L'émir qatarien Tamim ben Hamad Al Thani (près de Manuel Valls), lors d'un match au parc des Princes, est le propriétaire du Paris Saint-Germain depuis 2012. 

(LtoR) Chairman of the Paris Saint-Germain L1 football club, Nasser Al-Khelaifi (L) of Qatar, Qatari Crown Prince and PSG owner Tamim bin Hamad Al-Thani  and French Prime Minister Manuel Valls observe a minute of silence in tribute to the Paris attacks victims before the French L1 football match between Paris Saint-Germain (PSG) vs Troyes on November 28, 2015 at the Parc des Princes stadium in Paris. AFP PHOTO / FRANCK FIFE / AFP / FRANCK FIFE

L'émir qatarien Tamim ben Hamad Al Thani (près de Manuel Valls), lors d'un match au parc des Princes, est le propriétaire du Paris Saint-Germain depuis 2012.

AFP/FRANCK FIFE

Frédéric Encel est Docteur en géopolitique à l'université Paris 8. Il est l'auteur de Géopolitique du printemps arabe (PUF, 2015).

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Soraya Djermoun est l'auteure de Qatarisme? (avec Emmanuel Hersant, L'Harmattan).

Depuis les attentats de Paris, des voix s'élèvent pour mettre à l'index le Qatar et ses milliards d'euros, suspecté de financer le djihadisme, alors qu'il y a quelques années la France accueillait à bras ouverts cet investisseur...

Frédéric Encel. J'aimerais partager votre optimisme, mais je ne suis pas convaincu que cette nécessaire prise de conscience soit à ce point partagée, notamment à cause des "petits télégraphistes" et autres lobbyistes qui, prétendant défendre le foot, protègent surtout leur très prodigue ami. Cela dit, le fait que le Qatar est tout de même la matrice idéologique et financière de cette barbarie qu'est l'Etat islamique commence enfin à être connu. Nous sommes plusieurs spécialistes du Moyen-Orient à avoir sonné l'alarme depuis de longues années déjà.

Soraya Djermoun. Le "Qatar-bashing" fonctionne depuis bien longtemps en France. Déjà, en 2011, quand le fonds souverain a investi dans le capital du Paris Saint-Germain, des suspicions infondées sur le soutien de l'émirat à l'islamisme avaient pris corps. Ensuite, il y a eu la polémique à propos du fameux "fonds banlieues". Le Qatar avait accepté de financer des initiatives dans les quartiers, mais à la demande des élus de Seine-Saint-Denis. La boîte à fantasmes est ouverte depuis longtemps en France, mais pas en Chine, ni en Allemagne ou aux Etats-Unis, où l'Émirat investit également beaucoup d'argent.

Ces accusations d'accointances directes ou indirectes avec l'islam radical sont-elles fondées?

F.E. Absolument. Soyons précis: le régime politico-religieux qui préside aux destinées de ce confetti du Golfe est d'obédience wahhabite - comme en Arabie saoudite, du reste. C'est-à-dire qu'il s'inspire des préceptes du prédicateur bédouin fanatique du XVIIIe siècle Ibn Abdelwahhab. Concrètement, il s'agit d'un dogme ultrarigoriste, phallocrate, violemment hostile aux non-musulmans sunnites, et semi-esclavagiste.

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Cela dit, l'Etat central est très faible au regard des grandes familles qui se partagent le pouvoir au sein d'une caste monarchique féodale, le prince régnant à Doha peut donc prétendre qu'il n'est pas lui-même responsable des réseaux de financement qui irriguent les groupes islamistes les plus violents à travers le monde, du Mali (où combattent nos soldats) à l'Irak, en passant par le Pakistan. Or, sous couvert d'associations de bienfaisance islamique ou de soutien à l'expansion de l'éducation musulmane, des fonds qatariens privés considérables continuent de se déverser au profit de groupes islamistes radicaux. Ce n'est pas tolérable.

