MANIFESTATION - Quand les taxis promettent une grève "dure", ils tiennent parole. Ce 26 janvier, les manifestations de quelque 1500 chauffeurs protestant contre la concurrence des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) ont donné lieu à des incidents, et bloqué la circulation sur plusieurs points en Ile-de-France.
Peu après 7 heures, une navette a forcé un passage et blessé un manifestant.. Au total, vingt personnes ont été interpellées mardi matin, notamment pour "violences volontaires, port d'arme et incendie volontaire". Une délégation devait être reçue par Manuel Valls à 12h15, selon Matignon.
Selon Ibrahima Sylla, président de Taxis de France, "on ne va pas y aller pour négocier mais pour imposer" les revendications de l'intersyndicale, à savoir "interdiction des VTC ou indemnisation des taxis".
Alors que l'interdiction des VTC n'est plus pensable, que leur activité est déjà encadrée par la loi Thévenoud, l'indemnisation des chauffeurs de taxi revient en force dans le débat. Bon courage... "La question a été évoquée pendant les rencontres de préparation de la loi, mais je l'ai écartée", a expliqué au HuffPost le député Thomas Thévenoud.
Racheter toutes les plaques coûterait jusqu'à 8 milliards
En effet, le nombre de taxi étant limité par l'administration (près de 55.000 en France dont 18.000 à Paris), chaque nouvel entrant doit au préalable acquérir la licence d'un ancien pour entrer sur le marché.
Seule cette Autorisation de stationner (ADS) donne le droit de prendre des courses dans la rue en étant hélés, c'est la maraude interdite aux VTC, et celui de stationner près des bornes de taxis.
Leur prix est très variable d'une ville à l'autre: autour de 200.000 euros sur Paris, environ 150.000 en Petite couronne, 100.000 à 150.000 euros à Marseille, moins de 100.000 en Province. La plupart des chauffeurs concevaient cet investissement comme une assurance-retraite, comme un fonds de commerce qu'ils revendraient avant de se garer définitivement.
Racheter la totalité des licences françaises coûterait une petite fortune, d'ailleurs difficile à estimer, comprise entre 5 et 8 milliards d'euros. On imagine déjà la tête du ministre des Finances...
"Les fabricants de voitures ont-ils payé pour la disparition des chevaux?"
Le gouvernement envisage sérieusement cette solution, mais pas avec de l'argent public. Le 21 janvier, en marge du Forum de Davos, le ministre de l'Economie a tenté de convaincre le patron d'Uber, Travis Kalanick, d'indemniser partiellement les taxis. D'après la Tribune, la réponse a été cinglante: "Les fabricants de voitures ont-ils payé pour la disparition des chevaux?"
Mais il n'y a pas que l'état des finances publiques qui pose problème. Il faut se souvenir que les licences de taxi ont été distribuées gratuitement à l'origine. L'Etat n'y a rien gagné. À ce titre, la loi Pasqua de 1995 lui interdit de les racheter.
Si les plaques des taxi coûtent chers aujourd'hui, c'est parce que leur nombre est limité, et que les chauffeurs peuvent se les céder entre eux. Ces conditions de pénurie artificielle ont créé un marché de toute pièce.
Investissement spéculatif et blanchiment d'argent sale
Pour certains, c'est même devenu un investissement spéculatif. "Je suis le premier à soutenir les taxis qui ont acheté leur plaque 240.000 euros, confie Bertrand Altmeyer, co-fondateur du service de VTC Marcel Chauffeur, au HuffPost. Mais c'était sans doute l'un des meilleurs placements financiers des années 2000. Leur prix est passé de 100.000 à 200.000 euros [à Paris] en dix ans."
Pour un leader comme G7 qui pèse plus de 50% du marché parisien et possède près de 4000 plaques, il s'agit d'un véritable trésor de guerre. Malgré la nouvelle concurrence des VTC, cette entreprise reste très rentable (25 millions de marge nette pour 298 millions de chiffre d'affaires en 2014). On voit mal l'État lui signer un chèque de quelques centaines de millions d'euros...
Mais il y a plus douteux encore. "Je ne suis pas sûr que si l'Etat indemnisait, ce ne serait pas aussi une opération de blanchiment d'argent", alerte Thomas Thévenoud. Par endroit, le prix des plaques n'est plus justifié par les revenus qu'un chauffeur peut en tirer.
Pour les plus optimistes, c'est qu'elles intègrent les gains liées à une non déclaration massive de revenus. "[En région parisienne,] la valeur de la plaque de taxi incorpore toutes les fraudes fiscales et sociales anticipées. En faisant les calculs, il est juste impossible de justifier la valeur de marché des licences pour un business normal de taxi qui paierait toutes ses charges", estime l'économiste Joseph Delpla pour Atlantico.
Pour les plus plus pessimistes, c'est la preuve qu'elles servent aussi à blanchir de l'argent sale, comme à Nice où le prix de la plaque atteint les 350.000 euros. "C'est un problème politique, avertit Thomas Thévenoud. Le jour où l'Etat rachète les plaques, si je suis Marine Le Pen, je vais au 20 Heures, j'explique la situation en deux minutes et je fais un carton."
Bref, les discussions sont dans l'impasse. À moins qu'Emmanuel Macron ne repose gentiment la question au patron d'Uber?