décryptage

Non, vos enfants ne devront pas se masturber à la maternelle

La bataille du genredossier
De mystérieux SMS se propagent chez les parents français, affirmant que la masturbation serait sur le point d'être enseignée à l'école.
par Quentin Girard
publié le 28 janvier 2014 à 14h12
(mis à jour le 28 janvier 2014 à 14h36)

A Rennes, d'étranges messages circulent. «Depuis quelques jours, suite à l'envoi de mystérieux SMS, des enfants ne sont pas venus en cours», relate Ouest France. «Des SMS indiquant que dans les écoles, des cours d'éducation sexuelle et de masturbation étaient donnés et conseillant donc aux parents de ne pas envoyer leurs enfants», continue le journal.

Etonnant. Pourquoi ces textos seraient envoyés et pourquoi les parents seraient enclins à y croire ? Malheureusement, il est probable que ce ne soit pas une lubie bretonne et que d'autres cas se présentent un peu partout en France dans les prochaines semaines. L'Humanité rapporte que des familles ont reçu aussi ces messages dans l'Est. Après leur échec contre le mariage gay, les groupuscules autour de la Manif pour Tous et/ou d'Alain Soral et son site Egalité et Réconciliation ont désormais un nouveau cheval de bataille, la lutte contre ce qu'ils appellent la «théorie du genre». Représentée par un escargot hermaphrodite, elle remettrait en cause notre vision naturelle du monde et serait imposée à nos enfants innocents. Face à cela, l'écrivaine Farida Belghoul, proche de l'essayiste d'extrême droite et qui participait à Jour de Colère, propose d'organiser des «Journées de retrait de l'école» pour «protéger la pudeur et l'intégrité de nos enfants».

Le dernier exemple de cette «perversion» serait selon eux l'enseignement imminent de la masturbation dès la maternelle. Une rumeur circule de fait sur des sites proches de ces mouvances, comme 24heuresactu, Boulevard Voltaire, de Robert Ménard ou Egalité et Réconciliation. Le premier annonce par exemple dans un article du 14 janvier qu'un «rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) serait actuellement examiné par le gouvernement socialiste. Ce rapport propose notamment d'encourager la "masturbation enfantine" et de permettre à l'enfant d'exprimer "ses besoins, ses désirs" sexuels».

Ce rapport existe-t-il vraiment et que raconte-t-il ?

Il existe en effet un texte intitulé «standard pour l'éducation sexuelle», rédigé par le «centre fédéral allemand pour l'éducation à la santé (BZgA)», un service du ministère de la Santé d'outre-Rhin, par le bureau régional de l'OMS pour l'Europe et par «un collège d'experts internationaux», dont aucun Français parmi eux.

Publié en 2010, il a été traduit en français par Santé sexuelle suisse en 2013, une «organisation à but non lucratif». Indépendante, elle a succédé en 2000 à l'Association suisse de planning familial et d'éducation sexuelle. C'est à partir de cette traduction que le texte a commencé à circuler sur la toile francophone.

Le but de ce rapport, selon la préface, est de «donner aux enfants et aux jeunes une éducation adéquate en matière de sexualité» pour lutter contre les MST, IST, violences sexuelles et grossesses non désirées. Le texte remarque qu'il n'y a aucune norme pour l'éducation sexuelle à l'échelle européenne et espère donc «combler cette lacune». Regrettant que l'approche de la sexualité par les professionnels soit «essentiellement négative», ces experts demandent une vision plus positive afin de permettre l'émergence d'une sexualité responsable et tolérante.

Premier point. Si le rapport propose d'éduquer dès le plus jeune âge, il parle «d'éducation sexuelle et relationnelle» au sens large, c'est-à-dire incluant des discussions sur l'amitié ou le «sentiment de sécurité».

Deuxième point. Le rapport propose une «matrice» de modules à mettre en place selon les âges avec plusieurs thèmes, «corps humains et développement», «fertilité et reproduction», «sexualité», «émotion». Dans la catégorie sexualité, pour les 0-4 ans et les 4-6 ans, il conseille d'informer l'enfant sur «le plaisir et la satisfaction liés au toucher de son propre corps, la masturbation enfantine précoce», et la «découverte de son propre corps et de ses parties génitales».

Les cours d'information devraient être menés par des spécialistes externes à l'école (médecins, infirmières, sages-femmes, éducateurs sociaux, psychologues, etc.). Les rédacteurs soulignent également que «lorsque l'on parle de comportements sexuels des enfants et des jeunes, il est primordial de garder à l'esprit que la sexualité des enfants est différente de celle des adultes et qu'il est faux d'analyser les comportements sexuels des enfants et des jeunes du point de vue de la sexualité des adultes».

Ce rapport a-t-il une quelconque influence en France ?

Rappelons-le, ce n'est pas une loi, mais des recommandations d'un bureau fédéral allemand, traduit par une organisation suisse. En France, il n'a aucune valeur législative, évidemment. En Allemagne non plus, où ces décisions se passent plutôt au niveau régional. L'un des quotidiens de référence germaniques, Die Welt, consacrait récemment un long papier à la question de l'éducation sexuelle, qui fait aussi débat dans ce pays. Dans une classe de 11-12 ans, huit enfants se seraient évanouis après avoir vu des organes sexuels dessinés en cours de biologie. Du coup, polémique. Mais si le journal explique qu'il devient de plus en plus difficile de débattre sereinement de ce sujet, il n'évoque pas une seule fois ce rapport qui inquiète tellement certains milieux chez nous, preuve de son importance toute relative.

En jouant sur la peur d'organisations internationales qui réguleraient tout, les combattants du «gender» font de fait un amalgame entre ce rapport étranger et les modules ABCD de l'égalité qui vont être mis en place dans des académies tests en France dans des classes de maternelle et de primaire.

«Il n'est pourtant pas question une seule seconde qu'on aborde les questions de sexualité dans ces modules», remarque-t-on au service de presse du ministère des Droits des femmes qui a élaboré les ABCD de l'égalité conjointement avec le ministère de l'Education. Il regrette une «agrégation de mensonges et de contre-vérités» et affirme qu'il n'y a aucun rapport entre le texte du bureau allemand et ceux mis en place en France.

Comme le remarque le Parisien dans son édition du jour, «les ateliers sont pour le moment bien "soft" au regard des diatribes» que l'on peut lire. Ce sont des cours qui questionnent sur les «métiers de filles» et les «métiers de garçons» ou les histoires de princesses qui doivent toujours être sauvées par des princes charmants, et pas l'inverse. On est «un peu dans la lutte contre les stéréotypes ("si, Noémie, tu peux devenir pompier"), beaucoup plus rarement dans le "c'est quoi être homosexuel ?"», note le quotidien. Pas de panique donc, vos enfants ne vont pas devoir bientôt apprendre à se masturber en classe de maternelle.

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