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Tony Estanguet : « Les autorités russes ne sortiront pas indemnes de Sotchi »

Le Français, triple champion olympique et membre du CIO, a accordé un entretien au « Monde » dix jours avant l'ouverture des Jeux d'hiver, à Sotchi.

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Publié le 27 janvier 2014 à 12h51, modifié le 27 janvier 2014 à 16h10

Temps de Lecture 8 min.

Le président russe Vladimir Poutine à Sotchi le 17 janvier.

Seul athlète tricolore à avoir remporté trois médailles d'or dans autant de Jeux olympiques (Sydney 2000, Athènes 2004, Londres 2012), l'ancien champion de canoë Tony Estanguet a rejoint ses compatriotes Jean-Claude Killy et Guy Drut comme troisième Français membre actif du Comité international olympique (CIO) après avoir pris sa retraite sportive à l'automne 2012. Elu jusqu'en 2020, le Palois, âgé de 35 ans, a reçu Le Monde à Paris dans son bureau du Comité olympique français pour évoquer ses nouvelles fonctions et sa vision de l'olympisme.

Votre élection en août 2012 à la commission des athlètes du CIO a été rocambolesque, annulée le lendemain après appels des délégations japonaises et taïwanaises, puis confirmée près de dix mois plus tard. Comment s'est passée votre intégration à la famille olympique ?

Je suis officiellement dans le bateau depuis juin 2013. Il y a eu un timing malgré moi alors que nous avions une grosse session en septembre à Buenos Aires avec trois choix stratégiques : la rénovation du programme olympique, le choix de la ville-hôte pour 2020 et l'élection du nouveau président. L'intégration a été rapide grâce à ce calendrier qui comptait aussi, en juin 2013, le Forum mondial des athlètes. On m'avait vendu le CIO en me disant : « C'est sympa, c'est trois quarts de réunions et il y a les voyages. » Or, on est sans cesse sollicité sur les 360° du sport – la lutte antidopage, la reconversion, l'environnement, le choix des villes olympiques… – et inondé de messages.

C'est pour moi un changement de vie radical et brutal. On a tendance à être un peu boulimique par peur du vide, alors je me suis engagé dans pas mal de projets. Ce que j'adore, c'est que je suis à nouveau dans la situation d'apprendre. J'avais envie de me mettre en danger et je ne suis plus expert en rien.

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Les Jeux d'hiver de Sotchi débutent le 7 février. Ils ont été précédés de controverses et d'appels au boycott. Cet épisode a dû vous rappeler les Jeux de Pékin de 2008 dont vous étiez porte-drapeau pour la délégation française ?

Je n'ai pas très bien vécu cette expérience, cette polémique avec les gens qui nous interpellaient en tant que sportifs en nous demandant de boycotter et de manifester contre la Chine. J'étais athlète avec le projet de réussir les jeux et étranger à leur organisation. Mais notre activité ne méritait pas d'exister. J'avais l'impression qu'on me faisait des reproches alors que je ne soutenais pas le régime chinois. J'ai mal vécu la violence des propos tenus contre nous, qu'on n'avait aucune ouverture d'esprit et aucune culture des droits de l'homme. Reporters sans frontières nous tapait dessus en disant que les athlètes sont incapables de prendre leurs responsabilités et n'ont pas de conscience collective. C'était se servir de nous pour faire parler de leur cause. J'ai trouvé ça violent et au final, inapproprié et contreproductif. En tant que porte-drapeau, j'ai essayé d'honorer cette responsabilité et d'aller au devant des associations et des journalistes. D'un côté, on comptait sur nous pour chercher des titres olympiques en gérant la pression. Et en même temps, on avait une responsabilité, on se devait d'être représentant de la diplomatie française pour expliquer ce qu'est un Etat de droit.

J'ai l'impression de revivre ça avec Sotchi. Qu'on saisisse cette opportunité pour faire passer un message, d'accord, mais il ne faut pas jeter la pierre au sport. Il devrait être en dehors de ces préoccupations. Il n'a pas à être un remède à des impasses politiques. C'est un des rares espaces où tous les pays peuvent cohabiter pendant ces journées. Mais le CIO n'est pas l'ONU.

Pensez-vous que l'attribution des Jeux à Sotchi était une bonne idée ?

Je suis allé une fois à Sotchi pour la conférence mondiale « Sport et environnement », en octobre. C'était très courageux de l'organiser à Sotchi et de pouvoir parler environnement alors qu'il y a eu des excès. L'objectif du CIO est l'universalité du sport. Je trouve normal que ces grands pays que sont la Russie et la Chine organisent les Jeux. On pourrait se limiter aux Etats-Unis et à l'Europe occidentale mais ce ne serait plus le sport. Rio en 2016, c'est super. J'espère que demain ils auront lieu en Afrique. Je ne vois pas pourquoi on n'irait pas dans des zones difficiles. Les autorités russes ne sortiront pas indemnes de Sotchi. Les Jeux ont un impact politique sur les pays organisateurs. La libération des Pussy Riot est un premier signe, même si personne n'est dupe. Sur place, il n'y avait pas de norme sur l'environnement. Aujourd'hui, il y a une loi. On sait que Poutine s'est impliqué personnellement, mais les Jeux ne concernent pas que lui.

