Crise agricole : l'avenir en bio
Eleveur, Eric Lepage vend le lait labellisé AB 48% plus cher. Une montée en gamme réussie avec la marque Les 2 Vaches.
"Manif? Quelle manif? Cela fait des années que je ne participe plus à ce genre de mouvement …" Mardi dernier, Éric Lepage n'a pas rejoint les éleveurs positionnés à l'entrée de Caen, près de sa ferme de Saint-Jean-des-Baisants, dans la Manche. Avec sa fille Juliette, 10 ans, en vacances et toute de rose vêtue, il veille sur son troupeau de 80 vaches normandes 100% bio. Ce quadra est confiant dans l'avenir. Son contrat de cinq ans renouvelable avec la filiale de Danone Stonyfield France, connue pour la marque de yaourts bio Les 2 Vaches, le préserve du marasme. Il assure vendre sa production "465 euros pour 1.000 litres, soit 48% de plus que le lait dit conventionnel".
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Très recherché par la grande distribution, la valeur de cet or blanc est déconnectée de la chute des cours mondiaux du lait. Le marché français de l'ultrafrais AB estimé à 140 millions d'euros connaît une croissance de 10%. Un bouclier antifaillite à l'instar des 300 AOC (appellation d'origine contrôlée), des 500 Label rouge et de centaines de marques comme Brocéliande dans la viande de porc, ou encore Paysan breton, qui signe notamment du beurre haut de gamme au sel de Guérande. Plus de 7.000 producteurs fournissent le logo au triskèle qui revendique 14% de parts de marché dans le beurre. Qui parle de niche? "Je vis de mon métier, confirme le Normand. Je ne suis pas endetté et j'ai embauché un salarié. Si j'avais conservé le modèle intensif de mes débuts, je travaillerais seul sans pouvoir me payer."
Quitter le modèle intensif pour mieux s'en sortir
Éric Lepage est d'autant plus fier qu'il s'est lancé dans l'aventure du bio sans être certain du gain. "Après ma formation en lycée agricole, j'ai acquis une exploitation en 1995. Mes bêtes ne sortaient pas du bâtiment, je dépensais de l'argent pour l'aliment du bétail, pour les vétérinaires…. Les factures valsaient." En 2000, après le départ de son associé, Éric Lepage "prend du recul". Il s'intéresse à "l'agriculture raisonnée mais pas vraiment au bio assimilé à un truc de soixante-huitard. Je manquais de connaissances."
En 2010, la marque Les 2 Vaches lui apporte une aide technique et financière pour sauter le pas. D'emblée, l'éleveur a dû réduire de 25% sa production. Les vaches élevées sans "boosters" artificiels produisent moins de lait. Et il faut respecter un ratio de 1 hectare par animal. Au final, l'adaptation prend trois ans avant d'être estampillé AB. "C'était un challenge : j'ai dû changer les méthodes apprises à l'école et avec mes parents. Il n'y avait pas de formation à l'époque. J'ai appris via Internet et mes collègues. Mon père éleveur fidèle au modèle intensif était très critique", se souvient Éric Lepage.
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Un salon de manucure pour bovins
Ironie de l'histoire, le frondeur revisite les pratiques de son grand-père. Il cultive tour à tour du maïs, de l'avoine, de l'orge, des pois afin de nourrir le bétail consigné dans l'étable de décembre à mars. Comme chaque bovin n'a droit qu'à un traitement antibiotique par an, mieux vaut prévenir que guérir. "J'ai installé un atelier pour tailler les sabots. Une sorte de salon de manucure pour que mes bêtes boitent moins."
En plus des deux audits annuels obligatoires pour conserver la mention AB, le chef d'exploitation ouvre ses portes à l'ONG CIWF (Compassion in World Farming), qui milite pour le bien-être animal. Volontaire et entrepreneur dans l'âme, il défend son indépendance loin des coopératives et des syndicats : "Mon autonomie est une victoire. À l'avenir, j'espère monter à 100 vaches. Il me faut 20 hectares de plus. C'est peut-être la crise, pourtant je ne trouve pas de terre à acheter…" À ses côtés, la petite Juliette approuve le projet d'expansion. Plus tard, elle veut devenir agricultrice.
Source: JDD papier
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