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Mots pour maux: ébauche d'un combat politique contre le viol

J'ai été violée il y a un an et trois mois et, envers et contre tous, j'ai décidé d'en faire un combat politique.
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Une mort par noyade. Je crois que c'est ça. La conscience de la mort en train d'arriver. La dissociation de mon corps et de mon «je» et le sentiment de me regarder mourir, impuissante.

J'avais envie de crier, bien sûr, mais au fond j'étais déjà morte. Il m'avait déjà tuée. Sa main qui arrache mes vêtements, qui se bagarre avec les trop nombreuses couches de textiles qui n'auront pas suffi à me protéger. Sa bouche qui s'impose sur mon visage, qui pénètre chacun de mes pores. C'est animal. Il est une bête et je suis sa proie. Je n'existe pas pour lui, je ne suis personne, je suis un corps. Un corps seulement. Ce corps trop grand, trop fin, trop androgyne que j'ai mis du temps à apprivoiser.

Tandis qu'il m'a fallu du temps pour le faire mien, il s'en fait sien en quelques secondes d'un 25 novembre qui restera à jamais glacial et sinistre. J'ai assisté, démunie, à l'enterrement de ma conscience. Il est une heure du matin, ou peut-être deux heures, je ne sais plus, et mon corps me crie, me hurle plutôt, que rien ne sera jamais plus comme avant. Puis son sexe qui me déchire, qui me poignarde. J'ai vingt ans et il m'a tuée. Bien sûr, je ne suis pas morte. Mort. «Un organisme biologique ayant cessé de vivre». Mon cœur n'a jamais battu si vite, je ne suis pas morte. Cela aurait sans doute été moins douloureux. Condamnée à vivre dans ce corps qui n'est plus le mien.

Je suis vivante. Vivante, mais meurtrie.

Mon corps a survécu - et c'est ce qui vous a tous dupés. Pas de blessure physique, mais bien plutôt un agrégat de plaies intérieures qui semblent destinées à ne jamais cicatriser. Comme si je devais porter cette douleur pour toujours. Et l'instinct de survie : ne pas en parler, l'enfouir au plus profond de moi, jalousement. Comme si vous ne méritiez pas de comprendre, vous tous qui n'avaient pas su lire la souffrance derrière mon sourire feint. Je n'ai jamais compris. Car au fond je n'ai jamais su si vous n'aviez pas vu ou si vous n'aviez pas voulu voir.

Condamnée au silence, c'est cela - vous m'avez tous condamnée au silence. Mon refus de mettre des mots dessus, avec du recul, m'a surtout permis de refuser de l'accepter. Ce n'est pas moi. Alors j'ai décidé de me battre, pour les autres au moins. Je vous ai imploré : luttons tous contre les violences sexuelles. C'est grave, c'est une réalité trop souvent ignorée. Cela arrive bien plus que vous ne le croyez. Mais pas à moi, à elles, à vos amies, vos mères, vos sœurs. Ca ne m'arrive pas à moi.

Moi, je lutte pour que cela n'arrive pas à aux autres. Mon moi à moi, il n'existe plus. Et mon ancien moi, ça ne lui est pas arrivé. On l'a violenté, oui, à de nombreuses reprises. Mais pas de cette manière. Jamais de cette manière. Je veux faire avancer la recherche, pour qu'ils sachent tous ce que c'est que d'être une femme violentée. Mais je ne sais pas moi, ce que c'est. Alors un an plus tard, je lis, je me renseigne. Et d'un coup, il est déjà trop tard. Cela n'a plus de sens de me mentir à moi-même. C'est là que ça me revient. D'abord comme un mauvais rêve. Une nuit agitée. Deux nuits agitées. Puis trois, quatre. C'est désormais invivable. Je ne peux plus dormir. La nuit se fait paradoxalement le théâtre du réveil de ma conscience. Emmurée dans le silence contraint et imposé de la nuit. Les réveils sont douloureux.

Et ils sont, étrangement, et chaque matin, la promesse du changement. La promesse que cela n'arrivera plus. Je rêve d'un monde où cela n'arrive plus. Ensemble nous pouvons travailler à déconstruire la domination masculine. Je ne guérirai pas. Je ne crois pas qu'il soit possible de guérir. Mais je peux vivre mieux. Me défaire de ma culpabilité. Du sentiment que je suis seule face à ces maux. Une femme sur huit violée. Mais où sont-elles ? Il faudra du courage, de la volonté, du temps. Il faudra avancer ensemble. Pour se faire entendre. Il est grand temps que nous ne soyons plus condamnées à lutter contre le règne du silence imposé. J'ai été violée il y a 1 an et 3 mois et, envers et contre tous, j'ai décidé d'en faire un combat politique.

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Mai 2017

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