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Sénégal

Ces Sénégalais qui affichent sur Facebook avoir rejoint l’État islamique

Une dizaine de Sénégalais se trouveraient actuellement en Libye dans les rangs de l'EI. L'un d'entre eux, Abdourahmane Mendy, à qui appartient ce regard, publie fréquemment des images sur Facebook, affirmant se trouver à Syrte.
Une dizaine de Sénégalais se trouveraient actuellement en Libye dans les rangs de l'EI. L'un d'entre eux, Abdourahmane Mendy, à qui appartient ce regard, publie fréquemment des images sur Facebook, affirmant se trouver à Syrte.
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Sadio Gassama, Abdourahmane Mendy, Elimane Diop… Voici les noms de jeunes Sénégalais partis faire le jihad sous la bannière de l'organisation État islamique (EI) en Libye. Parmi eux, certains étaient promis à un brillant avenir en tant que médecin. Ils étalent désormais fièrement leur nouvelle vie sur Facebook. Un de leur proches, étudiant en médecine, avoue son incompréhension.

La vague d’attentats qui a touché le Mali en décembre 2015, puis le Burkina Faso en 2016, fait redouter d’autres actes terroristes dans des pays d’Afrique de l’Ouest. Et le Sénégal craint d’être une des prochaines cibles. La semaine dernière, 900 personnes ont été interpellées entre Dakar et Thiès lors d’une opération de sécurisation menées dans "un contexte spécial de prévention et de riposte à la menace terroriste" a expliqué la police.

Les Sénégalais de l'EI en photos en Libye

Dans ce contexte de vigilance accrue, une photo publiée sur Facebook a été particulièrement relayée ces derniers jours. On y voit une dizaine de personnes, présentées comme sénégalaises, posant avec le drapeau de l’organisation jihadiste à Syrte, où l'EI est effectivement présent. La photo, non datée, a été postée le 9 décembre par Abdourahmane Mendy, un peintre en bâtiment originaire de Dakar. Il est difficile de dire si elle a bien été prise à Syrte cependant, la végétation luxuriante ne semble pas correspondre aux paysages de la région.

En revanche, sur une autre photo prise par la branche média de l’EI à Tripoli durant un forum de prédication à Syrte, on retrouve le même homme dans un fauteuil roulant, présenté comme étant "Abou Hatem", le "chef spirituel" du groupe selon les propos de certains jihadistes sénégalais sur Facebook.

Cette photo a été publiée courant décembre sur Facebook par un Sénégalais affirmant qu'il s'agissait d'un groupe de Sénégalais à Syrte, en Libye. La photo n'a pas été authentifiée de source officielle. La publication est accompagnée d'une série de photos montrant d'autres Sénégalais, armes à la main, faisant parti du "contingent".

Sur cette autre photo, publiée par la branche média officielle de l'EI à Tripoli en Libye, un homme en fauteuil roulant parle lors d'un forum de prédication à Syrte. C'est le même homme que sur la première photo, au centre de l'image.

Par ailleurs, des sources proches de l'EI en Libye ont confirmé à France 24 que des ressortissants sénégalais ont bien rejoint Syrte "depuis un moment" et qu'ils "participent activement aux combats" dans la région. Deux d’entre eux seraient d’ailleurs morts au combat en Libye récemment.

"L’un d’entre eux a publié le récit d’une bataille dans un registre littéraire très soutenu"

Abdou Cissé, journaliste pour Buzz.sn, suit régulièrement les activités de plusieurs internautes sénégalais qui affirment avoir rejoint les rangs de l’État islamique.

Depuis le dernier semestre 2015, quelques internautes sénégalais dont les profils sont ouverts, multiplient les publications. Difficile de donner un nombre précis, mais selon ces observations, ils seraient au moins une dizaine. Certains ont des métiers appartenant à des catégories socio-professionnelles élevées, comme médecins ou enseignants ; d’autres étudiaient dans des facultés réputées.

Depuis la fin de l’année dernière, ils sont entrés dans une logique propagandiste sur les réseaux sénégalais et utilisent tous les moyens pour séduire, notamment dans un style d’écriture très littéraire, sans aucune faute. Sur le profil de l’un d’entre eux, un texte très bien écrit au passé simple décrit une des batailles auxquelles ils auraient participé.

J’ai pu interviewer deux de ces Sénégalais partis (interviews à lire ici et ). Ce qui m’a frappé, c’est la qualité de leur expression, et la façon dont ils pèsent chaque mot pour répondre aux questions. On a affaire a des personnes instruites qui veulent donner bonne impression, comme s’ils disaient "nous ne sommes pas des cancres, comme vous le pensez".

Sadio Gassama, "un jeune médecin brillant" de Ziguinchor parti en Libye

Le profil de l’un de ces Sénégalais, Sadio Gassama, 25 ans, interpelle. Originaire de Ziguinchor, ville de la Casamance, région encastrée entre la Gambie et la Guinée-Bissau, le jeune homme affirme avoir rejoint comme "médecin militaire" les rangs du groupe jihadiste.

