Libye : l'irrésistible avancée de Daech inquiète les armées françaises

Alors que Daech grignote la Libye, le chef d'état-major Pierre de Villiers affirme que les armées françaises sont "au taquet". Off, les langues se délient.

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Le 23 janvier, le terminal pétrolier de Ras Lanouf est en flammes après avoir été pris pour cible par les djihadistes de Daech.
Le 23 janvier, le terminal pétrolier de Ras Lanouf est en flammes après avoir été pris pour cible par les djihadistes de Daech. © AFP

Temps de lecture : 4 min

Devant les membres de l'Association des journalistes de défense (AJD), le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, a estimé vendredi que « nous sommes au taquet de nos contrats opérationnels », ajoutant que, si le politique décide de lancer une nouvelle guerre, « on peut [soit] se désengager quelque part, [soit] augmenter le budget pour avoir plus de moyens, ce qui nécessite du temps ».

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Ces propos sont à rapprocher de la perspective d'une nouvelle intervention militaire, cette fois contre l'organisation État islamique (Daech), en Libye. Si elle se dessine à moyen terme, les conditions d'une telle action ne sont toutefois pas réunies, loin de là.

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, souligne la réalité de la menace libyenne depuis septembre 2014. Pour se tenir informée par ses propres moyens, la France conduit régulièrement depuis plusieurs semaines des missions aériennes ISR (Intelligence, Surveillance & Reconnaissance) au-dessus du territoire contrôlé par le groupe terroriste. Plusieurs évolutions récentes inquiètent particulièrement les militaires français. Tout d'abord, les attaques de Daech contre les terminaux pétroliers de Ras Lanouf et d'Es Sider, à l'est de Syrte, et sa progression vers l'est, qui lui permettrait d'occuper un important champ pétrolifère. Mais la situation dans la ville de Hun, à 400 kilomètres au sud de Misrata, commence à donner des cauchemars aux services de renseignements. Ils y ont repéré des camps d'entraînement où Daech forme des combattants au profit d'autres groupes, comme Boko Haram ou Al-Mourabitoun. De plus, de nombreux Français seraient actuellement en train de rejoindre la Libye, via la Tunisie.

« Que fait-on ? Rien... »

Les Libyens se révèlent pour leur part incapables de constituer un gouvernement d'union. Aucune conscience nationale n'émerge. La communauté internationale regarde de loin. Et la situation a beau se dégrader chaque jour davantage de l'autre côté de la Méditerranée, les moyens d'action des Occidentaux sont très limités. « Que fait-on ? Rien... » observe un homme très au fait du dossier, persuadé que la France « attendra un gros attentat bien crado, organisé de la Libye », avant d'agir. Et de poursuivre : « Il serait difficile de faire du Sarkozy, c'est-à-dire de taper dans le tas sans se préoccuper de la suite ! »

D'ailleurs, quelles seraient les possibilités d'intervention ? À ce stade, force est de constater que personne n'en sait rien et que les volontaires ne se pressent pas au guichet. Les Italiens se sont dits disposés à déployer 5 000 hommes, mais ce ne sont que des mots ! Les Américains ont quelques forces spéciales sur le terrain, mais juste pour s'informer. Les Algériens ne veulent pas entendre parler d'intervention étrangère. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi ne tient plus le discours guerrier qui était le sien voici quelques mois. Quant aux Qataris et aux Émiratis, grands alliés et clients de la France, ils jouent en Libye leur propre jeu, par l'intermédiaire de divers groupes locaux. Mais encore ? L'analyse est très simple et tient en un seul mot : impasse.

Rupture stratégique

Très résiliente en Syrie et en Irak, l'organisation État islamique s'incruste en Libye. À Syrte, ses trois chefs sont un Pakistanais, un Yéménite et un Syrien. Pierre de Villiers observe que les données géopolitiques et stratégiques sont chamboulées par l'émergence de cette menace terroriste transnationale : « Nous voyons se dessiner sous nos yeux une rupture stratégique, la fin de l'ordre dit westphalien, c'est-à-dire la fin de la sécurité des sociétés à l'intérieur des frontières étatiques. La dégradation sécuritaire s'inscrit dans la durée et l'irruption du terrorisme domestique est un bouleversement systémique pour notre société. » À ses yeux, ces évolutions impliquent que la France devra augmenter ses dépenses militaires, pour les faire passer à 2 % du PIB, contre 1,7 % actuellement (calcul selon les normes Otan). Et, bien que chacun sache que les 10 000 hommes de l'opération Sentinelle ne seront d'aucune utilité pour empêcher un nouvel attentat, le chef d'état-major des armées met ses troupes au service de la sécurité à l'intérieur des frontières : « Les forces armées ont vocation à agir en complémentarité des forces de sécurité intérieure, et donc sous la responsabilité, bien sûr, du ministère de l'Intérieur. Face à des groupes terroristes qui utilisent des modes d'action guerriers, nous mettons à disposition nos capacités militaires en termes de planification, d'autonomie, de réactivité au service de la sécurité des Français. » Sans doute. Mais les armées ne sont pas en mesure, à conditions égales à celles d'aujourd'hui, d'entamer une autre guerre.

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Commentaires (36)

  • nominoe

    La diplomatie va à veau l'eau depuis pas mal d'année. Son indépendance par rapport à la diplomatie américaine est désormais inexistante. Toutes les élites en relation internationale sont formatées par les écoles financées par les lobbys anglosaxons. Il vaut mieux un dictateur qui tient son pays de main ferme qu'un état en déliquescence comme c'est le cas en Somalie, au Yémen, en Afghanistan, et en Lybie. Détruire un dictateur, c'est facile. Bâtir ou rebâtir une nation cela demande du temps, de la préparation et des analyses indépendantes avec une bonne connaissance du pays, du terrain. Tout ce qui manque à nos polichinels en costume 3 pièces qui ne connaissent rien aux problèmes tribaux, aux différences entre religions ou sensibilités locales. En ce qui concerne notre défense, il est plus qu'urgent de mener une réflexion stratégique européenne (et surtout sans l'implication américaine qui est devenue un réel problème) et de réfléchir à se redonner les moyens face aux menaces qui s'étendent. Ou alors autant se "coucher" comme en 1940 et faire du livre de Houllebecq son livre de chevet

  • Vent d'azur

    @ Sergio 46 - Sarko n'a rien compris. Il a déstabilisé la Lybie.
    Par le passé avec Kadhafi, des hommes ont subi la torture. Une intervention en Lybie était nécessaire mais...
    Une politique vraiment démocratique n'a pas eu lieu après la chute et la mort de Kadhafi. De ce point de vue, il y a eu un manque de clairvoyance de l'Otan, de l'Europe.

  • sergio46

    Mais, au contraire de ce qu'il s'acharne à clamer dans son livre en forme de mea-culpa, il n'a pas changé, sinon, il cesserait de se mêler des affaires de la France, auxquelles il n'a pas compris grand-chose !
    Il n'a pas compris non plus, et c'est encore bien plus grave, qu'une large majorité de Français n'a plus envie de le revoir !