Apparemment, les amis de Rahul Gandhi n’ont pas plus foi
en lui que ses ennemis. Il a beau être l’héritier présomptif et incontesté du
mythique Parti du Congrès, dont il dirigera la campagne électorale [pour les législatives de la mi-avril] , ledit parti ne l’a toujours pas intronisé comme son candidat
officiel au poste de Premier ministre. Ni lui, ni personne d’autre d’ailleurs.

La plupart des observateurs pensent que les hiérarques du
Parti du Congrès essaient d’épargner à Rahul, 43 ans, l’embarras d’une course au coude-à-coude – qu’il perdrait certainement – avec le très populaire Narendra Modi.
Mais si la tendance actuelle se confirme, l’humiliation pourrait n’être que le
moindre des soucis du jeune Gandhi.

Depuis le début de sa carrière politique anodine, Rahul Gandhi
préférait éviter les feux des projecteurs. C’est en partie parce qu’il est un
très mauvais candidat de campagne et que tout le monde le sait. Lors d’un
meeting pour les élections régionales qui se sont tenues récemment à Delhi, le
représentant du Congrès en place a dû implorer le public de ne pas partir dès
que Gandhi monterait sur scène. L’intéressé dit lui-même que sa priorité est de
réformer le parti de l’intérieur, de le moderniser et de le rendre plus
méritocratique et moins dépendant de l’attrait exercé par son nom de famille [il est l’arrière petit-fils de Nehru, le petit-fils d’Indira Gandhi, et le fils de Rajiv et Sonia Gandhi].

La survie du parti menacéeC’est là un objectif louable. Mais il est aussi à long terme :
Gandhi a entamé sa campagne de réforme en 2007 et n’a pour l’instant pas fait
beaucoup de progrès. Dans le même temps, le Congrès a enchaîné les défaites
électorales, particulièrement dans la Hindi Belt [ceinture hindiphone], cette vaste région dans le nord de l’Inde qui était autrefois la base de son
soutien.

Cette hémorragie constante de sympathisants menace la survie
du parti. Celui-ci continue à tirer profit de son passé en tant que mouvement qui a conduit la lutte contre les colons britanniques et rallié des millions
d’Indiens à cette cause. Mais ces dernières décennies, il a surtout servi de
réseau de clientélisme, distribuant les privilèges du pouvoir pour récompenser
et, surtout, conserver ses partisans.

Pour survivre, le Congrès doit être au pouvoir. Sinon ses
partisans – qui, à la différence de ceux du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), le parti
national-hindouiste mené par Narendra Modi, ne sont soudés par aucune idéologie cohérente
au-delà du patronyme Gandhi et une vague allégeance à la laïcité – n’ont pas
beaucoup de raisons de rester. Plus le Congrès perd d’élections, plus il reste éloigné du pouvoir, plus il rétrécit et s’affaiblit au niveau de sa base.

Dans les bastions hindous tels que les Etats d’Uttar Pradesh [dans le nord du pays], du Bihar [idem] et du Madhya Pradesh [au centre], le Congrès n’a pas gouverné depuis 2002. Il bénéficie
aujourd’hui d’un soutien si infime au niveau local qu’il peut difficilement se
poser en rival crédible du BJP dans ces
Etats.

Il n’a pas non plus réussi à regarnir ses rangs : n’importe
quel jeune politicien prometteur et cherchant à faire carrière peut réussir
aussi bien et même mieux en dehors du parti qu’en son sein. La victoire de
l’Aam Aadmi Party (AAP, Parti de l’homme ordinaire) à New Delhi suscite beaucoup plus d’enthousiasme parmi
les nouveaux venus en politique, en particulier dans les villes en croissance
rapide. L’AAP envisage de présenter des candidats dans toute l’Inde et espère
bien peser dans l’issue des législatives. Le prestige ne suffit pas

Les rangs du Parti du Congrès dans les divers Etats sont dominés par
les fils et filles d’anciennes personnalités politiques – une autre forme de
clientélisme. Au niveau national, le parti a attiré quelques personnalités
extérieures au monde politique, comme l’ex-PDG d’Infosys, Nandan Nilekani. Mais
ces gens n’apportent pas beaucoup de soutien populaire avec eux et ils ne vont pas stopper l’érosion continuelle dont souffre le
Congrès à sa base. Si Rahul Gandhi est ridiculisé par une victoire écrasante de
Narendra Modi, la base risque d’échapper à ce qui reste de l’emprise du parti.

L’instinct de Gandhi est juste : sans réformes durables pour
rallier le Congrès autour d’autre chose que la figure de sa mère, Sonia Gandhi,
ou la sienne, le parti est condamné. Mais s’il ne peut pas traduire ce prestige
en victoires d’une façon ou d’une autre et dès aujourd’hui, il ne lui restera
pas grand-chose à réformer.