[Article initialement publié le 28 février 2016] Emmanuel Macron n’a rien de l’homme politique français type lorsqu’on l’entend vanter les mérites de la création de richesses et parler du couple “singulier” qu’il forme avec une femme de près de vingt ans son aînée, rencontrée à l’époque où elle enseignait dans le lycée où il était élève.

Voilà qui n’a rien de banal dans le microcosme parisien – moins encore lorsque l’on sait qu’à 38 ans Macron est ministre de l’Economie [il a démissionné fin août 2016] d’un gouvernement socialiste dirigé par de vieux routiers qui ont toujours considéré les personnalités du monde des affaires comme des parias et les femmes comme de simples faire-valoir.    

Un banquier d’affaires !

Il y a deux ans, j’avais été reçu dans ce même immense bureau du ministère pour interviewer son prédécesseur, qui, lui, cadrait parfaitement avec le profil que l’on attendait à ce poste. Flanqué de ses conseillers assis autour d’une longue table, Arnaud Montebourg – flamboyant homme de gauche farouchement protectionniste, à la vie sentimentale agitée – jurait de défendre son pays contre les étrangers qui menaçaient de le racheter.

Quelques mois plus tard, à l’issue d’une fête [de la rose à Frangy-en-Bresse, en Saône-et-Loire, le fief d’Arnaud Montebourg] un peu trop arrosée, il critiquait les mesures qu’il était lui-même censé mettre en place et se faisait éjecter du gouvernement. Contraint de remanier son équipe en août 2014, le président Hollande tirait alors son secrétaire général adjoint Emmanuel Macron d’un anonymat presque total pour lui confier l’économie moribonde de la France. Une nomination qui a fait pousser des cris d’orfraie à la gauche traditionnelle : le nouveau ministre avait été banquier d’affaires.   Enfoncé dans un canapé de cuir noir à côté d’un vase de roses rouges, souriant et détendu, Macron bat en brèche la conviction française bien ancrée qui voudrait qu’il faille un Etat providence pour protéger les ouvriers des méchants capitalistes. Quelques heures plus tôt [ce 18 janvier 2016], il a indigné les traditionalistes, et tout particulièrement le Front national [qui s’est ému qu’un ministre de la République ne respecte pas la langue française], en prononçant un discours à Sciences Po intégralement en anglais. De quoi être bouté hors du pays pour trahison, pourrait-on penser.

Au lieu de quoi il est devenu l’étoile montante d’un gouvernement Hollande par ailleurs bien terne ; il semble être aujourd’hui le seul dirigeant français à comprendre la colère généralisée contre l’establishment. La qualité première de Macron est de ne pas ressembler à cette élite discréditée : il est jeune, marié à une femme plus âgée, grand partisan de l’innovation numérique, et il se méfie des partis politiques – il n’a même pas repris sa carte du PS.

  En attendant d’être reçu, j’observe un étrange assortiment d’objets high-tech exposés devant son bureau – un pot de fleurs numérique et une brosse à dents connectée – lorsqu’une femme sort d’un bureau attenant au sien. Cintrée dans une élégante robe noire, lunettes rondes sur le nez, coiffure blonde impeccable, elle est la parfaite conseillère brillante, de celles qui foisonnent dans les cercles du pouvoir français. Son assurance me confirme dans mon impression première : ce doit être une puissante fonctionnaire de Bercy. “Je suis Mme Macron, dit-elle en me tendant la main avec un sourire charmant. Mon mari ne va pas tarder.  

 

Une épouse plutôt qu’un meuble

L’histoire de la politique française fourmille d’exemples de ministres qui ont placé leurs épouses et maîtresses à des postes financés par l’argent public, tout en portant plainte contre les médias qui se risquaient à parler de leurs affaires privées. Mais les milieux politiques commencent enfin à comprendre qu’à l’ère des réseaux sociaux, et depuis que les pratiques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn et la vie amoureuse turbulente de Hollande ont été étalées sur la place publique, le vieux principe selon lequel la vie intime a vocation à le rester ne tient plus. Macron en est tout à fait conscient.

Je ne cache pas ma vie privée parce que je trouve que ce serait ridicule et que, lorsqu’on s’engage en politique, on s’engage pleinement, dit-il. Je ne la cache pas parce que je pense que nos proches subissent suffisamment de pressions pour mériter une place [

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Adam Sage
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