C’est une nouvelle pièce à charge dans le lourd dossier des pesticides. Dans une décision datée du 18 février, le médiateur européen recadre sèchement la Commission de Bruxelles, pour son laxisme en matière d’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Elle lui fixe un délai de deux ans pour remettre un rapport sur la mise en place de nouvelles pratiques.
Jouant le rôle d’intermédiaire entre la société civile et les institutions communautaires, le médiateur européen, dont la fonction est assurée depuis le 1er octobre 2013 par l’Irlandaise Emily O’Reilly, a pour mission d’examiner les plaintes pour « mauvaise administration » déposées par des citoyens, des associations ou des entreprises, à l’encontre des instances de l’Union européenne (UE). En 2012, il avait été saisi par le réseau Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) et l’association française Générations futures, qui dénonçaient les « manquements » de la Direction générale de la santé de la Commission européenne.
Innocuité qui reste à confirmer
Les ONG mettaient plus particulièrement en cause la « procédure de données de confirmation » (confirmatory data procedure, en anglais), qui aboutit à ce que des substances actives entrant dans les produits pesticides soient homologuées par Bruxelles alors même que les industriels n’ont pas encore fourni toutes les données, pourtant obligatoires, attestant de leur innocuité. Laquelle reste donc à confirmer. « Cette procédure a été utilisée comme procédure standard, donc les personnes et l’environnement ont été exposés à des risques graves, certes inconnus mais possibles », accusent les associations environnementales.
« Nous nous sommes penchés sur un simple échantillon de dix substances actives qui ont été homologuées malgré ces lacunes, mais il est probable qu’elles soient beaucoup plus nombreuses à être passées à travers les mailles du filet, étant donné qu’environ 350 ou 400 molécules sont aujourd’hui sur le marché européen », précise François Veillerette, porte-parole de Générations futures.
Principe de précaution pas suffisamment pris en compte
La réglementation communautaire en matière de pesticides est complexe. La directive du 15 juillet 1991 relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ne prévoyait pas la procédure incriminée, si bien que la médiatrice européenne conclut que son usage « n’était pas compatible » avec ce texte et relevait d’une « mauvaise administration ». Certes, un nouveau règlement, datant d’octobre 2009, autorise la procédure de données de confirmation dans des cas exceptionnels. Mais la médiatrice juge que même dans ce cadre juridique, Bruxelles doit « s’assurer qu’elle n’approuve pas des substances actives dans le cas où la santé publique ou l’environnement pourraient être mis en danger ».
Au final, la médiatrice conclut que « la Commission (…) pouvait être trop légère dans ses pratiques et ne pas tenir suffisamment compte du principe de précaution ». D’autant que pour certains produits, des « éléments critiques de préoccupation » avaient été pointés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Le commentaire de Mme O’Reilly est particulièrement sévère : « Il est difficile de comprendre comment la Commission pouvait légitimement décider que les résidus de ces substances, ou l’utilisation de pesticides contenant ces substances actives, n’auraient aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale et aucune influence inacceptable sur l’environnement. »
« Environnement et santé sacrifiés »
La médiatrice a donc demandé à Bruxelles, en juin 2015, de revoir le cadre d’autorisation des produits phytosanitaires. Cela, « afin de s’assurer que la santé humaine, la santé animale et l’environnement sont effectivement protégés dans l’UE ». Une réforme « largement acceptée » par la Commission, indique-t-elle, en invitant cette dernière à remettre un rapport sur ce sujet d’ici deux ans.
« Il est clair que la Direction générale de la santé et les Etats membres ont laissé les intérêts des industriels et de certains agriculteurs l’emporter sur les intérêts du public, en permettant la mise en marché de pesticides nocifs, réagit Hans Muilerman, de PAN Europe. Cette violation structurelle des règles implique que les pesticides actuellement sur le marché ne sont pas sûrs. » De son côté, François Veillerette condamne « un système d’homologation des pesticides qui sacrifie volontairement l’environnement et la santé des citoyens au profit de l’agrochimie ». « Il revient aujourd’hui à la Commission européenne, ajoute-t-il, de démontrer qu’elle va changer de pratiques et mettre en avant la sécurité. »
Au sein même des instances européennes, Bruxelles fait face à des critiques de plus en plus fortes pour son laxisme dans la régulation des substances toxiques. Mi-décembre 2015, le tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne condamnait l’exécutif européen pour son inaction dans le dossier des perturbateurs endocriniens (PE), catégorie à laquelle appartiennent de nombreux pesticides. La Commission avait été attaquée par la Suède – rejointe par la France, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, le Conseil et le Parlement européens – pour n’avoir pas déterminé les critères réglementaires définissant les PE. Elle y était pourtant contrainte par la réglementation européenne. Sollicitée, la Direction générale de la santé ne nous a pas répondu.
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