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En Syrie, « les hôpitaux sont ciblés afin de faire fuir les populations civiles »

Des missiles tirés sur des hôpitaux et des écoles ont fait une cinquantaine de morts lundi en Syrie. Une stratégie délibérée selon le président d’un collectif de médecins syriens.

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Publié le 16 février 2016 à 05h52, modifié le 16 février 2016 à 11h19

Temps de Lecture 5 min.

Un brancard traverse les débris après qu'un hôpital soutenu par Médecins Sans Frontières ait été bombardé près de Maaret al-Numan, dans la province d'Idlib au nord de la Syrie le 15 février 2016.

Le bombardement d’un hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF) à Maraat Al-Nouman, dans le nord de la Syrie, a causé la mort d’au moins sept personnes, lundi 15 février, dans le nord de la Syrie. MSF accuse le régime syrien ou son allié russe d’être à l’origine des tirs. Ce bombardement met une nouvelle fois en lumière le ciblage des structures de santé dans un conflit qui a fait 260 000 morts en cinq ans. Le même jour, quatre autres établissements de santé et deux écoles ont été pris visés, faisant près de cinquante morts, selon les Nations unies. Obaida Al-Moufti, président et porte-parole de l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM France), un collectif de médecins syriens actif à l’intérieur du pays, alerte sur l’augmentation du nombre d’hôpitaux ciblés et la détérioration de l’accès aux soins.

Observez-vous une hausse du nombre d’hôpitaux ciblés en Syrie ?

Oui, la situation est plus que critique. Depuis l’intervention militaire russe fin septembre, nous avons constaté une nette augmentation du nombre d’hôpitaux pris pour cible. Depuis le mois d’octobre jusqu’au 27 janvier, 29 hôpitaux ont été détruits. Cela porte leur nombre à 171 depuis 2012, ainsi que 695 personnels de santé tués. C’est un chiffre abominable et encore, nous n’avons peut-être pas réussi à documenter tous les cas. Toutes ces attaques sont des attaques aériennes, à l’exception de quelques-unes comme celles de lundi à Azaz, menées par des missiles sol-sol tirés d’une base militaire.

Il y a une réelle volonté de détruire des hôpitaux qui offrent des services aux civils, même dans les zones où il y a peu de combattants. Dans les attaques du 15 février, on ne parle pas d’hôpitaux de guerre mais, à Azaz par exemple, d’un hôpital pour femmes et enfants, où il y avait même des nouveau-nés en couveuse et des femmes enceintes. A Maraat Al-Nouman, l’hôpital a été touché une première fois puis une seconde, après l’arrivée des secours. Cela est devenu systématique de cibler aussi les secours.

Un médecin m’a raconté qu’il y a quelques jours, lors d’un bombardement dans une ville au nord d’Alep, un homme blessé a refusé d’être évacué par les casques blancs syriens - la protection civile - vers un hôpital. Il leur a dit qu’il avait peur que l’hôpital soit bombardé. Aller à l’hôpital devient un cauchemar pour les gens car ils ont peur qu’il soit visé. C’est un comble. Avant, l’hôpital était un lieu synonyme de sécurité.

Quel est le but de ces attaques ?

Les hôpitaux sont ciblés afin de faire fuir les populations pour libérer les zones des populations civiles. Car, les populations qui ont un hôpital dans les environs sont rassurées et se stabilisent aux alentours. Là, en tout cas, on n’est pas du tout en train de cibler Daech.

La localisation de ces structures de santé est-elle connue ?

Ils savent très bien où sont les hôpitaux. On a même construit un hôpital dans une cavité rocheuse qu’ils ont réussi à détruire, en le ciblant de façon très précise. Nous avons à l’UOSSM donné fin janvier les positions de tous nos hôpitaux aux Nations unies pour qu’ils les communiquent aux belligérants. Nous l’avons fait après avoir constaté que près de 30 hôpitaux avaient été ciblés depuis octobre.

Nous avons des dizaines d’hôpitaux, dont beaucoup de structures importantes, comme l’hôpital de Bab Al-Hawa, à la frontière turque. Nous avons demandé au ministère des affaires étrangères français de communiquer clairement ses coordonnées aux Russes. C’est un hôpital qui fait entre 1 000 à 1 200 chirurgies par mois avec dix blocs opératoires. Ce serait catastrophique pour les populations de tout le nord de la Syrie qu’il soit visé. Or, il a été à plusieurs reprises bombardé, la dernière fois mi-janvier, heureusement partiellement.

La situation sanitaire et médicale est-elle plus particulièrement inquiétante dans certaines régions ?

Depuis quelques jours, face à l’intensification des bombardements sur Alep, dans le nord de la Syrie, nous mettons en place un programme pour éviter les conséquences d’un siège. Tout le monde s’accorde à dire que la volonté du régime est d’isoler la ville d’Alep. On essaie de faire au maximum des réserves de médicaments pour éviter une catastrophe humanitaire et sanitaire dans la région. On commence à craindre une pénurie de fioul, qui nous sert à alimenter les générateurs indispensables dans les hôpitaux, car nous n’avons plus d’électricité.

On parle de 150 000 à 200 000 personnes qui fuient vers la Turquie. On met donc aussi sur pied un programme de cliniques mobiles pour prendre en charge les personnes fragiles - enfants et personnes âgées - et de fourniture de couvertures, car il fait très froid en ce moment. Il y a déjà 100 000 personnes environ au poste-frontière de Bab Al-Salameh qui sont bloquées car la Turquie restreint l’entrée aux cas humanitaires, les blessés et les malades graves. La situation est inquiétante car les déplacés internes ont tout laissé derrière eux pour échapper aux bombardements qui sont intenses dans la banlieue d’Alep.

Quel est l’état des structures de santé à Alep ?

Dans les centres qui fonctionnent, le problème est que nombre de personnels de santé veulent quitter la ville pour mettre leur famille à l’abri, comme tout le monde. C’est normal. Mais une ville qui comptait 12 à 15 000 médecins n’a plus, dans les quartiers Est, qui sont tenus par l’opposition, que 40 médecins pour 400 000 personnes. Il y a un manque criant de matériel, de médicaments et de personnel de santé, qui va s’aggraver dans les prochains jours. Nous n’avons plus de vaccins, plus d’antibiotiques alors que les infections arrivent avec l’hiver.

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Alep était le poumon économique du pays où étaient concentrées une dizaine d’industries pharmaceutiques. Aujourd’hui, il n’en reste que trois ou quatre qui ne fonctionnent que partiellement. C’est un vrai désastre au niveau médicaments. On n’a plus de traitement pour le diabète ou pour l’hypertension. Et la situation s’aggrave de jour en jour.

Avez-vous encore l’espoir que les engagements pris, notamment sur l’accès humanitaire et la cessation des hostilités, à Munich le 12 février, par les acteurs internationaux du conflit soient tenus ?

Pour l’instant, on ne voit rien d’évident sur le terrain. Les populations disent que l’arrivée de médicaments est insuffisante. Le problème est que l’accès humanitaire sera géré par le Croissant rouge syrien, qui est une structure contrôlée par les autorités de Damas. On espère que dans les prochains jours, il y aura une accélération des canaux politiques car c’est la seule solution pour faire avancer la situation sur le plan humanitaire. La communauté internationale doit faire pression sur les belligérants pour qu’ils respectent les conventions de Genève et les accords humanitaires, qui interdisent de cibler les structures de santé.

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