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EnquêteAlimentation

Vous mangez des nuggets ? Vraiment ? Voici ce qu’ils contiennent

Ils sont faciles à préparer à la maison, ils plaisent aux enfants, les industriels de l’agroalimentaire les adorent : les nuggets de poulet. Mais qu’est-ce qui se cache sous la panure ? Reporterre a mené l’enquête sur un aliment au contenu peu ragoûtant.

L’heure du déjeuner chez l’un des géants de la restauration rapide. Malika et ses deux petites sœurs ont commandé des nuggets et des frites dans leurs menus enfant. « Comme d’habitude », confie leur maman. Du haut de ses 4 ans, la petite fille glisse : « C’est bon parce que c’est moelleux. » Cyril, la trentaine, mange sur le pouce ce midi-là. Une boite de quatre petits beignets de volaille et un petit sachet de frites pour seul repas. « C’est plus léger que les hamburgers ! » lance-t-il avec assurance. En est-il sûr ? « Ben oui, c’est du poulet ! »

Une boite de quatre pièces de Chicken McNuggets et ses sauces à emporter coûtent 2,80 euros pour 68 g, soit plus de 41 euros le kilo. Chez un concurrent spécialiste de la volaille, le sachet de quatre pièces, deux fois plus grosses, coûte 4,90 euros, environ 31 euros le kilogramme.

L’art de la formule alléchante

Au supermarché, direction les rayons de produits frais et surgelés. Impossible de rater les boites rectangulaires aux couleurs dominantes chaudes de « beignets », « frites », « petits panés » ou « nuggets (extra-)croustillants » à base de poulet. Les prix varient entre 9 et 15 euros le kilo. Dans notre panier témoin, une boite de marque distributeur, une autre, plus colorée, de la marque au bonhomme grassouillet : 2,03 et 2,46 euros respectivement, pour 200 g à chaque fois. Sur la tranche des emballages, la liste des ingrédients est longue et mystérieuse : de la viande à base de poulet reconstituée, de l’eau, des « E » suivis de trois chiffres, des arômes, de l’amidon... La dégustation peut commencer.

« Manger opaque peut avoir de graves conséquences sur la santé. » Cette phrase trône sur le grand miroir des Philosophes, bistrot du quatrième arrondissement parisien, l’un des restaurants de Xavier Denamur. Il sert des nuggets maison à ses jeunes clients. Le prix de l’assiette ? Sept euros pour 160 g de deux gros beignets de poulet servis sur un lit de légumes de saison. 44 euros le kilo avec l’accompagnement, à peine plus que le tarif du fast-food au nez rouge. « Je le propose justement pour que les enfants goûtent les vraies choses. »

Il se bat depuis des années auprès des pouvoirs publics contre la malbouffe et pour plus de transparence dans nos assiettes. En mars 2015, il a résumé l’essentiel de ce combat dans son livre Et si on se mettait enfin à table ? Chaque menu donné au client commence par son manifeste intitulé « Les citoyens en droit de savoir ».

Lunettes sur le bout du nez, méticuleux, il scrute les emballages. Les nuggets de la marque de distributeur d’abord. Premier ingrédient : « Préparation à base de viande de poulet et de dinde traitée en salaison reconstituée 60 %. » Ou l’art de la formule alléchante. Les informations les plus « croustillantes » sont à suivre, entre parenthèses : « Eau, viande de poulet origine France 17 %, viande de dinde origine France 10 %, peau de volaille, fibres de blé, gluten de blé, acidifiants : E326, E262, sel arômes. » Le restaurateur fait la moue. « Le fait que l’eau soit indiquée en premier lieu indique que c’est l’élément principal de la préparation. » On ne sait pas dans quelle proportion. Le reste ? Selon nos calculs, 27 % seulement du total de la garniture seraient de la viande de dinde et de poulet, « mais on ne sait pas laquelle, c’est-à-dire quelle partie de l’animal », poursuit le restaurateur. Et de la peau ? « Les nuggets, c’est le moyen de faire passer de la viande qui ne serait commercialisée autrement. »

La mention « origine France » accolée serait-elle un avantage du spécimen ? Paule Neyrat, nutritionniste, notre seconde analyste, n’est pas si optimiste : « C’est pour faire bien, pour rassurer, mais la peau de volaille qui arrive en troisième position et qui doit représenter juste un peu moins de 10 % – on n’est pas obligé d’indiquer le pourcentage à partir du troisième ingrédient –, on ne sait pas d’où elle vient ! »

