Elle apparaît régulièrement sur le petit écran, avec les colonnes de la Maison-Blanche en arrière-plan, Laurence Haïm. Les dix-huit minutes d’entretien avec Barack Obama, à Paris, en décembre, c’est elle qui les a décrochées. Elle est accréditée « full access » à la Maison-Blanche et au Pentagone. Figure parmi les treize journalistes autorisés à suivre les déplacements du Président, à poser une question lors des briefings quotidiens avec la presse. Peut parfois voyager à bord du Air Force One quand les autres volent sur le Air Force Press. Ses confrères la titillent pour son côté « obamaniaque », elle s’en défend. « Je l’ai rencontré en 2006, je réalisais un documentaire sur le Darfour, il était sénateur de l’Illinois. Je suis arrivée à Washington lors de son installation à la Maison-Blanche. Aux prochaines élections, la page Obama se tournera. » L’équipe de campagne du futur président avait repéré sa capacité à parcourir l’asphalte pour assister aux meetings, jusqu’au fin fond de l’Iowa. Les oiseaux moqueurs ricanent qu’elle « a eu Obama à l’usure ». Elle laisse pépier.

Elle se définit ainsi : « Je suis journaliste. De ce métier, j’ai fait une manière de vivre. » Elle a la réputation d’avoir une ténacité de pitbull. « J’aurais plutôt celle de la tortue qui se mesure au lièvre dans la fable de La Fontaine. Le pitbull, c’est quand je juge que mon travail n’a pas été bien exploité. Je suis soupe au lait, mais pas rancunière. » Cette autodidacte, suivie par plus de cent mille personnes sur Twitter, ne cache pas avoir loupé Sciences-Po et débuté sa carrière en portant les cafés dans une radio libre, Canal Versailles Stéréo. Elle peut vous dire que gamine, fascinée par les speakerines, elle les imitait en se collant des postiches sur la tête et vous annoncer avoir été une voix de Fip. Avant d’ajouter : « Cinq secondes, le temps de l’audition ! »

« Elle est sincère, sérieuse et loyale »

Tout commence chez RTL. Stagiaire « en compétition » avec Christophe Dechavanne et Thierry Demaizière, le portraitiste de l’intime de « Sept à huit » sur TF1 et auteur de documentaires. D’elle, il se rappelle : « C’était une “attachiante” avec un toupet monstre. Une fille qui foutait le feu à son appartement en faisant des fondues. Une ambitieuse forcenée, comme l’héroïne de Joseph Mankiewicz dans “Ève”. Une passeuse de frontières, capable de dégoter une accréditation en moins de deux et de se faufiler au premier rang. » Philippe Labro, le directeur de RTL, l’embauche. Elle a 22 ans et assiste Christine Ockrent, chargée de l’interview politique de 7 h 50. « Laurence déployait une grande énergie à dissiper l’angoisse quotidienne propre à cet exercice : a-t-on choisi le bon invité ? Nous sommes restées très proches. Elle est têtue comme une mule, première qualité du journaliste. Elle est sincère, sérieuse et loyale, dans ce monde de médias, elle tranche. Elle a osé le défi américain, à la rude école de “60 Minutes”, le magazine de CBS News où j’avais fait mes classes. C’est une journaliste de terrain, pas d’antichambre. Elle a fait de son accent résolument français un atout. On a eu Maurice Chevalier, on a maintenant Laurence Haïm ! » explique Christine Ockrent.

