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Billet de blog 22 février 2016

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Cher parti, je suis venue te dire que je m'en vais...

Et tes «éléments de langage» n’y pourront rien changer. Cumul des mandats ou des fonctions, phobie administrative, évasion fiscale au Luxembourg ou ailleurs, mépris des sans dents, culture à la casse, écoles et hôpitaux publics bradés... Diviser pour mieux se partager le gâteau offert par les électeurs. La liste est de plus en plus longue. Et je m'en contrefous que tu me traites de poujadiste, idiote utile du FN.

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Le Président (1961) (Complet) © Vidéos Annonces

« Dis donc camarade soleil 
Ne trouves-tu pas que c'est plutôt con 
De donner une journée pareille 
A un patron. »

Le Temps perdu, de Jacques Prévert

                                                                                                   Pour Josiane, la mémé rebelle du TGV,

      Et tes «éléments de langage» n’y pourront rien changer. Cumul des mandats ou des fonctions, phobie administrative, évasion fiscale au Luxembourg ou ailleurs, mépris des sans dents, culture à la casse, écoles et hôpitaux publics bradés... Diviser pour mieux se partager le gâteau offert par les électeurs. La liste est de plus en plus longue. Et je m'en contrefous que tu me traites de poujadiste, idiote utile du FN. Je suis venue te dire que je m'en vais car tu m’en as trop fait. Des adieux à jamais à toi et tes amis de la finance. Tu te souviens des jours heureux et tu pleures tes régions perdues, ton électorat et tes militants quittant par milliers ton navire à la dérive ultralibérale. Ouais, je suis au regret de te dire que je m'en vais. Oui je t'aimais, oui mais à présent, tu me fais plus rêver, ni vibrer. Loin, si loin notre première fois. Mes 19 ans et ta naissance en 69 à Alfortville. Tu venais de renaître avec un nouveau nom. Et une part de moi aussi naissait dans tes bras si accueillants. Que de belles nuits ensemble à refaire le monde. Rêver d'un meilleur avenir pour tous. Prête à construire ce monde nouveau avec toi.

Moi, la fille d’un ouvrier mort à la tâche quand j’avais 17 ans. Et toi, qui avait les mots pour dire nos maux; les miens et ceux des copines réduites à l’état d’esclavage dans cette immense atelier sans chauffage. Nous empaquetions des fringues de grands couturiers. On cartonnait en se gelant les ovaires, comme on disait entre collègues. Esclaves mais avec de l’humour, la clope à nos lèvres maquillées même au boulot. Ce rouge à rêves pour les bals du samedi soir. Interlude des corps avant la reprise du lundi à l’aube. Je fais des p’tits cartons, des p’tits cartons… Avec dedans de très beaux vêtements qu’on revoyait dans des magazines à la mode. Jamais dans nos miroirs. Destinés à d’autres corps.

67 ans que je te suis fidèle. Une ou deux fois, j’ai failli tomber dans les bras de deux autres amants. L’un portait une faucille et un marteau, l’autre voulait la révolution permanente. Mais le jour où j’ai vraiment cru que je te quittais c’était pour les bras d’une femme qui me ressemble sur de nombreux points. Pas du tout les manières de la plupart des hommes et des femmes qui te dirigent. Arlette me ressemblait plus que par exemple Edith Cresson ou Ségolène Royal. Du même parti, pas du même monde. Désolée d’être aussi franche mais aujourd’hui je veux te parler droit dans les yeux. Si longtemps que tu m’entends (les jours d’élections) sans m’écouter le reste de l’année. Aujourd’hui, tu fermes ta grande bouche de je sais tout et son contraire appris à Science Po et l’ENA. Marre d’entendre les conneries de tes conseillers en com qui connaissent de la vie que leur écran de Smartphone. C’est moi qui te parle. Et tu vas m’écouter jusqu’à la fin sans m’interrompre pour me dire que tu me comprends. Et que le changement c’est pour demain. Garde ton blabla anesthésiant pour la télé.

Qui est cette vieille femme très en colère? Celle qui, durant tant d’années, a collé pour toi, sorti des tables et des chaises, passé la serpillière dans tes salles après tes passages dans mon petit village de la Haute Garonne. Avec une retraite, elle sans cumul, je finis mes jours dans une petite maison en bord d’Ariège: le seul héritage de mon père. Et ce qu’il me racontait du parti, celui qu’il avait intégré au sortir de la résistance; bien avant son changement de nom à Alfortville. Mes livres d’enfant à moi étaient des tracts. Pour lui, mais aussi pour ma mère, leur Dieu ce n’était pas celui de l’église où on foutait jamais les pieds. Notre divinité à nous était un certain Jaurès. Te souviens-tu un peu de ce nom? Apparemment, je crois que tu l’as oublié. Ainsi que tes grands idéaux (belles phrases que pour la caméra ?) aussi. Les ors de la République et les bagnoles de fonction rendent amnésiques?