Ces Jeux sont aussi les plus chers de l'histoire…

Il y a effectivement un problème de budget global, qui fait peur. La Russie en a profité pour construire des équipements et des infrastructures. Cela envoie un mauvais message, il y a un risque que les Jeux deviennent inaccessibles. Bien sûr, tous les pays ne peuvent pas s'offrir les Jeux. Mais il faut que la force du concept prévale sur le chèque, que ce ne soit pas uniquement du strass et des paillettes. J'essaie d'alerter sur ça à mon petit niveau au CIO, pour que le sport de haut niveau ne se coupe pas de la pratique amateur. Il y a sans doute une part de naïveté mais je pense qu'il y a un héritage des Jeux. Sinon les grandes puissances ne se les arracheraient pas. S'ils le font, c'est qu'il y a aussi une vertu. Les Jeux ont fait évoluer la Chine : 800 000 jeunes ont été formés grâce aux programmes des JO. Le modèle chinois pour les sportifs était centré sur lui-même. Ils ne faisaient que les championnats du monde et les JO. Depuis, ils prennent des entraîneurs étrangers, viennent s'entraîner en France, à Pau pour le canoë-kayak. Les jeux paralympiques ont aussi permis des évolutions.

L'adoption par la Russie d'une loi anti-gay a été suivie d'appels au boycottage. Cela vous semble-t-il fondé ?

On ne souscrit pas à ce genre de loi mais tant que les Russes respectent la charte olympique, on n'a pas à sanctionner. Je pense que boycotter est une erreur. Il faut au contraire y aller et s'exprimer.

Quelles sont les chances de Paris d'accueillir les Jeux en 2024, un siècle après les précédents ?

Le centenaire est plus un argument national qu'international. Or, si on veut avoir une chance de gagner, il ne faut pas avoir de discours autocentré mais contribuer au mouvement mondial. La France peut aider par la coopération et le développement. J'accueille plutôt avec motivation et enthousiasme ce projet de candidature, on a besoin de moderniser la place du sport et les JO peuvent être un catalyseur. Le discours politique soutient que les sports c'est formidable et quand il s'agit de leur donner de la place au sein de l'école, c'est moins ambitieux. Il faut s'interroger d'abord sur ce qu'on aurait à gagner à les organiser. Le modèle de la loi de 1901 est toujours en vigueur. Il fonctionne mais le moment est venu de voir si on peut l'améliorer. L'idée est encore de rapprocher le haut niveau et le sport loisir. Il faudrait imaginer des événements qui permettraient de faciliter l'accès à la pratique pour tous. Ces sont des enjeux sociaux, de santé publique, économiques. Le sport, plus pratiqué, permet de générer des emplois. Quand on parle de rentabilité et d'investissement, il ne s'agit pas de dépenser des milliards d'euros pour deux semaines de compétition mais de faire avancer la société. Une candidature est une compétition qui permet d'être honnête avec soi-même, de mesurer ses forces et ses faiblesses, de se remettre en question.

Vous êtes aussi actif au sein du Comité français du sport international, mis en place en avril 2013 et présidé par Bernard Lapasset. Quel est son rôle ?

Repenser les stratégies à l'international après les échecs de Paris pour 2012 et d'Annecy pour 2018. On accompagne les candidatures pour qu'elles progressent et gagnent comme celle pour les Mondiaux de canoë-kayak, qui auront lieu à Pau en 2017. J'ai pris la tête du comité d'organisation en partant d'une feuille blanche. Bernard Lapasset m'a aidé. On a mis en commun nos réseaux, nos connaissances.

Pourquoi avoir choisi cette reconversion ?

Cela reste un milieu qui me fait rêver. J'ai vécu une aventure incroyable avec les JO, j'ai réalisé mon rêve de gamin devant la télé quand je voyais un Carl Lewis. J'ai l'impression d'être redevable à l'olympisme et d'y être lié à jamais. J'ai aujourd'hui accès à des personnalités comme Alexander Popov ou Sergueï Bubka, des gens que je ne connaissais pas de la royauté ou des chefs d'entreprise qui sont passionnés par le sport. Les pauses café au CIO sont une chance incroyable. On m'avait dit : « Tu vas voir dans quel panier de crabes tu es tombé, tu vas te faire du fric, tu vas pouvoir profiter du système. » Or, ce sont des gens très fortunés qui font ça bénévolement. 

Vous venez d'intégrer le comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage. Quelle position comptez-vous défendre ?

Mon expérience de la lutte antidopage était plutôt une contrainte qu'on nous rajoutait avec l'obligation de localisation, la déclaration quotidienne d'agenda pour les contrôles, la pression mise sur l'athlète alors qu'on n'avait rien à se reprocher. Dans mon sport, c'était un enfer : j'étais incapable de dire trois mois à l'avance où j'allais m'entraîner car c'était en fonction du niveau d'eau. Il y a eu beaucoup de cas de « no shows » avec sanctions, il ne faut plus que ça arrive. Le système n'est pas durable, on se trompe de cible, beaucoup de sportifs ont peur de ne pas être à jour. Je pense qu'il faudrait mieux cibler, utiliser des techniques d'enquête, s'appuyer sur les « on-dit » des gens du milieu, être plus malins que les tricheurs. Il faut aussi un accompagnement pédagogique pour rassurer les athlètes propres qui, j'en suis persuadé, constituent une grande majorité. On prête aux sportifs une malhonnêteté dérangeante, une capacité à s'organiser pour détourner. Or, on ne peut pas à la fois s'enflammer collectivement pour le sport et le dénoncer comme un scandale. Le côté « tous pourris » est un manque d'honnêteté intellectuelle. Ce n'est pas vrai qu'on ferme les yeux et qu'on protège : les sanctions vont être rendues plus dures, on passe de deux à quatre ans, on conserve les échantillons pendant dix ans, les athlètes dopés ne tomberont pas le jour de la course mais tôt ou tard.

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