Vizirette, son surnom, date de l’époque RTL. C’est Jérôme Godefroy, ex-rédacteur en chef adjoint des journaux du matin, qui le lui a donné : « Elle était comme la petite boule de lessive dans la machine, s’activait dans tous les sens autour du vizir de l’info, Christine Ockrent ! » On lui confie ensuite le suivi des people. Elle déteste les paillettes sur tapis rouges. Jérôme Godefroy se souvient : « La chronique de Laurence était catastrophique. Avec Jean-Jacques Bourdin, on le lui répétait chaque matin. Vu ce qu’elle est devenue, ça donne de l’espoir ! Elle a énormément bossé. C’est une accrocheuse, quand elle dit, elle fait. Je l’ai vue camper devant l’hôtel où Fidel Castro était logé aux J.O. de Barcelone, il n’accordait pas d’interviews et elle en a obtenu une. Elle a un grand sens de l’amitié. La sensibilité de ceux qui ont le coeur sur la main. » Laurence Haïm se rêve en reporter de guerre. À 25 ans, elle travaille pour l’agence Capa, signe des reportages pour « 24 heures », « Zone interdite » ou « Envoyé spécial ». Première correspondante aux États-Unis pour Canal+ et iTélé. Elle s’installe à New York en 1992. Est hébergée dans les bureaux de la chaîne CBS News, où règne le journaliste star Dan Rather. Elle bombarde de messages les meilleurs médias américains, veut apprendre auprès d’eux. « Les mauvaises nouvelles ne suffisent pas à faire de bons journalistes », souligne-t-elle. Elle habite à trois cents mètres de Ground Zero, couvre les attentats du 11- Septembre. En tire un récit intitulé « Journal d’une année à part » (Éditions de La Martinière). Un an après, alors en Israël pour iTélé, elle assiste à l’explosion d’un bus. Autre témoin de l’attentat, Dan Rather, qui est de l’autre côté de la rue. Elle a sa caméra, lui pas. Il lui demande de filmer, ses images font le tour du monde, elle est engagée par CBS News. Nommée au bureau de Bagdad, elle y passe trois ans. Quelques mois après l’éviction de Dan Rather, elle est remerciée par CBS News. Mais Canal+ ne l’a pas perdue de vue.

« J’ai privilégié la liberté »

De Bagdad, elle ne parle pas. James Nachtwey, le plus célèbre photoreporteur de guerre américain, maintes fois primé pour être allé là où les autres n’osaient se rendre, dira : « Le mot qui me vient à l’esprit à propos de son travail sur le terrain, c’est “détermination”. » Aymeric Caron, alors reporter sur les terrains de guerre pour Canal+, l’a plusieurs fois croisée en Irak : « Que l’on ait vu des morts, pris les mêmes risques ou partagé des pâtes quand il n’y avait plus de nourriture, que l’on se soit échangé des tuyaux ou accrochés pour des rivalités, le lien qui unit ceux qui ont couvert ensemble des conflits est souterrain et indicible. La première fois que j’ai vu Laurence avec sa caméra, j’ai pensé “culottée”. Elle est passionnée par son travail qui l’emmène dans des excès d’enthousiasme ou d’investissement hors normes. Et, même s’il lui arrive de faire chier le monde pour obtenir ce qu’elle veut, elle est à l’opposé des carriéristes de l’audiovisuel. » Outre-Atlantique, Laurence étant un prénom d’u age masculin, elle officie sous celui de Laura. Son inclinaison pour les couleurs vives est une parade visant à accrocher les pupilles du Président quand il est au pupitre. Elle n’a pas suivi qu’en cela les conseils de Helen Thomas, la doyenne des journalistes accréditées à la Maison-Blanche, qui débuta sous l’ère Kennedy et posa les questions qui fâchent jusqu’à ses 89 bougies. Comme Dan Rather, elle avait pris sous son aile Laura la Frenchie.

Son jardin secret se situe à Fire Island, à l’est de New York, que l’on atteint par le ferry. Les Jiminy Cricket lui rappellent qu’il n’y a pas que son métier dans la vie. En amitié et en amour, comme les marins, elle peut prendre le large mais revient toujours. Qu’importe les mers à traverser. Elle ne déteste pas les inaccessibles que la quotidienneté ennuie. Et peut aimer telle une Emma Bovary qui, au mariage, n’aurait jamais dit oui. « Plusieurs hommes accompagnent ma vie, le plus important est celui du moment. Je suis très romantique et l’amour peut m’être parfois dévastateur. J’ai construit ma vie en choisissant de ne pas avoir d’enfants. Peut-être par égoïsme ou parce que j’ai décidé que je serais incapable de les élever, j’ai privilégié la liberté. »

Elle est née à Paris. De sa sœur, aînée de trois ans, le réalisateur Philippe Haïm dit : « Je l’admire pour sa pugnacité, ses façons de rebondir, d’aller à la rencontre de l’autre. Elle a des élus dans sa vie. Rien chez elle n’est mécanique, même si elle est pétrie de cette philosophie du “lorsqu’on veut, on peut”. » Leur père était médecin, leur mère, férue de musique classique, écrivait des livres pour enfants qu’elle ne publiait pas. Tous les deux sont décédés à quelques mois d’intervalle, en novembre 2013 et juin 2014. Cette fin décembre, alors que les insignes de chevalier de la Légion d’honneur lui sont remis, elle confie : « J’ai hésité puis accepté cette distinction pour mes parents. Ils en auraient été fiers. »

Laurence Haim_Canal +