édito

Valls, le coup d’état d’urgence permanent

par Lilian Alemagna et Laure Bretton
publié le 22 janvier 2016 à 19h31

«L'Etat d'urgence permanent.» Au lendemain du discours de François Hollande devant le Congrès de Versailles dans la foulée des attentats de novembre, Libération affichait cette manchette provocatrice à sa une. A la surprise de tous, le chef de l'Etat venait d'annoncer sa volonté d'inscrire cet état de crise dans la Constitution. Deux mois plus tard, voilà Manuel Valls qui glisse, au détour d'une interview à la BBC depuis le forum économique de Davos, qu'il est possible que l'état d'urgence dure «jusqu'à ce qu'on puisse, évidemment, en finir avec Daech». Et vu que l'éradication de l'organisation Etat islamique, hydre terroriste assise sur un tas d'or et de pétrole, prendra du temps, on comprend que la fin de cet état d'exception n'est pas pour demain. C'est l'affaire d'une génération, un dossier long de trente ans au moins, suggère d'ailleurs le Premier ministre.

On sait déjà que l'exécutif compte sur une prolongation de trois mois, jusqu'à la fin du mois de mai. Cependant, on voit mal le gouvernement, à la veille de l'Euro de foot, annoncer un retour à la normale alors que des milliers de supporteurs afflueront vers la France. L'interview de Manuel Valls à peine diffusée, les défenseurs des libertés publiques ont donné de la voix, obligeant Matignon à expliciter qu'«en aucun cas il [n'était] envisagé de le prolonger indéfiniment». Ceux qui voudront défendre le chef du gouvernement retiendront qu'il a aussi déclaré à la BBC qu'on ne pouvait pas «vivre tout le temps avec l'état d'urgence».

Alors ? Trois mois ou trente ans ? En réalité, après la déchéance de nationalité, c'est l'autre piège de Versailles qui se referme sur l'exécutif. La loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence définit son utilisation exceptionnelle «en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public». Le Premier ministre en convenait il y a quelques semaines devant les journalistes : «L'idée n'est pas de faire vivre le pays sous état d'urgence infini, disait-il. On arrête l'état d'urgence parce que le droit parle d'une menace précise et imminente. Or, nous sommes face à une menace durable et globale.»

Manuel Valls, qui est pourtant le premier à réclamer de la «hauteur» et de la «constance» en ces heures difficiles, pèche par manque de clarté et de cohérence, deux qualités cruciales quand on veut rassurer plutôt que faire peur. Le Premier ministre ferait preuve de «hauteur» et de «constance» s'il expliquait que l'exécutif compte en réalité maintenir l'état d'urgence jusqu'à ce que son nouveau projet de loi antiterroriste puisse entrer en vigueur. Jusqu'à ce qu'il soit possible de faire, demain, ce qui relève aujourd'hui de l'exception. Jusqu'à ce que l'état d'urgence devienne permanent.

À lire aussi :Hollande veut prolonger l'état d'urgence de trois mois

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