Ce matin couleur énervé, je ne pense pas à moi. Mon temps est fini. Les yeux du toubib ne peuvent mentir à une vieille femme de mon genre. Cela dit, il a un beau regard. L’un des critères, avec l’humour, pour avoir le droit d’être un passager de mon lit. Quoi qu’il fallait être aussi de gauche. Comment baise un homme de droite? Je le saurais jamais. «On se fait déjà baiser par eux toute la semaine pour un salaire de misère, pas en plus leur filer notre cul le week-end!». C’était Josiane, une collègue de l’atelier, qui disait ça. Pas sa langue dans sa poche. Une révolution à elle toute seule. Jojo a jamais été encartée. «Solange, arrête de chercher à être ceci ou cela. Sois et t’es toi.» Je comprenais pas tout ce qu’elle racontait. Sa plume souvent trempée dans un verre de blanc au pluriel.

Pas un jour sans qu'elle griffonne un cahier. Elle écrivait à toute vitesse comme pour aller plus vite que le temps, les sourcils toujours froncés. Personne les a jamais lu ses phrases, même son homme. « Dommage que la poésie soit un sport de riches, sinon j’aurais été championne du monde.». Une vraie sans culotte avec des yeux de gosse malicieuse, la poitrine noircie par la fumée de kms de Goldos sans filtre. Une jeune femme qui avait compris trop tôt que le monde ne serait jamais à sa pointure. Pas née pour porter les bonnes chaussures. Trop lucide pour croire aux promesses des politiques. Pourtant l’espoir jamais éteint dans son regard enragé. Même boulevard des allongés, elle me tient encore debout. Qu’est-ce que tu nous manques notre Jojo la colère?

Avant d’y passer, Josiane nous avait demandé de lui apporter une clope, un verre de bière et des frites. «Les filles, on mérite mieux que tous ces cons.». Ses derniers mots. Jojo, c’est toi qui avais raison. Ces cons ont ni couilles ni cœur, juste un cerveau qui sait compter. Les bons comptes rendus à leurs bons amis de la finance. Pour ta mémoire, pour celle de mes parents, de tous les autres qui y ont cru, je vais la déchirer ma carte du PS. Une déchirure plus profonde que ce bout de papier. Ça changera rien mais ça me fera du bien. A mon âge, faut plus bouder ses plaisirs. Et plus ça t’aurait fait tellement plaisir d’aller fêter ça à grands coups de blanc. «Se faire baiser par la droite ou par la gauche c’est finalement la même chose. Toujours les mêmes qui jouissent.». Josiane avait eu raison trop tôt. Cocue du cœur à 87 ans ça troue le cul.

Qu’est-ce qui m’a décidé à lâcher le parti à mon âge? Pourquoi tout abandonner après avoir accepté d’avaler tant de couleuvres depuis 1981. Plus naïve que Josiane, je croyais que ça irait mieux demain. L’esprit de Jaurès allait revenir hanter les couloirs de la rue de Solférino. Un leurre. SolfériNo futur comme le surnomme Julien: l’un de mes petits-fils: digne héritier de sa grand-mère et arrière grand père. La même lumière dans son regard que Josiane; avec la douleur en moins. Ça y est, je m’égare encore. Sûre que je parle trop. Ou en étais-je ? Je disais… Ah voila! Pourquoi je me tire du PS?

Grâce et à cause de toi chère Myriam El Khomery que je m'en vais. Même si t’es pas seule responsable, juste en service commandé pour les grands patrons de la finance. Vouvoiement ou tutoiement chère ministre du droit au travail disparu? Ni l’un ni l’autre. Pas à mon âge que je vais m’emmerder avec le protocole. Surtout que je vais bientôt tutoyer les vers. Et le respect, ça se mérite chère ministre. Je vais pas entrer dans les détails de ta foutue loi. Toi, tes potes du gouvernement, et tous les traîtres à Jaurès et à l’espoir, qui dirigent le parti, la connaissent très bien. Nous aussi qui allons revenir au temps des cavernes de la République. Même certains a droite trouvent que vous allez trop loin. Zola, reviens!

A vrai dire, cette loi me fera ni chaud ni froid. Elle changera pas grand-chose à mes derniers jours. Mais je pense à toutes celles et ceux qui sont là. Sans oublier les nouveaux qui vont arriver. Pas vos gosses Myriam El Khomery, ni ceux d’Harlem Désir, de Manuel Valls, et des autres naissant avec un Who's Who comme premier livre d’enfant. Non, moi je pense à tous ceux que vous mettez dans la merde depuis si longtemps. Comme ceux des banlieues ou rien ne change depuis 40 ans, à part les saisons. Sauf une qui s’est incrustée au quotidien: la saison des promesses non tenues. Ce sont tes amis du PS d’en haut, ainsi que vos soi-disant ennemis de la finance, qui les ont poussés entre autre dans les bras du djihad. Réussi à les sortir des bras de Jaurès pour les coller dans ceux du radicalisme religieux. Même s’ils ont aussi leur part de responsabilité; pas tous les jeunes qui deviennent des assassins. Je vais pas les dédouaner de leur barbarie. Le cerveau vidé par vos amis pour être rempli par des vendeurs de morts. De vrais abrutis.

