui permet d’expliquer plus profondément les ressorts psychologiques de l’embrigadement djihadiste, de rentrer « dans la tête » des personnages mais aussi d’expliquer clairement des enjeux et un contexte réels. Et personnellement, l’idée me séduisait de pouvoir partir de zéro, de pouvoir tout créer, l’intrigue, les personnages, l’endroit, la construction de ce récit. J’en ai eu l’idée au lendemain de l’attaque contre « Charlie Hebdo ».
 
ELLE.fr. Le personnage d’Issam, jeune Tunisien pris sous son aile par un artiste peintre français, mais qui va pourtant se radicaliser et rejoindre un groupe terroriste au désespoir de sa sœur Ahlam,  vous a-t-il été inspiré par un de ces djihadistes que vous avez eu à interroger lorsque vous étiez juge antiterroriste ?
Marc Trévidic. Bien sûr. Issam, comme d’autres personnages de mon roman,  est le fruit de rencontres que j’ai faites avec de jeunes radicalisés. Si je ferme les yeux, je vois Issam prendre vie devant moi… J’ai cette chance d’avoir eu de la matière réelle lorsque j’instruisais des enquêtes sur les filières islamistes, pour m’inspirer et construire mes personnages. Il m’a été plus difficile de créer le personnage de l’artiste peintre, Paul, chrétien français accueilli chaleureusement dans une famille tunisienne sur une petite île, a priori à l’abri,  tandis que l’islamisme menace. Je voulais, à travers le rêve de mon personnage de réaliser une œuvre inédite grâce aux talents de peintre et de musicienne de deux enfants tunisiens, célébrer l’unicité de l’art et sa beauté face au fanatisme.  
 
ELLE.fr. A travers le personnage d’Ahlam, si lumineuse, qu’on voit grandir et s’affirmer en femme libre, vous rendez un hommage vibrant au courage des femmes tunisiennes. C’était important pour vous de saluer, à travers votre héroïne, le combat de toutes celles qui dans leur pays se lèvent contre l’obscurantisme ?
Marc Trévidic. C’était indispensable, d’autant plus à une époque où l’on voit tant de jeunes femmes rejoindre les rangs de l’islam radical. L’islam radical est avant tout un véritable retour en arrière, et le statut qu’il confère aux femmes en est le symbole évident. Défendre le statut des femmes c’est un enjeu majeur dans la lutte contre cette idéologie ! Une société aura globalement beaucoup de mal à se tourner vers l’islam radical si les femmes disent non, comme ont dit non les Tunisiennes avec détermination et courage. Ahlam est un personnage de fiction à l’image de toutes celles, bien réelles, qui, en Tunisie et ailleurs,  rejettent le statut et le modèle de société que l’islam radical veut leur imposer de force. La capacité qu’ont les femmes à refuser la violence et la régression de leurs droits est un frein essentiel pour éviter la propagation du fanatisme religieux.
 
ELLE.fr. Vous avez dû l’an dernier, comme l’impose un règlement dans la magistrature, quitter vos fonctions de juge à l’antiterrorisme au bout de dix ans. Au lendemain des attentats du 13 novembre, vous aviez déclaré : « Si l’on a besoin de moi, je suis disponible. » Qu’en est-il aujourd’hui ?
Marc Trévidic. Je comprends très bien qu’on ne puisse pas rester à l’instruction en première ligne tout le temps. Mais il y a des choses qu’on aurait pu me faire faire, et qui sont tout à fait dans mes cordes.  Comme, par exemple, présider des assisses dans le domaine de l’antiterrorisme. Cela aurait été cohérent. Aujourd’hui, on préfère me voir au poste de juge aux affaires familiales, que voulez-vous que je vous dise… J’ai une conscience professionnelle et je fais mon travail au mieux. Je ne suis pas le seul exemple de la bêtise du système, d’autres magistrats qui ont eu un parcours au pénal sont aussi dirigés vers le civil. Je regrette que cela se soit passé ainsi, je regrette qu’il n’y ait pas eu d’autres possibilités de plan de carrière, plus évoluées ou correspondant à mon expérience. Maintenant oui,  bien sûr que j’ai toujours envie d’être utile, comme je l’ai dit au lendemain des attaques terroristes du 13 novembre. Je réfléchis à la façon dont je pourrais l’être. Ce sera peut-être via un engagement dans l’associatif.  Il y a, dans ce domaine aussi, dans le contexte que nous traversons actuellement en France,  de réelles choses à faire, et où mon expérience et mes connaissances acquises dans l’antiterrorisme pourront, en effet,  être utiles…
 
* Editions Jean-Claude Lattès

9782709650489-001-X