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Analyse

Aqmi et Al-Mourabitoune, l'alliance reconstituée du jihad sahélien

Le groupe dirigé par Mokhtar Belmokhtar est revenu dans le giron d'Al-Qaeda au Maghreb islamique pour commettre les attaques de Ouagadougou, après des années de brouille.
par Célian Macé
publié le 17 janvier 2016 à 11h41

La tuerie de Ougadougou menée dans la nuit de vendredi à samedi par trois jihadistes dans un hôtel et des bars de la capitale du Burkina Faso, faisant 27 victimes, a été revendiquée par Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et Al-Mourabitoune. Ces deux organisations, qui opèrent au Sahel, ont connu des relations tumultueuses ces dernières années, mais elles ont scellé une nouvelle alliance, en décembre, après l’attentat contre l’hôtel Radisson Blu de Bamako qui a fait 22 morts. Retour sur l’histoire des deux mouvements terroristes les plus célèbres du Sahara.

Aqmi, le plus ancien des deux groupes, est né en 2007 de l’unification des différentes mouvances islamistes armées présentes en Algérie, puis dans le reste du Maghreb. Dès le début, l’organisation, qui prête allégeance à Ben Laden, est dirigée par Abdelmalek Droukdel. C’est un ancien émir du GIA, mouvement sanguinaire de la décennie noire en Algérie responsable de la campagne d’attentats en France en 1995. Aqmi est doté d’un «conseil des chefs» où sont représentés les responsables des différentes katibas, des cellules combattantes semi-autonomes.

Les deux katibas les plus actives sont elles aussi dirigées par des Algériens, ex-membres du GIA : Mokhtar Belmokhtar – dit «le Borgne», qui a combattu en Afghanistan – et Abdelhamid Abou Zeid. Sous la pression de l’armée algérienne, à la fin des années 2000, Aqmi déplace ses troupes vers le sud. Au Mali, notamment, où la faiblesse de l’Etat laisse aux jihadistes une très large liberté de mouvement. Belmokhtar et Abou Zeid vont chercher à s’y implanter et rapidement devenir rivaux.

Kidnappings en série

En 2008, Abou Zeid enlève deux touristes autrichiens. Le premier d’une longue liste de kidnappings d’Occidentaux devenus sa marque de fabrique. Certains otages sont relâchés en échange de rançons – l’argent de la katiba sert à acheter des armes, des véhicules et alimente les caisses de l’organisation centrale. D’autres sont assassinés, comme le Français Michel Germaneau en 2010. Mokhtar Belmokhtar n’est pas en reste. Sa katiba vend elle aussi plusieurs otages et tente d’enlever deux Français à Niamey, au Niger, le 7 janvier 2011. Mais le commando est pris en chasse par des hélicoptères français, qui mitraillent les pick-up en fuite. Les deux otages sont retrouvés morts.

Belmokhtar et Abou Zeid s’affrontent aussi sur le plan de la stratégie. Plusieurs documents internes de l’organisation révèlent leurs dissensions (1). Le Borgne demande notamment que soit créé un émirat «Sahel» distinct de l’émirat «Maghreb». Il tente de s’affranchir de la tutelle de l’émir d’Aqmi, Abdelmalek Droukdel, en ouvrant des canaux de communications directs avec l’Egyptien Zayman al-Zawahiri, qui a remplacé Ben Laden à la tête d’Al-Qaeda en 2011. Droukdel y voit un affront.

Mais la rupture interviendra au moment de la guerre du Mali. En 2012, renforcés par les armes et des combattants venus de la Libye post-Kadhafi, Aqmi s’allie avec des groupes locaux, comme les islamistes touaregs d’Ansar Dine, pour prendre possession de villes du septentrion malien et y instaurer la charia. La même année, Belmokhtar, dont les relations avec Droukdel se sont encore détériorées, quitte Aqmi pour fonder son propre groupe, les Signataires par le sang. Ses hommes sont regroupés à Gao, ville tenue par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), quand Tombouctou est aux mains d’Ansar Dine et Aqmi.

L'intervention française au Mali (opération «Serval») déclenchée par François Hollande va tout chambouler. Les villes du nord sont reprises une à une. Abou Zeid est tué dans les combats, en février 2013. Détaché d'Aqmi, Belmokhtar multiplie les coups d'éclats pour exister. Il mène l'attaque spectaculaire du site gazier d'In Amenas, dans le sud de l'Algérie, où 37 travailleurs sont tués selon un bilan officiel. Quelques mois plus tard, les Signataires par le sang fusionnent avec le Mujao pour devenir Al-Mourabitoune («les Almoravides», du nom de la dynastie qui régna sur l'Ouest du Sahara au XIe et XIIe siècle). Mokhtar Belmokhtar, donné plusieurs fois pour mort – à tort –, en devient naturellement l'émir. L'opération «Serval» oblige cependant les jihadistes à se replier momentanément vers le nord, notamment en Libye et en Tunisie, cinq ans après avoir amorcé leur conquête du Sahel.

«Unité par le sang de l’hôtel Radisson»

Deux ans plus tard, le 7 mars 2015, alors qu'Aqmi paraît affaibli, Al-Mourabitoune frappe au cœur de la capitale du Mali. Mais avec un nouveau mode opératoire. Un commando armé ouvre le feu dans un bar de Bamako, la Terrasse, tuant cinq personnes, dont deux Français, deux mois après l'attaque de Charlie Hebdo à Paris – qu'avait saluée Belmokthar. L'insaisissable jihadiste n'a pas renoncé à son ambition sahélienne. A l'été, le Borgne réalise même son vieux rêve : il s'autoproclame émir d'«Al-Qaeda en Afrique de l'Ouest».

Une semaine seulement après les attentats du 13 Novembre, Al-Mourabitoune récidive. Dans l'hôtel Radisson Blu, l'un des plus chics de Bamako, 22 personnes tombent sous les balles de deux jihadistes avant qu'ils soient abattus. Belmokhtar est encore une fois derrière la tuerie. Mais Aqmi revendique aussi l'attentat. Quelques jours plus tard, son chef, Abdelmalek Droukdel, annonce lui-même la surprenante nouvelle dans un enregistrement audio : Al-Mourabitoune se rallie à Aqmi. Trois ans après leur séparation, les deux vétérans du jihad se réconcilient et «signent cette unité par le sang de l'hôtel Radisson».

Aqmi et Al-Mourabitoune ont également revendiqué conjointement les attentats de Ouagadougou dans la nuit de vendredi. Dans une «interview» diffusée par le compte Telegram d'Al-Andalus, la branche médiatique d'Aqmi, les assaillants – qui seraient des hommes de Belmokthar – «affirment leur obéissance à Al-Zawahiri […] et expriment leur solidarité avec les jihadistes de Syrie et du Yémen», selon le chercheur Romain Caillet, qui a décrypté l'enregistrement. Les deux groupes montrent encore une fois leur fidélité sans faille à Al-Qaeda. Alors que l'Etat islamique perce en Libye et qu'au Nigeria Boko Haram a prêté allégeance au califat d'Al-Baghdadi, la «centrale historique» fondée par Ben Laden, bousculée par l'EI, a pu exiger cette nouvelle alliance pour garder la haute main sur le jihad en Afrique de l'Ouest.

(1) Les divergences stratégiques au sein de l'organisation sont détaillées dans le livre de Mathieu Guidère Terreur : la nouvelle ère (éditions Autrement, 2015).

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