Le « trop plein » de guerres du président Hollande

L’armée française vit aujourd’hui son heure de gloire, grâce à un François Hollande très « guerrier ». Mais les réalités des opérations et de la diplomatie n’incitent pas à l’euphorie

(Article paru dans l’Opinion, pour les abonnés, les 13/14 janvier, avant les voeux du chef de l’Etat aux armées)

kak-hollande-les-guerres-de-trop.jpg

« La France est en guerre », mais elle est un peu boulimique. Au lendemain des attentats du 13 novembre, le chef de l’État constatait l’état de belligérance avec le groupe Daech, cette « armée djihadiste ». Deux mois plus tard, François Hollande s’adresse, ce jeudi, aux militaires engagés dans cette « guerre contre le terrorisme ». Un conflit qui se mène sur trop de fronts en même temps pour que l’effort puisse être efficace et soutenable dans la durée : Syrie-Irak, Sahel, territoire national pour l’essentiel, mais toujours la Centrafrique, la nouvelle menace russe et demain la Libye ?

Aucun autre dirigeant européen que François Hollande n’est engagé dans une telle fuite en avant militaire. Comme enivré par l’odeur de la poudre depuis l’intervention au Mali en janvier 2013, le Président dégaine plus vite que son ombre. Les militaires ne s’en plaignent pas. Après des années de vaches maigres, leur budget et leurs effectifs ont été sauvés. Rarement les armées auront été sollicitées et mises en avant par le pouvoir politique : grâce à un Président socialiste dont elle n’attendait à l’origine rien de bon, elles vivent aujourd’hui leur heure de gloire. Mais la réalité des opérations est plus prosaïque, comme le montre notre état des lieux.

1/ Le territoire national

Avec 10 000 hommes engagés dans la sécurité intérieure, Sentinelle est actuellement l’opération militaire la plus importante en volume. Lors de son déclenchement, le 12 janvier, l’armée a été « jetée dans l’urgence » sur le terrain pour rassurer les Français et, comme en témoigne la liste de sites protégés que nous avons pu consulter, la communauté juive en priorité. Comme la ligne Maginot, ce dispositif a été contourné par les terroristes le 13 novembre. Un an plus tard, les militaires sont toujours là et la « friche doctrinale et juridique », selon le chef d’état-major de l’armée de terre, reste bien touffue. Quel rôle permanent peut jouer une armée en matière de sécurité intérieure, alors qu’il existe une police et une gendarmerie ? On ne le sait toujours pas avec précision. Dans les jours qui viennent, un rapport sur le sujet, rédigé à l’automne par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sera transmis à Manuel Valls. Il comprend une petite vingtaine de propositions qui visent plus à « ajuster » ou à « améliorer » les choses qu’à bouleverser le cadre juridique. La sécurité intérieure restera bien sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur. Les militaires ont dû en rabattre de certaines de leurs ambitions initiales comme d’obtenir quelques pouvoirs de police judiciaire ou le contrôle de certaines zones, comme Calais.

2/ Le Sahel

L’opération Barkhane de lutte contre les groupes armés terroristes (GAT) au Mali et au Niger pour l’essentiel mobilise près de 4 000 hommes, si l’on compte les forces spéciales. C’est le terrain préféré des militaires, celui où les Français sont en position dominante et libre de leurs actions dans une zone bien connue. Mais, jusqu’au sein du ministère de la défense, on s’interroge désormais sur les « rendements décroissants » de Barkhane. Le bilan 2015 fourni par l’état-major des armées évoque « 150 opérations, 100 caches d’armes trouvées et 16 tonnes de munitions et d’explosifs détruits ». Silence total en revanche sur les TIC (Troops in contact), les affrontements armés. L’Opinion en a recensé neuf l’an dernier (dont une attaque terroriste à Bamako), aboutissant à la « neutralisation », c’est-à-dire à la mort, de 39 combattants ennemis. Certes, l’essentiel de l’opération consiste à « réduire la liberté d’action des terroristes en mettant la pression sur leur logistique » tout en renforçant la coopération militaire entre les pays de la région. Toutefois, la situation politique et sécuritaire reste très fragile, en particulier au Mali, où l’on ne voit guère de progrès dans les régions du nord. L’état-major des armées en prend son parti sur la base des précédents du Kosovo, de Côte d’Ivoire ou d’Afghanistan : « Ces opérations s’inscrivent sur une quinzaine d’années ». À raison de 700 millions par an, cela fait quand même 10 milliards. « On pourrait en faire des choses avec une telle somme », philosophe un diplomate.

3/ La Syrie et l’Irak

L’opération Chammal, qui consiste en des frappes aériennes contre Daech et à la formation de militaires en Irak, a été la plus médiatisée par le gouvernement depuis l’automne. Il n’empêche que la France n’y est que le junior partner des États-Unis au sein de la coalition. Paris a dû faire des pieds et des mains pour avoir accès au renseignement américain et la tentative de former une coalition avec la Russie a fait un gros flop. Militairement marginale en Syrie, avec une douzaine de raids depuis le 27 septembre, la France est, malgré ses efforts, politiquement quasiment hors-jeu dans la grande négociation entre la Russie et les États-Unis sur l’avenir du pays. L’effort militaire est plus important en Irak, mais la France y pèse politiquement encore moins qu’en Syrie.

4/ La Libye, demain ?

L’installation de l’État islamique sur les côtes libyennes inquiète le ministère de la Défense, qui plaise pour un engagement plus vigoureux de la communauté internationale. « Que ferait-on si un attentat préparé depuis Syrte a lieu demain en France ? », s’interroge un responsable. Les Italiens et les Britanniques sont partants pour une présence au sol à l’appel d’un nouveau gouvernement libyen. La France, qui a été aux premières loges en 2011, pourra-t-elle rester à l’écart ?

5/ Le reste du monde

En Centrafrique, Paris n’est toujours pas parvenu à réduire ses troupes (900 hommes) alors qu’un effectif comparable est toujours présent au sud Liban depuis 1978 ! Alors quand nos alliés de l’Otan demandent des « mesures de réassurance » face à la Russie, l’état-major français préfère regarder ailleurs…

Secret Défense Par Jean-Dominique Merchet

Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous sera étranger

A Lire Sur Le Blog