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La surpêche et le déclin des ressources ont été largement sous-estimés

Une étude publiée dans « Nature » contredit les statistiques de l’ONU et montre que les prises dans le monde sont beaucoup plus prédatrices que déclarées.

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Publié le 19 janvier 2016 à 17h38, modifié le 19 janvier 2016 à 18h03

Temps de Lecture 4 min.

Flotte de pêche thaïlandaise dans le port de Songkhla, fin décembre 2015.

Dans les mers et les océans du globe, on prélève nettement plus de poissons que les statistiques officielles ne le prétendent. Néanmoins, malgré la forte croissance des armements, la diffusion des techniques industrielles de pêche jusque dans les coins les plus reculés de la planète et la sophistication toujours plus poussée du matériel, les tonnages des captures ne cessent de diminuer depuis les années 1990. Autrement dit, les pêcheurs dépensent toujours plus d’efforts et de carburant pour rapporter de moins en moins de poissons.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la pêche mondiale a connu un pic en 1996, avec 86 millions de tonnes de poissons sortis de l’eau, puis elle est restée quasiment « stable » selon son administration, perdant juste 0,38 tonne par an. Il n’y aurait donc pas de quoi trop s’inquiéter pour l’état des stocks. Las, ces chiffres sont largement sous-estimés, montre une étude de Daniel Pauly et Dirk Zeller, de l’université de Colombie-Britannique, au Canada, publiée mardi 19 janvier par le site Nature Communications.

Le secteur a effectivement atteint un sommet en 1996, constatent-ils, mais qu’ils chiffrent à 130 millions de tonnes. Puis les performances de la pêche ont régressé trois fois plus fortement que les statistiques de la FAO ne l’indiquent : de 1,2 million de tonnes par an. Globalement, les deux chercheurs observent une différence de 53 % entre les quantités répertoriées officiellement et leurs propres calculs.

Chute de la pêche industrielle

Leur travail devrait faire date : c’est la première fois que sont publiées des estimations à l’échelle mondiale en dehors de celles de la FAO. Daniel Pauly, directeur du Fisheries Center de l’université de Vancouver, est l’un des plus fameux halieutes sur la scène internationale. Ce biologiste récompensé de multiples prix est le premier à avoir développé des techniques d’évaluation basées sur de multiples documents et a créé une base de données unique et réputée, Sea arounds us.

« Cela a pris beaucoup de temps de mettre à jour les séries temporelles des prises, sans interruption de 1950 à 2010, témoigne-t-il. Mais ça y est : nous avons les statistiques documentées de 200 pays, c’est ce résumé que nous publions aujourd’hui. »

Ce sont les rendements faiblissants de la pêche industrielle qui expliquent largement le déclin global. Selon la FAO, le chalutage de crevettes, par exemple, a chuté entre les années 1990 et 2000, de 27 millions à 7 millions de tonnes environ. La pêche artisanale, quant à elle, est passée de 8 millions de tonnes en 1950 à 22 millions de tonnes en 2010 et semble moins soumise aux variations d’une saison à l’autre.

Pourtant de nombreux Etats la négligent dans leur collecte de données. Ils dédaignent plus encore la pêche de subsistance que l’étude évalue à 3,8 millions de tonnes, sans parler de celle de loisir. Ils ignorent en outre l’ampleur des pratiques illégales qui pillent leurs eaux ou bien les campagnes auxquelles se livrent certains de leurs navires, sans licence, dans les eaux de pays en développement. L’absence de ces éléments génère des sous-estimations chroniques.

Statistiques qui diffèrent selon les pays

Entre la Chine, qui surestime ses prises, « parce que, politiquement, le régime veut afficher des résultats toujours plus productifs » et l’Espagne, « où cela ferait scandale si l’on quantifiait précisément les prises de la pêche clandestine », chaque pays a sa propre vision des performances de ses pêcheurs, analyse le biologiste. On ne peut pas se fier aux seules caisses débarquées au port. Il faut décortiquer la situation au cas par cas, évaluer le fuel consommé, le nombre de bateaux, éplucher des centaines d’articles.

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« Dans des régions du Pacifique, pour citer un autre exemple, on ne rapporte que les exportations, nobles, de thon. On ne prend pas en considération les crustacés et les petits poissons que les femmes collectent dans les récifs coralliens et qui nourrissent pourtant la population », rapporte le chercheur. De plus, les statistiques de l’Union européenne ou des Etats-Unis ne sont pas comparables à celles de l’Afrique, imprécises faute de moyens. « En Asie du Sud-Est, ce sont des sociétés qui produisent des données, en appliquant invariablement le même ratio. Nous avions pu le constater lorsque le cyclone Narguis avait détruit la moitié de la flotte de pêche de Birmanie en 2008, sans qu’aucun impact n’apparaisse cette année-là… »

Déclin d’un apport en protéines essentielles

L’étude admet une part d’approximation, mais bien inférieure à celle de la FAO. Récemment, le travail dirigé par Daniel Pauly a nourri une polémique ayant pour cible la FAO. Les agents de l’ONU n’ont pas les moyens de vérifier les données que leur transmettent les Etats, souligne M. Pauly, en précisant les avoir prévenus de la teneur de sa publication. « Il nous arrive de demander à des pays de revoir leurs méthodologies, nous les y aidons parfois, précise Lahsen Ababouch, directeur de la division de la pêche et de l’aquaculture à la FAO. Nos données sont plus fiables depuis 2000. Le propos de M. Pauly est d’évaluer tout ce qui est retiré de la mer, notre mission est de fournir des tendances avec le moins d’incertitudes possible. »

L’important est surtout de mesurer l’ampleur du déclin d’un secteur qui reste un apport de protéines essentielles auprès de beaucoup de populations côtières, rappelle l’étude publiée par Nature Communications. Or, globalement, les tendances mondiales sont à la baisse, hormis dans quelques rares régions du monde où l’on voit des stocks se régénérer comme aux Etats-Unis, en Australie, ou commencer à se redresser comme dans l’Atlantique nord-ouest, où l’Union européenne a imposé des quotas. « Même si des statistiques fantaisistes tendent à le compenser, le déclin est clair et net, insiste Daniel Pauly. Il est même sans doute plus élevé que ce que nous disons. » Les auteurs de l’étude suggèrent à la FAO de faire équipe avec d’autres chercheurs pour établir ses statistiques, comme elle le fait pour recenser les forêts.

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