A mon grand âge athée, je crois qu’il faut être super con pour croire en un personnage de fiction. Dieu paye jamais sa tournée. Quelle connerie de se foutre en l’air en croyant s’envoyer en l’air dans l’au-delà. Alors qu’il y a de si beaux corps à portée de regards et de mains.  Moi à la place de ces jeunes hommes, je… Cela dit, chacun croit en ce qu'il veut; du moment qu’il vient pas me tartiner avec sa religion. Moi, mon seul Dieu est mort d'avoir bossé 12 heures par jour dans une usine de détergents, sans masque de protection. Le dieu d'une gosse de 17 ans qui a toujours essayé de vivre sans Dieu ni maître. Mais avec beaucoup d'amants et d'éclats de rire. La dérision pour retenir les larmes de rage impuissante, garder sa dignité pour ne pas s’offrir en spectacle. Une vieille femme qui chiale dedans depuis des années. La vieille Solange mélange encore tout. Pour une fois, De Gaulle avait raison: la vieillesse est un naufrage. Pas une raison pour que je ferme ma gueule.

Sûre que j’exagère: bien sûr pas le PS qui a inventé l’intégrisme et ce putain obscurantisme de nos époque. Tous nos soucis aujourd’hui, paraît-il, sont à cause de la mondialisation. Après avoir dit « mondialisé», tu peux juste te taire et baisser la tête en attendant des jours meilleurs. L’exploiteur si loin, inatteignable…Et celui pour qui tu as voté, si proche, peut planquer son immobilisme derrière «J’y peux rien pas moi qui décide ».Cracher un peu aussi sur la droite? J’ai pas attendu l’arrivée de Hollande et de Valls pour le faire. Même sous terre, je voterai jamais à droite. Quoi que je l’ai fait deux fois: Royal et Hollande. Tiens tiens, comme pour les têtes couronnées, on se partage la couronne en famille. Injuste. Je sais que je suis injuste pour tous les militants de base, socialistes sincères qui y croient encore. Rien à voir avec les Jaurès bling bling et buzz buzz de nos jours. J’aimerais pas en ce moment être militant du PS sur un marché. Sûrement très dur aussi pour les dirigeants socialistes toujours de gauche. Mais comme dirait l’autre: qui aime bien châtie bien. Et balaie devant la porte de ses espoirs déçus.

Mon PS chéri était mourant depuis des années. Il va sans doute passer l’arme à gauche (la seule chose à gauche depuis très longtemps) en se suicidant avec ou sans 49/3. Mort au champ de déshonneur du code du travail. Une torture pour tous les militants de base et ceux qui, malgré toutes les trahisons et cadeaux aux plus riches, restent au PS. Pas facile avec les dernières miettes de gauche restantes après les coups de crocs des carnassiers de la Rue de Solférino. Des prédateurs avec la rose entre les dents. Normal après tout de souffrir le plus longtemps possible au boulot; le mot viendrait du latin tripalium: instrument de torture. Mais des gens se sont battus pour que la torture soit le moins désagréable possible. Vivre de son travail. Plus mourir à la tâche.

Chère ministre du travail, je t’invite donc à venir assister à ma dernière grève. Grève d’une socialiste jusqu’au bout du cœur, des seins, du cul, du cerveau… Une pure et dure, souvent butée et de mauvaise foi. Bon, assez radoté. Pour venir assister aux obsèques, il suffit de sortir de ton ministère. Pas besoin de déranger ton chauffeur. Je suis garée dans une rue pas très loin de ton bureau, installée dans la camionnette de Julien. Elle lui sert pour son boulot de plombier et ses voyages, notamment pour aller sur ses ZAD. Un vrai militant, jeune indigné de son époque. Le pieu est inconfortable mais ça va. J’attends donc ta réponse à mon invitation. Aucun souci pour le stationnement, j’ai donné de l’argent à Julien pour qu’il règle l’horodateur. Pas comme certains que tu connais qui sont phobiques aux PV. Bon, la vieille socialo en colère t’attend pour sa cérémonie d’adieux au PS. Ma dernière grève. Une grève de fin.

Mais pas la fin des rêves,

Solange Dablanc, section PS de Haute-Garonne,

NB) Cette fiction est inspirée de la dernière trouvaille de ce gouvernement dit de gauche. Meilleur que la droite pour inventer le Front impopulaire.

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