Ces derniers jours, quand Erick Muñoz se penchait pour déposer un baiser sur le front de sa femme, il ne reconnaissait plus son odeur. Ses années d'expérience comme auxiliaire médical lui permettaient cependant d'identifier l'exhalaison qui se dégageait du corps inanimé de sa bien-aimée.

«Je peux seulement décrire [ça] comme l'odeur de la mort», avait affirmé le Texan de 26 ans, la semaine dernière, dans une déclaration faite sous serment.

En s'appuyant partiellement sur ce témoignage, un juge du Texas a ordonné vendredi à un hôpital de Fort Worth de débrancher Marlise Muñoz, cette femme en état de mort cérébrale mais maintenue en vie artificiellement depuis le 26 novembre parce qu'elle était enceinte.

Dimanche matin, vers 11h30, l'hôpital John Peter Smith (JPS) a décidé d'obéir à ce jugement plutôt que d'en appeler, mettant fin à une histoire à la fois tragique et macabre dont le retentissement a dépassé les frontières des États-Unis.

Une histoire qui a illustré pendant deux mois le combat acharné de l'État du Texas pour la protection du foetus.

«Ils ont tenté de dépouiller Marlise de ses droits et de sa dignité en la transformant en incubateur», a déclaré à La Presse Heather Busby, directrice de l'antenne texane de NARAL, une organisation américaine pour le droit à l'avortement. «Une fois de plus, ils ont voulu donner la priorité au foetus sur la femme. Or, l'intérêt prétendu de l'État pour ce foetus allait à l'encontre des souhaits de la femme portant le foetus, de son mari et de ses parents.»

Marlise Muñoz, 33 ans, a vraisemblablement été victime d'une embolie pulmonaire dans la nuit du 26 novembre, alors qu'elle s'était levée pour s'occuper de son garçon de 15 mois. Elle était enceinte de 14 semaines.

Selon le témoignage d'Erick Muñoz, la mort cérébrale de sa femme a été déclarée à l'hôpital. Le mari a demandé qu'on la débranche immédiatement de la machine qui assurait le maintien de ses organes vitaux. Lui et sa femme, qui était également auxiliaire médicale, avaient déjà discuté de leur refus d'être gardés en vie artificiellement en pareille circonstance.

L'hôpital JPS a d'abord refusé d'acquiescer à la demande du mari, invoquant une loi du Texas selon laquelle «nul ne peut arrêter ou suspendre un traitement de maintien en vie sur une patiente enceinte». L'établissement voulait attendre que le foetus soit viable pour l'accoucher par césarienne avant de débrancher la mère.

En ordonnant que Marlise Muñoz soit débranchée, le juge Wallace a donné raison aux avocats d'Erick Muñoz sur l'interprétation à donner à la loi texane. Ceux-ci ont fait valoir que cette loi ne s'appliquait pas dans le cas de la jeune femme parce qu'elle était considérée comme décédée tant sur plan médical que juridique. Ils ont aussi argué que le foetus était «distinctement anormal», ayant été privé d'oxygène durant une période indéterminée.

«Depuis le début, l'hôpital JPS a fait valoir que son rôle n'était pas de faire ou de contester la loi, mais de la respecter», a déclaré la porte-parole de l'établissement public, Jill Labbe, dans un communiqué.

Mais des considérations politiques et religieuses ont également pesé sur la position initiale de l'hôpital. Des considérations défendues par le gouverneur républicain du Texas Rick Perry, le ministre de la Justice de l'État Greg Abbott, qui veut lui succéder, et plusieurs autres adversaires du droit à l'avortement.

«Tout ce qui compte pour eux, c'est d'imposer aux autres leur foi particulière, leur moralité particulière, afin de contrôler le corps des femmes et les décisions qu'elles prennent à propos de leur santé», a dit Heather Busby, de NARAL, lors d'un entretien téléphonique.

Sous l'impulsion du gouverneur Perry et de son ministre de la Justice, le Texas a adopté en juillet l'une des lois les plus restrictives en matière d'avortement aux États-Unis. Celle-ci interdit les IVG au-delà de 20 semaines de grossesse, limite l'utilisation de la pilule abortive RU486 et force les médecins pratiquant des avortements à faire admettre en priorité leurs patientes dans un hôpital situé à moins de 50 km de leur clinique en cas de complications.

Selon Heather Busby, cette dernière clause signifie que les Texanes n'auront plus accès à des services d'avortement dans deux des plus grandes régions de leur État - West Texas, à l'exception d'El Paso, et la vallée du Rio Grande.

«C'est particulièrement troublant pour ce qui concerne la vallée du Rio Grande, où se trouvent les comtés les plus pauvres du Texas. Les femmes de la vallée n'auront pas d'autre choix que de prendre les choses en main elles-mêmes», a estimé Heather Busby.

Ça aussi, ça risque d'être macabre.