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La « fusion froide » enflamme la physique

Vingt-sept ans après l'expérience de Pons et Fleischmann, un chercheur relance le débat sur la possibilité d'une réaction nucléaire à température ambiante.

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Par Paul Molga

Publié le 29 févr. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Andrea Rossi est-il parvenu à maîtriser l'expérience controversée de Stanley Pons et de Martin Fleischmann ? Le 23 mars 1989, ces deux scientifiques reconnus (le premier est alors directeur du département de chimie de l'université d'Utah, le second membre de l'Académie royale de Grande-Bretagne) avaient stupéfait la planète en prétendant avoir réalisé l'équivalent d'une réaction nucléaire dans un simple tube à essai... Les jours qui suivirent, des copies de l'article des deux hommes décrivant leur mode opératoire avaient circulé dans les laboratoires d'électrochimie du monde entier. Beaucoup confirmèrent les résultats : un excès de chaleur inattendu dans une électrolyse entre palladium et platine. Puis une expertise officielle fut réalisée par trois laboratoires à la réputation indiscutable, dont le MIT (Massachusetts Institute of Technology). Cinq semaines après son annonce, la découverte fut finalement enterrée : « L'expérience de Pons et Fleischmann n'est pas concluante », avaient tranché les chercheurs.

Vingt-sept ans après, Andrea Rossi s'apprête à affronter la même tempête. Dans les jours prochains, cet entrepreneur italien controversé, qui traîne un passé judiciaire trouble, délivrera le résultat des mesures effectuées pendant un an sur un générateur de sa conception produisant, selon le principe édicté par ses devanciers, pas moins de 1 mégawatt de chaleur.

L'homme a levé un coin du voile sur ses travaux dans un entretien accordé en octobre dernier au blog Experimental Math : « Ma théorie, explique-t-il, est qu'un proton issu d'un atome d'hydrogène s'insère, par effet de tunnel quantique, dans un noyau de béryllium 8, qui alors se désintègre en quelques secondes en deux particules alpha accompagnées d'une décharge énergétique notable . »

« Totalement absurde »

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Ce qu'il faut en comprendre, c'est que si ce processus fonctionne effectivement, cela signifie que la fusion de deux atomes, qui réclame des conditions extrêmes de température et de pression comme il s'en produit au coeur du Soleil, est réalisable par voie chimique à température ambiante. Autrement dit : la source d'énergie stellaire, inépuisable et bon marché, que cherche à reproduire le réacteur Iter dans un anneau magnétique maintenant en son sein un plasma de 150 millions de degrés, serait accessible à un appareil de 20 centimètres de côté posé dans un coin de son salon...

« C'est totalement absurde, réagit Maurice Mazière, l'ex-patron du CEA de Cadarache, fraîchement retraité. Depuis des décennies, des chercheurs en marge tentent de se bâtir une notoriété sur ce fantasme alchimique en prétendant remettre en cause une théorie puissante, explorée et mille fois validée par la physique nucléaire, sans jamais présenter de résultats transparents et reproductibles. L'appareil de Rossi est une supercherie de plus. »

Des investisseurs croient pourtant à la possibilité de cet « Iter like » low cost. Plusieurs start-up ont récemment levé des fonds avec cette promesse. Celle de l'Italien, Industrial Heat, créée en janvier 2014, aurait réuni plusieurs millions de dollars pour céder les droits de son réacteur, breveté sous le nom d'E-Cat, et réaliser un prototype capable de fournir à une maison eau chaude et chauffage pour un prix inférieur à 1.000 dollars et seulement 20 dollars par an de budget de fonctionnement... L'objet serait passé entre les mains d'un panel de scientifiques européens et leur compte rendu conclut que le système développe effectivement « une quantité d'énergie très supérieure à ce qu'on est en droit d'attendre d'une réaction chimique avec les éléments utilisés ». Mais le groupe réunissait des chimistes et physiciens connus pour leur a priori favorable sur le sujet.