« Les additifs sont légion »

Quant à la pâte à beignet, les 40 % restant de nos bouchées panées, elle contient dans l’ordre : « Eau, huile de tournesol et de colza, farine de blé, sel, épices, dextrines, poudres à lever, E450i, E500ii, colorants, extraits de paprika, curcumine… ». Des agents de texture, acidifiants et autres exhausteurs de goût. « Les additifs sont légion dans ces produits et on sait qu’ils ont des conséquences néfastes sur la santé », poursuit la nutritionniste. Le vrai bon point de l’échantillon : « Les huiles de tournesol et d’arachide, meilleures que l’huile de palme, riche en acides gras saturés nocifs », habituellement définie comme « huile végétale » sur nos étiquettes.

Aura-t-on de meilleures surprises avec la marque à l’effigie rondouillarde ? Xavier Denamur recommence la lecture : « “Préparation à base de viande de filets et de viande de poulet traités en salaison reconstitués”... Il y a là une différence entre le blanc de poulet, le morceau noble, et la “viande”, qui désigne tout et n’importe quoi, comme la peau que l’on a déjà vue. » Pour la nutritionniste, l’expression signifie que « c’est du poulet broyé avec tout ! On utilise les restes de carcasse lorsqu’on a prélevé les filets et les cuisses » Les nuggets sont très gras (11 % et 12 %) alors que le poulet est une viande maigre. Même constat que le précédent au sujet des additifs.

« “Préparé avec du blanc de poulet”… Ah oui, et sinon, ce serait quoi ? » ironise le restaurateur. C’est la seule information concernant la recette des Chicken McNuggets. Les restaurants n’ont pas l’obligation de la détailler. Seules autres indications de McDonald’s, le pourcentage en sel (14 %), sucre (0 %) et matières grasses (13 %, dont 6 % d’acides gras saturés). Rien sur le sachet de KFC.

« On mange mou, on est mous, et on se fait manipuler mollement »

Xavier Denamur a posé sa balance sur la table. Avec les doigts hourdés de gras, nous séparons en quelques secondes panure et garniture des petits nuggets du clown, puis nous les pesons : 7 g d’enrobage pour 10 g de farce blanchâtre et compacte. Soit respectivement 40 % et 60 %, même moyenne que pour les deux spécimens précédents. Qu’en est-il de la farce ? « Les industriels ajoutent de l’eau, ça, au moins, c’est sûr. Cela rend la chair plus moelleuse. » Il s’arrête, repose la boîte de quatre et poursuit : « On mange mou, on est mou, et on se fait manipuler mollement. » Les nuggets de KFC sont bien plus compliqués à décortiquer. La panure accroche beaucoup plus et la viande a l’air plus « vraie ». Elle se délite en fibres. 57 % environ de blanc pour 43 % de chapelure.

Qu’y-a-t-il à l’intérieur de ces beignets de poulet ? Nous avons contacté de nombreux fabricants. Un seul a répondu : le géant du négoce en matières premières et industriel de l’agroalimentaire Cargill, l’un des principaux fournisseurs de McDonalds, dont nous venons de décortiquer les bouchées. En France, c’est à l’usine de Saint-Cyr-en-Val, près d’Orléans, que sont fabriqués les fameux Chicken McNuggets et autres « préparations panées à base de poulet » des divers sandwichs du fast-food. 13.000 tonnes de beignets surgelés sortent chaque année de cette usine pour McDo France.

Un nugget ne contient que 50 % de viande. C’est le pourcentage avancé par Michel Salion, attaché de presse de l’industriel, qui répète que les nuggets de Cargill sont fabriqués « uniquement à base de blanc de poulet : les filets sont grossièrement hachés puis mélangés dans une marinade à base d’eau, de sel, de céleri – un exhausteur de goût merveilleux puisqu’il donne une sensation de salé sans contenir de sel. » Bonne nouvelle. Ces nuggets en contiennent déjà 14 %. « Une fois que la viande a mariné, on la prélève puis elle est moulée selon la forme des nuggets que l’on connaît, cuits au four avant d’être enveloppés de leur panure. »

Est-ce tout ? Nous avons demandé à Michel Salion d’avoir accès à la liste intégrale des ingrédients pour pouvoir comparer les différents nuggets. Réponse : « Malheureusement, je ne vais pas pouvoir envoyer le document officiel. Comme c’est la recette dans sa totalité, pour des raisons de confidentialité, vous comprenez… » Même avec la liste des ingrédients, nous serions incapables de reproduire la recette. Comment font les fournisseurs de la grande distribution ? Inutile d’insister. Les ordres sont donnés. Les amoureux des nuggets du clown n’ont pas le droit de savoir ce qu’ils mangent.

