L’affrontement entre Rome et Bruxelles s’envenime

Le premier ministre italien, Matteo Renzi

Le premier ministre italien, Matteo Renzi [ Francesco Pierantoni/Flickr]

Les tensions entre l’Italie, l’UE et l’Allemagne se sont accentuées, alimentées par la crise des réfugiés, la menace d’une crise bancaire en Italie et la situation budgétaire du pays. 

L’UE a prévu un fonds de 3 milliards d’euros d’aide à la Turquie, en échange d’actions pour ralentir le flux des migrants. Mais Rome bloque le processus et exige que cette somme soit décomptée du déficit public.

>> Lire : L’UE et la Turquie trouvent un accord sur la crise des réfugiés

Le Premier ministre italien, Matteo Renzi, avait déjà vivement critiqué la chancelière allemande, Angela Merkel, lors du sommet européen sur les politiques bancaires, énergétiques et migratoires de l’UE, les 17 et 18 décembre.

L’Italie négocie actuellement une plus grande marge de manœuvre pour son budget 2016. La Commission européenne considère pourtant que Rome a déjà bénéficié de plus de flexibilité budgétaire que les autres États membres et devrait calmer sa rhétorique anti-UE.

Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques, a déclaré qu’il ne « comprendrait jamais » l’approche négative de l’Italie. Pour lui, Rome devrait en effet s’estimer heureuse que la Commission envisage encore de répondre favorablement à cette demande, alors même que les autres États n’ont pas eu cette chance.

Matteo Renzi dénonce également un système « deux poids, deux mesures » dans la politique énergétique de l’Union. La Commission a ainsi mis son veto au développement du gazoduc South Stream, qui aurait apporté du gaz russe à l’Italie via la mer Noire, mais ne fait rien pour empêcher la construction de North Stream 2, qui amène du gaz russe à l’Allemagne via la mer Baltique.

>> Lire : L’Italie condamne un manque d’égalité à l’UE

Plus important encore, Rome se trouve au bord d‘une crise bancaire qui pourrait être bien plus problématique pour l’UE que la crise financière grecque. Monte dei Paschi, la troisième plus grande banque d’Italie est au cœur de la tourmente.

Selon les médias italiens, la banque détiendrait l’équivalent de 45 milliards d’euros de créances douteuses. De nouvelles règles européennes entrées en vigueur le 1er janvier obligent les actionnaires et les grands déposants à contribuer au sauvetage de la banque avant que les deniers publics soient mis à disposition.

En octobre, la Commission a en outre rejeté une demande italienne de créer une « bad bank » unique qui absorberait toutes les dettes en souffrance des banques italiennes. L’Italie a depuis soumis une autre proposition à la Commission, mais celle-ci estime que Rome tente de décharger les banques de leurs responsabilités, au désavantage du gouvernement, ce qui est précisément ce que la nouvelle législation tente d’éviter.

Message politique

Des sources au sein du groupe des Socialistes & Démocrates européens ont expliqué à EURACTIV qu’une série d’événements avaient aggravés les tensions entre l’UE et l’Italie.

Le 14 janvier, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a rencontré Angela Merkel à Berlin. Le lendemain matin, Jean-Claude Juncker attaquait Matteo Renzi au Parlement européen : « Je pense que le Premier ministre italien, que j’aime beaucoup, a tort d’offenser la Commission à chaque occasion qui se présente, je ne vois pas pourquoi il le fait ».

« En réalité, l’Italie ne devrait pas trop critiquer. Nous lui avons accord une [grande] flexibilité budgétaire, à l’encontre des souhaits de certains États membres qui, selon certains, dominent l’Europe », a-t-il ajouté, soulignant que c’était lui, et non le Premier ministre italien, qui s’en vante pourtant, qui avait rendu cette clémence possible.

De l’huile sur le feu

La presse italienne a versé de l’huile sur le feu en assurant que le président de l’exécutif avait déclaré en aparté qu’il n’avait « aucun interlocuteur » dans l’Italie de Matteo Renzi.

La riposte ne s’est pas fait attendre. « Nous ne nous laisserons pas intimider […] L’Italie mérite le respect », a rétorqué le principal intéressé.

Le Premier ministre italien a en outre décidé de remplacer son représentant à Bruxelles. L’ambassadeur Stefano Sannino a donc laissé sa place à Carlo Calenda, l’actuel vice-Premier ministre.

