
MÉDIAS - Si la série "Baron Noir" décrypte avec une précision inédite le fonctionnement du monde politique hexagonal, la fiction crée par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon brosse avec une certaine dextérité le fonctionnement des médias. Aucune facette du système médiatique n'a été oubliée par les scénaristes. De la perfusion des politiques aux chaînes d'informations en continu à la place de plus en plus importante des médias web, la série pousse loin dans le détail.
Pour coller le plus possible à la réalité, l'équipe de "Baron Noir" n'a d'ailleurs pas hésité à recruter de vrais journalistes. Ainsi, on retrouve dans la série des personnalités comme Jean-Pierre Elkabbach, Michaël Darmon, Audrey Pulvar, Wendy Bouchard ou encore Romain Hussenot entre autres. Certes, les journalistes télé présents au casting sont pour la plupart des habitués des plateaux d'i-Télé (chaîne du groupe Canal Plus), mais leur présence à l'écran renforce incontestablement le caractère réaliste de la série.
"Ce qui nous intéressait d'abord, ce n'était pas la notoriété des journalistes, c'était vraiment le phrasé, le "flow" particulier des journalistes. On s'est rendu compte que l'on ne pouvait pas demander ça à un comédien. Donc dès qu'on a compris ça, on s'est tourné vers de vrais journalistes, en se disant que c'était aussi amusant pour le spectateur", expliquent les scénaristes interrogés par Le HuffPost.
Une certaine vision de la télévision
Comme dans la "vraie vie" politique, la télévision donne le tempo. La série débute d'ailleurs avec le sacro-saint débat d'entre-deux tours, animé par Wendy Bouchar et Romain Hussenot. Même si ces derniers ne sont pas autant identifiés par le grand public que David Pujadas et Laurence Ferrari, la forme du débat colle à la perfection avec ce qui est de coutume en pareil exercice. À ce propos, le décor est similaire à celui du débat de 2012.
Si sur le fond le rôle de la télévision est parfaitement traité (notamment pour la période "campagne" de la série), dans la forme, certains détails ne correspondent pas tellement à la réalité. Ainsi, le spectateur ne sera pas surpris, groupe Canal oblige, de constater une surreprésentation de la chaîne i-Télé alors que les gros coups médiatiques se font surtout sur la première et la deuxième chaîne.
Aucun 20 heures sur TF1 ou France 2 n'apparaît dans la série. Le seul moment où le président en exercice vient s'expliquer sur un plateau de télévision, il le fait sur... i-Télé, interrogé par Audrey Pulvar façon : "les Français veulent savoir Mr le Président !". Alors, comment expliquer un tel décalage avec ce qui se fait habituellement ? Une "contrainte de production", répondent les scénaristes.
"On ne pouvait pas avoir des grands plateaux, les refabriquer etc. Mais la confession de Laugier sur i-Télé dans l'épisode 7 donne un peu une sensation de grand-messe de 20 heures...", nous explique-t-on. Surtout, "TF1 et France 2 ne nous auraient pas laissé tourner sur les plateaux du 20 heures", indique Eric Benzekri, expliquant que ces chaînes "sont aussi concurrentes sur la fiction" avec Canal.
Atouts et failles de la presse web
La presse web rythme également le déroulement de "Baron Noir". En déterrant des photos compromettantes, en sortant des scoops fracassants ou en faisant office de canon à boules puantes, les trois pureplayers présents dans la série (Rue89, Mediapart et Atlantico) correspondent plutôt bien à ce qui se fait sur le net.
Même si entre-temps Rue89 a depuis réorienté sa ligne éditoriale pour se concentrer sur les "questions numériques", le site lancé en 2007 est ici présenté comme un site de veille politique qui va repérer en premier une photo qui va fortement gêner le protagoniste de la série. Aussi, une enquête Mediapart va littéralement ébranler le pouvoir dans "Baron Noir". Détail intéressant, le directeur de la rédaction n'est pas l'iconique Edwy Plenel mais un certain Max Dagon qui impose au chef de l'État un délai de 48 heures pour fournir ses réponses. "Même si ça n'a pas existé ou si cette méthode n'existe pas en politique, ça pourrait exister. C'est ça qui nous importe", soulignent les scénaristes.
Autre site du paysage médiatique présent dans "Baron Noir" : Atlantico. Dans l'épisode 8 de la série, le pureplayer va diffuser un document compromettant pour le pouvoir socialiste. Document fourni clé en main par l'opposition de droite, proche de ce site. "Ça c'est du journalisme", se gargarise même le chef des Républicains, l'ex-président Jean-Marc Auzanet. Outre le clin d'œil à des sites existants, la série reflète les liens incestueux entre des responsables politiques et certaines rédactions.
Manœuvres et méthodes
Au delà de la seule description du monde médiatique, "Baron Noir" montre surtout comment les politiques se servent des médias. Règlements de compte par caméras interposées, communiqués envoyés à la hâte à l'AFP pour répondre à une polémique, éléments de langages récités aux journalistes par "l'entourage" du ministre, recours aux réseaux sociaux... Toutes les manœuvres et méthodes prisées par les politiques figurent dans la série.
"J'ai pu observer comment ça se passait quand j'y étais", note Eric Benzekri qui précise toutefois que, de son temps, "il n'y avait pas encore tous les journaux en ligne et les réseaux sociaux". "Enfin, ça existait", corrige-t-il, "mais ce n'était pas aussi important que maintenant, avec Twitter, cette accélération de l'information". Outre les nouveaux usages des médias, la série cerne aussi très bien les stratégies de "une" des hebdomadaires à l'image de cette couverture du Point par laquelle on comprend d'où vient le surnom du personnage principal, Eric Rickwaert.
En plus du fait que cette "une" tape à l'œil corresponde parfaitement aux méthodes de la presse hebdomadaire et soit particulièrement crédible, celle-ci donne son nom à la fiction. Ce que les scénaristes confirment : "Pendant l'écriture, on voulait vraiment que le nom vienne de la série. Quant au fait qu'il s'agisse de la une du Point, ça aurait très bien pu être un autre journal. On a essayé de veiller à une pluralité, mais c'est vrai que sur ce magazine, on trouvait que ça avait de la gueule". En effet...