Sur sa page Facebook, ouverte au public, il prend le temps de répondre à tous ceux, amis et inconnus, qui l’apostrophent ou lui demandent pourquoi il a décidé de partir. Sur celle-ci, le jeune homme publiait avant l’été 2015 des photos avec des collègues médecins, des informations sur la Gambie, voisin de la Casamance, ou des photos de la Ka’ba à la Mecque.

Ces deux photos ont été publiées à un an d'intervalle. A gauche, Sadio Gassama pose avec des amis de promotion en médecine en septembre 2014. A droite, il poste une photo de Abdourahmane Mendy, un autre Sénégalais en Libye, armes à la main, en septembre 2015.

Sur ses passions, peu d’information : en parcourant sa page, on voit qu’il aime la page du CasaSport de Ziguinchor, club de football de sa ville, ainsi que plusieurs groupes sur le sport au Sénégal. Il fréquentait également des groupes de discussion sur l’islam où il intervenait peu. Mais ces informations présentes en ligne sont cependant à prendre avec précaution. Selon des proches, ce dernier n’a jamais travaillé pour "Médecin du monde ", comme il l’indique pourtant.

Entre l’été 2015 et le mois de novembre, il ne fait plus aucune communication. Il réapparait en novembre en postant la photo d’une arme avec un t-shirt flanqué à son nom et indique qu'il est devenu "médecin jihadiste dans l’État islamique en Libye ". Aux photos des amis de médecine, succèdent des clichés de kalachnikovs.

En décembre 2015, Sadio Gassama a publié cette photo sur son compte Facebook accompagné d'un texte prônant "les vertus du jihad".

"Il disait souvent qu’il ne se sentait pas à l’aise dans la société sénégalaise"

Modou (pseudonyme) a fréquenté Sadio Gassama à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar, où il était étudiant en médecine depuis 2010.

Sadio, c’était le bon camarade, toujours disponible pour expliquer les cours et transmettre ses méthodes et astuces pour absorber la masse de travail nécessaire en médecine. Mais en dehors des études et de la religion, il ne faisait pas grand-chose. Il aimait lire le Coran et était strict sur les horaires de prière. Il disait souvent qu’il ne se sentait pas à l’aise dans la société sénégalaise, il jugeait que les filles de l’université "s’habillaient mal". On ne l’a jamais vu venir faire du foot avec nous, il disait souvent "on n’est pas sur terre pour s’amuser" [selon plusieurs proches, Sadio Gassama aurait appartenu aux  "Ibadous Rahmane", un mouvement rigoriste critique envers l’influence des marabouts et prônant l’absence d’intermédiaire entre le fidèle et Dieu].

Il avait de très bons résultats jusqu’en troisième année. Puis en quatrième année, il a fait une sorte de crise et ne voulait plus étudier. Il ne venait plus du tout en cours, ce qui a inquiété ses camarades, auxquels il ne donnait pas d’explication. Puis un jour, sans dire pourquoi, il est revenu.

"Pour rigoler, certains camarades l’appelaient 'le Boko Haram' à cause de ses positions très strictes"

Ses proches amis n’ont pas spécialement remarqué de gros changement, il avait simplement des propos un peu plus durs que d’habitude. Il disait par exemple que toutes les filles devaient porter le voile, chose qu’il n’affirmait pas auparavant. Pour rigoler, certains camarades l’appelaient "le Boko Haram".

La dernière fois que je l’ai vu, c’était avant un partiel au mois de juillet. Au moment où le surveillant l’a appelé pour qu’il rende sa copie, il n’était plus là. On n’a plus eu de nouvelle de lui, jusqu’au jour où on a vu ses publications sur Facebook. On le savait pieux, mais on ne pensait pas qu’il partirait rejoindre un groupe armé. Pour nous, ça a été un choc. Il n’avait pas de fréquentation suspecte à l’UCAD. La seule explication qu’on voie, c’est qu’il se soit radicalisé tout seul sur Internet.

Sadio disait qu’il voulait devenir un grand médecin, afin d’aider sa famille à Ziguinchor, et pensait s’orienter vers la chirurgie pédiatrique aux dernières nouvelles.

Le gouvernement sénégalais est pour l’instant peu prolixe sur la question des ressortissants sénégalais qui seraient partis rejoindre les rangs de l’État islamique. Outre les 900 arrestations du mois de janvier, plusieurs imams suspectés de liens avec des groupes terroristes ont été interpellés en novembre 2015. Le porte-parole de la police a expliqué récemment que la  "plus grosse crainte [était] d’avoir une cellule de dix à vingt jihadistes sur le sol sénégalais".

Contacté par France 24 pour plus de précisions sur l’état de la menace, le directeur général de la police du Sénégal n’a pour l’heure pas souhaité s’exprimer.

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