Le surnom « McFrankenstein » attribué par un juge

La communication de McDonald’s et de ses fournisseurs a dû redoubler d’efficacité ces dernières années. Les déboires de la multinationale commencent en 2003, avec le surnom « McFrankenstein » attribué par un juge à nombre de ses recettes, incriminant l’opacité de la composition de ses produits. Dix ans plus tard, la firme doit faire face à une photo embarrassante : une pâte rose guimauve, un « gloubi-boulga », diffusée sur Internet en 2012, lance une polémique sans précédent au sujet de la garniture des fameux nuggets.

La photo de la pâte rose guimauve diffusée sur Internet en 2012 et qui a créé une polémique.

La riposte de la multinationale est encore plus riche d’enseignement. Saisie d’une volonté de transparence, quelques fournisseurs décident d’ouvrir la porte de leurs usines. Des vidéos de communication pour en finir avec cette rumeur. Ci-dessous celle de Cargill Canada (janvier 2014) :

Cette seconde vidéo, saisissante, nous montre la chaîne de production de Tyson, autre fournisseur de McDonald’s aux États-Unis (décembre 2014) : 

« Grâce à la panure, on peut tout cacher »

En 2013, une nouvelle enquête, publiée par The American Journal of Medecine, montre que les « nuggets de poulet » sont bien loin de mériter cette dénomination. L’étude se fonde sur deux échantillons issus de deux grandes chaînes de fast-food états-uniennes et en préserve l’anonymat. Au microscope, les chercheurs ont découvert que le muscle de poulet (le blanc) ne constitue qu’à peine la moitié de la viande de chaque beignet. Le reste ? Graisses, peau, veines, nerfs, viscères, cartilage et os broyés. Les lobbies du poulet frit reprochent alors à l’équipe scientifique de n’avoir étudié que deux exemples. Étude trop partielle selon eux.

« “100% filet” signifie que tout ce qu’il y a de viande dans le nugget est bien du blanc, mais la marinade qu’évoque Cargill est un joli mot pour dire que vous mettez des filets hachés, plus de l’eau, plus de la marinade, donc encore de l’eau pour faire gonfler le produit. » Christophe Brusset a travaillé 20 ans dans l’industrie agroalimentaire. C’est l’affaire des lasagnes à la viande de cheval de 2013 qui le pousse à sortir du silence. En septembre 2015, il publie Vous êtes fous d’avaler ça !, révélant de nombreux processus douteux de fabrication. Quant aux mixtures bon marché à base de viandes « reconstituées » ? « Les industriels utilisent une viande dite “préprocessée”, ce qui signifie qu’on y a injecté des additifs comme le phosphate et le carbonate pour que la viande retienne l’eau, gonfle et soit plus lourde. C’est exactement la même chose que pour certains filets de dinde ou de poulet vendus dans les grandes surfaces. » Sans parler de la peau des bas morceaux ajoutés à cette savante mixture.

« A-t-on pour autant le droit d’ajouter des produits bourrés d’additifs ? » poursuit-il. Il en existe des centaines. Une catégorie, les « auxiliaires technologiques », retient notre attention puisque les industriels ne sont pas obligés de les mentionner sur les emballages, « parce qu’il n’en reste que des traces dans le produit fini, mais des traces cancérigènes parfois ! C’est le cas pour certains antimousses ou solvants par exemple ». En utilise-t-on dans certains nuggets ? Difficile de le vérifier. Une certitude : « Grâce à la panure, on peut tout cacher. » Il se rappelle d’une histoire de champignons surgelés qui avaient viré au bleu à cause d’additifs. Un lot de 60 à 80 tonnes de champignons de Paris venus de Chine et rachetés par un importateur néerlandais. « Il ne savait pas quoi en faire, alors l’entreprise pour laquelle je travaillais à l’époque les a rachetés et les a transformés en nuggets. » La marchandise a, selon lui, été écoulée dans des supermarchés du sud-ouest de la France.

-  A LIRE : la suite de notre enquête : Les secrets de la fabrication des Nuggets

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