>> Lire : Matteo Renzi remplace son ambassadeur à Bruxelles

« L’attaque actuelle contre l’Italie n’est pas une coïncidence », a assuré la source d’EURACTIV au S&D, ajoutant que la décision de Rome de poster un homme politique dont il est proche plutôt qu’un diplomate de carrière à Bruxelles est un « message politique clair à l’attention de Bruxelles » : Rome est prête à en découdre.

Attentat à la crédibilité de l’UE

La situation s’est encore envenimée après que le chef de file du Parti populaire européen au Parlement, Manfred Weber, a accusé le Premier ministre italien de donner dans le populisme.

« [Matteo] Renzi sape la crédibilité de l’Europe au bénéfice du populisme », a-t-il assuré lors de la séance plénière de Strasbourg, la semaine dernière.

« Quand on voit l’Italie rechigner à aider la Turquie sans qu’on lui accorde des avantages, cela nuit à l’Europe, à sa force et à sa crédibilité », a ajouté le très direct chef de file du PPE, proche d’Angela Merkel.

Une déclaration « ridicule »

La déclaration enflammée de Manfred Weber a entrainé une réaction tout aussi forte de la part de l’Italien Gianni Pittella, qui dirige le groupe des Socialistes et Démocrates, qui a qualifié cette sortie d’inacceptable.

« La déclaration de Manfred Weber contre Matteo Renzi est inacceptable et ridicule. Personne ne peut accuser le Premier ministre italien de vouloir détruire l’Europe alors qu’il est certainement l’un des dirigeants les plus pro-européen », a-t-il rétorqué.

« Lors de sa discussion avec Jean-Claude Juncker, il a abordé des sujets très concrets, comme la flexibilité et la nécessité de dynamiser la croissance en Europe. Ce sont des questions essentielles pour que l’Europe ait un avenir. En tant que socialistes, nous partageons complètement l’idée qu’il nous faut faire un saut en avant », a-t-il poursuivi.

Forza Italia entre dans l’arène

Aldo Patriciello, eurodéputé de centre-droit de Forza Italia (affilié au PPE), a pour sa part estimé que la controverse actuelle entre le gouvernement italien et la Commission européenne « affaiblit le débat politique et la position de l’Italie au sein des institutions européennes ».

L’eurodéputé a ajouté s’inquiéter de « la négligence et du manque de perspicacité » avec lesquels le Premier ministre italien s’occupait des affaires européennes.

« Un grand pays comme l’Italie, fondateur de l’UE, devrait avoir [une approche] plus responsable et plus constructive, surtout lors d’une période comme celle-ci, où se jouent l’avenir politique du continent. Manfred Weber a raison, l’UE risque sa crédibilité », estime-t-il.

Sous couvert d’anonymat, certains eurodéputés de Forza Italia ont expliqué à EURACTIV que le parti était d’accord avec les demandes de Matteo Renzi, mais s’irritait de sa « rhétorique ». « Nous sommes las de son attitude vis-à-vis de l’UE […] nous devons coopérer avec les institutions européennes, pas les combattre », estiment-ils.

Plaintes grecques

Dans une interview récente avec EURACTIV, Nikos Xydakis, vice-ministre des Affaires européennes, a expliqué que les trois milliards d’euros d’aide à la Turquie n’étaient pas un chèque en blanc.

« [Ankara] n’a pas reçu trois milliards. Elle les recevra à l’avenir. Tout cela est au futur. Un accord a été trouvé et [l’argent sera donné] en fonction des résultats », a-t-il assuré.

Il a également critiqué le processus décisionnel de la Commission européenne en ce qui concerne la crise des réfugiés, et spécialement l’octroi d’aides à la Turquie.

« Les Français et d’autres ont d’ailleurs déclaré que la Commission ne pouvait pas prendre une décision puis annoncer aux États membres qu’ils doivent donner une partie de leur budget nationaux. Il faut une autre approche. Personne ne conteste les résultats, mais il faut une autre approche », conclut-il.

  • 26 janvier : Rencontre entre Pier Carlo Padoan, le ministre italien de l’Économie, et Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence.
  • 29 janvier : Matteo Renzi rencontre Angela Merkel.

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