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Chronique

La perle de l'« égalité réelle »

Le nouveau gouvernement français est triste à pleurer. Et peut aussi faire pleurer de rire. Et pourtant... En inventant un portefeuille de l'Egalité réelle, François Hollande pointe une question essentielle de la République.

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Par Jean-Marc Vittori

Publié le 16 févr. 2016 à 01:01

Dix heureux, 10 millions de mécontents : François Hollande a réalisé une performance inédite en remaniant le gouvernement de son Premier ministre. Pour être honnête, si on connaît précisément le nombre de nouveaux ministres, on ne sait pas très bien combien le président a fait de malheureux. Mais jamais, sous la Ve République, formation d'une nouvelle équipe ministérielle n'aura provoqué pareille amertume, jusque parmi les Français les plus favorables à la ligne du gouvernement. « Triste à pleurer »,« pitoyable » et « foutage de gueule » sont les réactions les plus aimables que l'on ait entendues. L'avenir montrera peut-être que ces mots sont excessifs, que la motion de synthèse de l'ancien premier secrétaire du PS a son efficacité, qu'il a assemblé ici les premiers rouages de la mécanique de sa victoire en 2017. Après tout, François Hollande s'est souvent renforcé de la sous-estimation des autres, de tous les autres, ses adversaires comme ses amis, les acteurs comme les commentateurs. Mais il est permis de douter.

Pour se consoler, il est permis aussi de rire - ce que François Hollande n'aurait pas manqué de faire s'il n'avait pas été l'auteur de cette farce. Car jamais sans doute sous la Ve République remaniement n'aura autant prêté à galéjades. Le trio de ministres écolos, surnommé « La triplette de Verteville » ? Il fait penser à un slogan forgé en 1984 : « Un Vert ça va, trois Verts... » Jean-Marc Ayrault aux Affaires étrangères ? Le seul moyen de dire non à Ségolène Royal qui lorgnait le portefeuille. Ségolène, justement ? Comme la COP21 est finie et qu'il n'y a donc plus rien à craindre, elle récupère dans son portefeuille les « relations internationales sur le climat ». Mais, pour éviter que ça lui donne du travail, la Verte Barbara Pompili est nommée secrétaire d'Etat sur la question. Jean-Michel Baylet à l'Aménagement du territoire ? C'est le dépêché du Midi, voire le repêché (il était déjà ministre au siècle dernier). Le ministère des Droits de la femme ? Rattaché désormais à la Famille et l'Enfance, c'est au moins cohérent avec l'absence de femmes aux ministères régaliens. Jean-Vincent Placé à la Réforme et à la Simplification ? Il a rarement réformé et souvent tout embrouillé. La jeune et brillante Juliette Méadel ? La secrétaire d'Etat aux Victimes de Manuel Valls va crouler sous le travail car les victimes de Valls sont nombreuses. La bonne marche du gouvernement ? Souvenez-vous, en 2014, un certain Valls Manuel vantait l'efficacité d'un collectif ramassé de 30 ministres et secrétaires d'Etat. Vantera-t-il l'inefficacité d'une équipe où l'inflation des maroquins atteint 27 % en moins de deux ans ?

On garde le meilleur pour la fin : un secrétariat d'Etat de l'Egalité réelle, attribué à Ericka Bareigts. François Hollande aurait d'abord songé aux Inégalités irréelles, mais essuyé le refus de Thomas Piketty. Questionnée sur le contenu de ce nouveau portefeuille, la ministre de la Famille Laurence Rossignol a répondu franco : « Ecoutez, je... Je crois que... Je me suis posé la même question que vous. » Matignon s'est fendu d'un communiqué pour préciser qu'il s'agissait de « mettre en oeuvre les mesures d'égalité réelle, de décloisonnement et d'ouverture de la société ». La première intéressée, une députée de La Réunion qui a oeuvré dans le social, espère une... réunion pour préciser ses attributions et devra commencer par dénicher un bout d'hôtel particulier parisien pour installer ses bureaux.

Et pourtant... quel dommage que la question rentre dans le gouvernement par la petite porte ! Car la France se la pose depuis plus de deux siècles. Pour être plus précis, depuis la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qui proclame dans son article premier que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » C'est une vraie révolution. Mais elle ne suffit pas. Le philosophe et mathématicien Nicolas de Condorcet le relève dès 1791 : « Les lois prononcent l'égalité dans les droits, les institutions pour l'instruction publique peuvent seules rendre cette égalité réelle. » Au milieu du XIXe siècle, l'essayiste Alexis de Tocqueville, lui, évoquait l'aspiration des peuples à une « égalité des conditions » au-delà du droit, l'exigence d'égalisation étant « norme productrice de l'ordre social démocratique ».

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« L'égalité réelle » est devenue ensuite un souci constant de la gauche. Karl Marx avait ciselé une formule choc : « Ce droit égal est un droit inégal pour un travail inégal. » Lénine est allé plus loin, prônant le passage de « l'égalité formelle à l'égalité réelle, c'est-à-dire à la réalisation du principe "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins" ». Les socialistes Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès France ont réfléchi aux moyens d'aller vers l'égalité réelle. Tout comme les penseurs John Rawls, Amartya Sen, Pierre Bourdieu. Le sociologue Eric Maurin était revenu sur le sujet en 2002 avec un joli petit livre, « L'Egalité des possibles ». Dominique Strauss-Kahn rédigea une note en 2004, le PS en 2010. Emmanuel Macron en parlait en 2014 : « Là où être socialiste consistait à étendre toujours les droits formels des travailleurs, la réalité nous invite à réfléchir aux droits réels de tous - y compris et surtout de ceux qui n'ont pas d'emploi. »

Malgré tout le travail intellectuel, ce champ d'action est resté en friche. L'école française, qui devait être le levier du progrès selon Condorcet, est de plus en plus inégalitaire. Elle laisse trop souvent sur le bord de la route les enfants de familles défavorisées. L'entreprise ne fait guère mieux. En répondant à une offre d'emploi, une Sandrine Rousset a trois fois plus de chance d'avoir un entretien d'embauche qu'un Rachid Benbalit. Aujourd'hui, l'égalité réelle n'est plus seulement une question de gauche. C'est aussi une question de sécurité dans un monde troublé, d'efficacité dans une société numérique. Bonne chance, madame la secrétaire d'Etat.

Jean-Marc Vittori

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