Géostratégie - Arabie saoudite-Iran : le duel africain

Entre les deux pays phares, l'un du sunnisme et l'autre du chiisme, la bataille d'influence se joue aussi sur le continent africain. Explications.

Par Mireille Duteil

Poignée de main entre le président soudanais el-Béchir et un officiel saoudien à Médine en octobre 2013. Dans sa rivalité avec l'Iran, le Soudan est la grande prise de guerre africaine de l'Arabie saoudite.
Poignée de main entre le président soudanais el-Béchir et un officiel saoudien à Médine en octobre 2013. Dans sa rivalité avec l'Iran, le Soudan est la grande prise de guerre africaine de l'Arabie saoudite. © AFP / SPA / HO

Temps de lecture : 5 min

Début janvier, la tempête qui s'était levée entre l'Arabie saoudite et l'Iran n'avait pas tardé à quitter les seuls rivages du Golfe pour le continent noir. L'Arabie saoudite avait battu le rappel de ses amis et obligés pour tenter d'isoler diplomatiquement l'Iran. Obsédé par la république des mollahs et persuadé que le retour de Téhéran sur la scène internationale est pour le royaume saoudien une question de sécurité nationale, Riyad a cherché, ces dernières années, à contrer l'Iran, jusqu'en Afrique. Les Saoudiens ont-ils réussi à s'attacher les fidélités africaines ? Rien n'est moins sûr.

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Succès mitigé de Riyad dans son forcing sur les pays africains...

Certes, dés le lendemain de la mise à sac de l'ambassade saoudienne à Téhéran en rétorsion à l'exécution du chef religieux chiite, Nimr Baqer al-Nimr, par les autorités saoudiennes, trois pays, le Soudan, Djibouti et la Somalie,  se sont immédiatement alignés sur Riyad et ont rompu leurs relations diplomatiques avec l'Iran. Mais, passé cette première vague de pays de l'Afrique de l'Est (rapidement rejoints par les Comores), États à la fois proches géographiquement, économiquement mal lotis et sensibles aux sirènes saoudiennes, le reste de l'Afrique n'a pas cédé aux sollicitations de Riyad.

Certes, les pressions se sont multipliées sur les amis de l'Arabie saoudite. Ainsi, le Maroc, grand ami de la monarchie saoudienne, a été obligé de se dédire. Riyad a peu apprécié que le ministre des Affaires étrangères marocain appelle à la retenue les deux pays qui semblaient presque au bord de l'affrontement. Il l'a fait savoir. Rabat a rectifié le tir et, quelques jours plus tard, la ministre déléguée aux Affaires étrangères marocaine, Mbarka Bouaida, rendait l'Iran seul responsable de la crise. Mais Rabat, qui a rétabli des relations diplomatiques avec Téhéran en 2014 - et n'a pas encore envoyé d'ambassadeur dans la capitale iranienne -, n'a pas pour autant rompu ses relations avec l'Iran. Pas plus que ne le fera le reste de l'Afrique. Même si les pays musulmans du continent, sunnites, s'aligneront sur tous les pays membres de la Ligue arabe et prendront parti pour Riyad contre Téhéran. Un soutien purement verbal, à la grande déception des Saoudiens qui espéraient qu'à l'occasion de cette querelle avec l'Iran certains États de la Ligue arabe s'engageraient militairement à leurs côtés au sein de la « coalition arabe sunnite » dans la guerre saoudienne au Yémen. C'est en mars dernier que l'aviation de Riyad a commencé à bombarder les Houthis accusés d'être le cheval de Troie de l'Iran au Yémen. L'Arabie saoudite a dû déchanter : à l'exception des Soudanais engagés depuis le printemps 2015 au Yémen, aucun « ami » de Riyad n'est venu lui prêter main-forte.

... sauf avec le Soudan et même l'Érythrée

La seule vraie « prise de guerre » saoudienne en Afrique, depuis un an, aura donc été le Soudan. C'est un morceau de choix. Cet immense pays était dans les années 90, après l'arrivée au pouvoir du général el-Béchir et de son conseiller islamiste, Hassan al-Tourabi, la base arrière de l'Iran et des islamistes sunnites en Afrique. Oussama Ben Laden, chassé d'Afghanistan à la fin des années 80, s'y était réfugié, puis al-Tourabi avait tenté de fonder à Khartoum une nouvelle « internationale islamiste » pour damer le pion à l'Arabie saoudite et aux Frères musulmans. Par deux fois, en 2009 et en 2012, le Soudan, accusé de recevoir des armes par la mer à destination du Hamas palestinien, avait été bombardé par des avions israéliens.

C'est au printemps 2015 que les Saoudiens et leur diplomatie du « carnet de chèques » l'avaient emporté à Khartoum. Riyad avait promis des milliards de dollars d'investissements dans l'agriculture et la construction de barrages hydroélectriques à el-Béchir, président d'un pays pénalisé par des sanctions de l'ONU depuis 1997. Les Soudanais avaient renvoyé l'ascenseur en expédiant plusieurs centaines de soldats se battre au Yémen pour les Saoudiens. Un effort de guerre yéménite financé par l'Arabie saoudite. En décembre dernier, c'était au tour de l'Érythrée de tourner casaque. Asmara, où règne une dictature rejetée de tous, rompait ses relations diplomatiques avec l'Iran. Une victoire saoudienne : il y a quelques années, l'Érythrée était accusée de recevoir d'Iran des armes à destination des Houthis du Yémen.

Et l'Iran a réussi à maintenir le contact avec nombre de pays du continent

Mais les revirements africains s'arrêteront là, même si une vingtaine de pays africains se retrouvent, plus ou moins volontairement, au sein de la coalition des 34 pays financée par l'Arabie saoudite pour lutter contre le terrorisme. Une coalition assez théorique. En effet, le continent noir rechigne à s'engager réellement pour Riyad ou Téhéran. Il a toujours entretenu des liens plus ou moins étroits, selon les époques, tant avec l'Arabie saoudite qu'avec l'Iran. Les pays musulmans d'Afrique sont membres de la Conférence islamique dirigée par Riyad qui accueille chaque année des dizaines de milliers de pèlerins africains à La Mecque. Les Saoudiens n'ont jamais cessé, par fondations interposées, de financer le développement d'un islam wahhabite au Sahel. Les premiers prêcheurs sont arrivés au Tchad, au Soudan, au Sénégal dans les années 80. Ils ont apporté les germes du fondamentalisme au Sahel.

De son côté, la Perse entretient des liens avec l'Afrique depuis le XVIe siècle. Le dernier shah d'Iran avait développé une coopération militaire (en particulier dans le nucléaire) avec l'Afrique du Sud blanche. Il finançait aussi le développement de la riziculture au Sénégal. Plus tard, l'ancien président Ahmadinejad tentera de sortir l'Iran de son isolement diplomatique en nouant des relations avec l'Afrique. Téhéran a fourni des aides au développement, distribué des livres religieux et des bourses d'études. Les pasdarans ont même envoyé en 2010 un cargo d'armes pour la Gambie, suscitant une brouille sérieuse avec le Sénégal. Plus tard, l'Égypte, le Maroc, la Mauritanie, le Nigeria se brouillèrent tour à tour avec l'Iran. Les relations se sont normalisées depuis l'arrivée au pouvoir de Rohani. Pragmatiques, les États africains ont un souci : préserver leur indépendance et leur stabilité économique. Ils ne veulent pas les voir remises en cause dans une querelle venue du Golfe.