S.D. C'est de la calomnie. Aucune preuve n'a jamais été apportée pour étayer ce genre d'accusations. Le Qatar n'a jamais soutenu ni financièrement ni idéologiquement le djihadisme. D'abord, les Qatariens agissent sous le regard vigilant des Etats-Unis, dont la principale base extérieure est justement située à Al Udeid. L'armée du Qatar est d'ailleurs intervenue en Libye aux côtés de l'Otan. Et puis, au-delà de ces considérations stratégiques, l'émir ne cesse de donner des gages de sa bonne foi vis-à-vis de l'Occident.

Le Qatar vient ainsi d'abroger le système dit "kafala", qui permettait aux autorités de conserver le passeport des travailleurs étrangers. Il ne s'embarrasse pas des préceptes de la finance islamique, mais joue ouvertement la carte d'un libéralisme pragmatique à l'anglo-saxonne. Enfin, il fait partie depuis novembre 2012 de l'Organisation internationale de la francophonie.

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La France a-t-elle les moyens de faire la fine bouche devant ce riche investisseur?

F.E. Oui et non. Nous avons besoin de vendre nos produits à très haute valeur ajoutée, y compris les armements de pointe comme les Rafale et, en l'espèce, seuls quelques rares Etats tels le Qatar ont à la fois la volonté et la capacité de nous en acheter en ce moment. De toute façon, ce n'est pas avec ces armements que Riyad ou Doha pourrissent depuis quarante ans les banlieues d'Orient et d'Occident, mais bien avec des imams fanatiques!

Je crois donc que le gouvernement n'a pas tort de poursuivre cette politique commerciale avec le Qatar, à la condition qu'on exerce en même temps des pressions diplomatiques pour le contraindre à cesser ses financements douteux. Et dans la diplomatie, je mettrais aussi éventuellement le sport, suivez mon regard!

S.D. La France s'emploie à devenir la plus attractive possible pour recevoir des investissements pourvoyeurs d'emplois et, sans aucune preuve, elle fermerait la porte aux Qatariens? Il faut tout de même faire preuve d'un peu de bienséance: la famille de l'émir est très francophile et la culture française attire les Qatariens. A l'heure où les Etats occidentaux se font concurrence pour attirer les milliards du Golfe, la France ne peut jouer un jeu inverse vis-à-vis d'un pays qui lui déclare sa flamme.

Mais que peut faire la France à l'endroit des fonds qatariens investis sur son sol? Faire des contrôles sur l'origine des fonds? Fermer la porte aux investissements? Prier le pays de plier bagage?

S.D. Il ne faut surtout pas fermer les portes. Mais rappelons encore une fois, pour calmer les esprits échauffés, que lorsque le Qatar investit en France, il crée une société de droit français et que la législation s'y applique. D'ailleurs, comme pour tout autre pays, Tracfin, la cellule de veille financière de Bercy, fait son enquête sur l'origine des fonds. Sous quel prétexte imposer une législation spécifique dès lors que ces fonds proviendraient des pays du Golfe?

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F.E. D'abord, il faut tout de même raison garder: le Qatar et l'Arabie saoudite n'ont pas "acheté" la France, comme on l'entend trop souvent. Ils y ont investi beaucoup, certes, mais, à titre comparatif, la Grande-Bretagne accueille un tiers d'investissements qatariens de plus que notre pays!

En revanche, il faut être extrêmement vigilant à l'égard des investissements prétendument culturels qui sont faits, en particulier dans nos banlieues. Il est hors de question qu'une propagande wahhabite s'y développe insidieusement ou s'y renforce sous couvert de pseudo-programmes sportifs ou éducatifs. Après les massacres islamistes de 2015 en France, la République doit se montrer intraitable avec le fléau djihadiste - courageusement dénoncé comme tel dès janvier par Manuel Valls - et avec ceux qui, de près ou de loin, l'alimentent.

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