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Sondages de l'Elysée : le système de Patrick Buisson mis au jour

L'association Anticor a déposé plainte contre X, mardi, pour favoritisme et détournements de fonds.

Par Emeline Cazi et Thomas Wieder

Publié le 10 octobre 2012 à 11h20, modifié le 03 juin 2015 à 16h17

Temps de Lecture 4 min.

Le conseiller de Nicolas Sarkozy Patrick Buisson (ici à gauche, avec Emmanuelle Mignon) durant un meeting de Nicolas Sarkozy aux Sables-d'Olonne le 4 mai.

Un nouveau front judiciaire s'ouvre contre le système de Patrick Buisson dans l'affaire dite "des sondages de l'Elysée". Mardi 9 octobre, l'association Anticor a déposé une plainte contre X pour délit de favoritisme et détournement de fonds. C'est la seconde fois que l'association de lutte contre la corruption engage une action contre les conditions dans lesquelles l'Elysée a commandé, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, des centaines de sondages avec l'argent public.

Anticor avait déposé sa première plainte, après que la Cour des comptes, dans un rapport de juillet 2009, s'était étonnée des sommes "exorbitant[es]" dépensées. Mais le parquet, puis la cour d'appel de Paris, se sont opposés à toute investigation au nom des principes d'"irresponsabilité" et d'"inviolabilité" du chef de l'Etat. La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi, doit examiner ce point le 21 novembre.

La nouvelle plainte déposée par Anticor, plus détaillée et plus complète que les précédentes, s'appuie sur les documents (factures, études, contrats) qu'un militant écologiste grenoblois, Raymond Avrillier, a réussi à se procurer auprès de l'Elysée après que le tribunal administratif de Paris lui en eut autorisé l'accès.

"CHÈQUE EN BLANC"

Dans les cartons grossièrement recouverts de papier kraft envoyés par la présidence, cet homme tenace – c'est par lui que le "système Carignon" a pris l'eau au milieu des années 1990 – a découvert quelques perles : des sondages sur la vie privée de l'ex-chef d'Etat, des enquêtes sur les candidats probables du Parti socialiste à la présidentielle de 2012, mais aussi des études sur l'affaire Bettencourt ou les vacances contestées de Michèle Alliot-Marie en Tunisie.

Après une inspection minutieuse du contenu des cartons, M. Avrillier a dénoncé au parquet de Paris, mais aussi à la Cour des comptes et à la Commission nationale des comptes de campagne, des faits de "prise illégale d'intérêts" et de "détournement de biens". Sur cette base, et selon nos informations, le procureur de Paris a ouvert une enquête préliminaire en mai.

Anticor a choisi d'appuyer la dénonciation de M. Avrillier par une nouvelle plainte. L'association retient deux principaux délits. Le premier, le favoritisme, vise les conventions passées sans appel d'offres avec deux sociétés dirigées par des proches conseillers du président Sarkozy. La plus emblématique est celle signée le 1er juin 2007 par Emmanuelle Mignon, alors directrice du cabinet de Nicolas Sarkozy, avec la société Publifact animée par Patrick Buisson. Le contrat, un véritable "chèque en blanc" estime Me Jérôme Karsenti, l'avocat de l'association, lui donne tout pouvoir pour rédiger et commander des enquêtes aux instituts de sondages de son choix. En juillet 2009, la Cour des comptes évaluait à 1,5 million d'euros le montant consacré par la présidence à cette convention. Si l'on additionne la rémunération mensuelle du conseiller et les factures des études que celui-ci a demandé à se faire rembourser, l'Elysée a versé en cinq ans plus de 3,3 millions d'euros aux sociétés de M. Buisson.

Après le départ d'Emmanuelle Mignon de la direction de cabinet, en 2008, le contrat a été reconduit chaque année jusqu'en 2012, comme le fut d'ailleurs celui de la société Giacometti-Peron, à laquelle l'Etat a versé plus de 2,5 millions d'euros sans appel d'offres.

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Les avenants au contrat de Patrick Buisson ont toutefois cette particularité d'être signés non pas par le nouveau directeur de cabinet, Christian Frémont, mais par Jean-Michel Goudard, le "G" d'EuroRSCG, l'ami publicitaire de Nicolas Sarkozy. Le "conseiller stratégie" du président, bénévole, avait-il la délégation de signature pour le faire ? "Une délégation de quoi ?, répond au Monde l'intéressé. Vous me parlez un langage que je ne comprends pas. Oui, c'est moi qui signais les trucs. Après le passage de la Cour des comptes, on a changé les procédures. Christian Frémont m'a demandé de signer ce qu'un avocat ou un comptable avait rédigé. Mais je n'ai jamais eu aucun contact avec une seule société d'études." Le second délit, le détournement de fonds publics, puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, vise des études "partisanes" ou "à caractère privé".

"INITIATIVE PARTISANE"

Est-ce à l'Elysée de financer des enquêtes sur la grossesse de Rachida Dati ou la rumeur de mariage entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ? De commander des études sur les têtes de liste en Ile-de-France aux régionales de 2010, sur les candidats probables du PS en 2012 ? Pendant cinq ans, les moindres faits et gestes de Ségolène Royal et de Dominique Strauss-Kahn ont été observés à la loupe, décortiqués. François Hollande, pour sa part, a très peu intéressé l'Elysée. "L'UMP aurait dû prendre à sa charge les sondages relatifs au PS, au FN ou aux écologistes, argumente Me Karsenti. Le contribuable n'a pas à assumer […] des sondages […] partisan[s]."

L'avocat d'Anticor estime que Nicolas Sarkozy pourrait être rattrapé par cette affaire. Si la justice établissait que "les sondages commandés répondaient à une initiative partisane ou personnelle […] ces actes [seraient] détachables de la fonction présidentielle", et ne seraient donc plus couverts par l'immunité.

Le devenir de cette nouvelle plainte est suspendu à l'analyse que fera la Cour de cassation du dossier. Elle seule dira s'il y a ou non, pour la justice, une affaire Buisson.

> Lire aussi notre enquête en édition abonnés : "Comment le conseiller a tissé son influence et imposé ses idées grâce à ses études"

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