Dans leur expérience, Pons et Fleischmann utilisaient une cathode en palladium et une anode en platine. Comme dans une batterie, ces électrodes étaient plongées dans un liquide composé d'eau lourde (de l'eau additionnée de deutérium, un isotope de l'hydrogène) et de lithine, une base corrosive. En faisant passer du courant électrique, les molécules d'eau se dissocient : l'hydrogène se fixe sur le barreau en palladium, l'oxygène sur celui en platine. Andrea Rossi utilise le même système, mais avec une poudre de nickel, et ce qu'il constate est la même chose que les chercheurs anglo-saxons : la chaleur produite par la réaction est plus importante que l'énergie électrique fournie. « Quasiment 12.000 watts de puissance thermique en injectant seulement 400 watts d'électricité », n'en revient toujours pas le physicien Jean-Paul Biberian, qui a assisté en 2011, à Bologne, à la seule démonstration du prototype. « Surtout, poursuit ce chercheur aujourd'hui retraité, l'analyse isotopique a montré que le nickel avait transmuté en nickel 62, l'élément le plus stable de la matière. »

« Doute raisonnable »

Comme il y a vingt-cinq ans, aucune revue scientifique n'a encore confirmé ces résultats. Ce qui n'empêche pas des chercheurs d'élaborer des théories pour tenter d'expliquer ce qui échappe à la science nucléaire. Peut-être un « écrantage électronique », théorisent certains, qui font l'hypothèse qu'une charge négative qui parviendrait à s'interposer entre deux éléments positifs dans un milieu suffisamment dense, comme le palladium, pourrait faciliter leur fusion. Ou alors des « atomes écrasés », comme l'imagine le chercheur Randell Mills, qui spécule sur l'existence d'un état de la matière dans lequel l'électron se rapprocherait suffisamment du noyau pour que l'atome perde sa charge et puisse donc traverser le nuage électronique d'un autre atome pour former un nouvel élément. Ou encore des « phonons de réseau ». Le professeur du MIT Peter Hagelstein, à l'origine de cette hypothèse, spécule sur le rôle vibratoire de millions d'atomes piégés dans des nanocraquelures du métal. Un déséquilibre, et ils finiraient par s'entrechoquer suffisamment fort pour créer l'énergie nécessaire à la fusion.

De quoi créer aussi un « doute raisonnable » pour entretenir le fantasme qui fait vivre la théorie : le pouvoir de transmuter des éléments sans intérêt du tableau périodique... en or.

La transmutation en six dates

1927 - Deux scientifiques autrichiens, Friedrich Paneth et Kurt Peters, font une expérience dans laquelle de l'hélium est produit à partir d'hydrogène mis en contact avec du palladium.

1957 - Le Soviétique Ivan Stepanovitch Filimonenko reproduit l'expérience des Autrichiens et dépose un brevet.

1965 - Le chercheur japonais Georges Ohsawa observe la formation inexplicable de métaux dans une expérience où il fait passer du courant électrique dans l'eau entre deux électrodes de carbone.

1989 - Le 23 mars, à Salt Lake City, Stanley Pons et Martin Fleischmann livrent les résultats d'une expérience d'électrolyse qui a dégagé un excès de chaleur inattendu. Ils affirment avoir réalisé une réaction nucléaire dans leur tube à essai. La presse baptise le phénomène « fusion froide ».

1989 - L'électrochimiste John Bockris démontre la production de tritium dans une expérience d'électrolyse d'eau lourde avec une cathode en palladium, apportant la preuve de l'origine nucléaire des excès de chaleur constatés par Pons et Fleischmann. Il est accusé par un journaliste d'avoir truqué ses expériences.

2011 - Le 28 octobre, Andrea Rossi et Sergio Focardi présentent le prototype d'E-Cat, un réacteur qui produit 12.000 watts de puissance thermique avec 400 watts de puissance électrique injectée.

Paul Molga

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