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Les étranges affaires du plus gros bailleur social de France

Dans un rapport confidentiel, la Cour des comptes juge que la SNI était prise dans un conflit d'intérêts lors de la vente, en 2009, de 30 000 habitations par la société Icade.

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Publié le 30 janvier 2014 à 12h20, modifié le 03 février 2014 à 10h37

Temps de Lecture 5 min.

SNI, e plus gros bailleur social de France, était accusé de « conflit d'intérêts » par la Cour des comptes.

Un vent mauvais souffle sur la Société nationale immobilière (SNI), le plus important bailleur de France. Taxée, il y a quelques jours, de népotisme pour avoir fait entrer dans son comité exécutif le fils du ministre de la défense, Thomas Le Drian, cette société d'économie mixte (SEM) est également pointée du doigt dans un « rapport particulier » de la Cour des comptes, resté confidentiel jusqu'à présent et dont Le Monde a pris connaissance.

Remis en 2013, ce document critique le rôle joué par la SNI dans une transaction probablement sans précédent : la vente en 2009 par Icade de son patrimoine locatif, soit un peu plus de 30 000 habitations. Dans cette affaire, considère la Cour, la SNI s'est retrouvée en situation de « conflit d'intérêts » et a lésé les organismes HLM qu'elle était censée épauler. La haute juridiction laisse aussi entendre que la Caisse des dépôts a une part de responsabilité dans ces dysfonctionnements.

L'opération a été baptisée « projet Twist » chez Icade. Fin 2008, cette société foncière, filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), décide de se délester de son parc résidentiel, dont une partie a le « label » HLM pour une durée déterminée. Un consortium de 26 bailleurs sociaux, emmené par la SNI – elle aussi filiale de la CDC –, se porte alors candidat pour racheter ces immeubles, situés en Ile-de-France.

Quelques mois plus tard, l'acte de cession est signé. Le groupement d'organismes piloté par la SNI acquiert, pour 1,7 milliard d'euros, environ 26 000 logements (les quelque 5 000 restants étant cédés à d'autres bailleurs ou conservés par Icade).

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JOLIS DIVIDENDES

A l'époque, la transaction mécontente plusieurs élus locaux, notamment parce qu'elle conduit le monde HLM à payer « une deuxième fois » des immeubles qui avaient été construits avec des « fonds publics ». Dans certaines communes, comme à Sceaux (Hauts-de-Seine), le prix réclamé est jugé « plus élevé que de raison », selon le maire (centriste) Philippe Laurent. Grâce à cette gigantesque partie de Monopoly, des dirigeants d'Icade, titulaires de stock-options, et les actionnaires de la société vont empocher de jolis dividendes, s'indigne Stéphane Peu, adjoint au maire (PCF) de Saint-Denis.

Quatre ans plus tard, certaines de ces critiques figurent dans le rapport de la Cour des comptes. Pour elle, le projet Twist s'est mis en place dans un entre-soi très discutable. Pourquoi ? Parce que la Caisse des dépôts avait un pouvoir d'influence sur le vendeur et sur l'acheteur. Actionnaire principale d'Icade, elle avait un intérêt « évidemment identique » à celui de sa filiale : vendre au prix le plus élevé possible de manière à augmenter les bénéfices donc les dividendes accordés aux détenteurs de parts d'Icade.

La SNI, elle, poursuivait l'objectif inverse, en principe, mais son action pouvait être infléchie par la Caisse des dépôts « dans un sens favorable », puisqu'elle détient la quasi-totalité du capital social de la SNI. Cette dernière était donc « de manière patente, en situation, sinon de conflit d'intérêts, du moins de conflit de mission ».

La Cour s'étonne également que le « conseil » de la SNI dans cette transaction ait, « de fait », été désigné par la Caisse des dépôts, alors même que celle-ci avait recours à lui. « Le conflit d'intérêts du côté du conseil était patent », estiment les auteurs du rapport, sans divulguer son nom.

« REFUS D'ACHETER »

En tant que patron du consortium, la SNI « aurait dû s'attacher » à défendre en priorité les intérêts de ses mandants, qui lui ont d'ailleurs versé des « honoraires » pour cela : 6,7 millions d'euros TTC, précise le rapport. Mais en réalité, elle a fait en sorte qu'Icade obtienne « un prix conforme à ses attentes ». Le niveau « plutôt soutenu » des prétentions du vendeur est, du reste, attesté « par le refus d'acheter de certaines communes » – celle de Sceaux, notamment.

Le contexte était pourtant très favorable aux candidats à l'achat. A l'époque, sous l'effet de la crise financière, les cours de l'immobilier s'étaient affaissés, ce « qui aurait dû renforcer la main du consortium face à Icade », pointe la Cour. Et d'ajouter : « La SNI aurait dû (…) insister pour l'adoption de prix de référence plus bas ». Une observation qui sous-entend qu'elle ne l'a pas fait, aux yeux des magistrats de la rue Cambon.

Le rapport reconnaît que ses conclusions ne sont pas partagées par France Domaine : chargé de vérifier si l'addition n'était pas trop salée, ce service de l'Etat a jugé qu'à quelques exceptions près, aucun acheteur n'avait payé « de prix excessif pour ses acquisitions prises globalement ». Cependant, pondère la Cour, ces avis « ont été rendus sur dossiers, évidemment fournis par Icade », ce qui relativise, selon elle, leur justesse.

Enfin, le groupe SNI a su mieux tirer son épingle du jeu que les autres organismes : sur les biens qu'il a acquis, il a bénéficié d'« une décote supérieure à celle consentie en moyenne au consortium ».

« NOUS N'AVONS PAS GAGNÉ D'ARGENT »

Affirmation infondée, rétorque Yves Chazelle, le directeur général du groupe. D'après lui, les patrimoines mis en vente ne sont pas comparables entre eux car il faut tenir compte de leur localisation, de leur état général, etc. De même, il est faux selon lui de soutenir que les 26 bailleurs affiliés au consortium ont réalisé une mauvaise affaire : « Le prix auquel les 26 000 logements ont été cédés était inférieur en moyenne de 15 % à l'actif net réévalué , une notion que les experts utilisent pour déterminer la valeur d'un bien, explique M. Chazelle. En revanche, les quelques bailleurs extérieurs au consortium qui ont acheté des habitations à Icade ont déboursé des montants supérieurs de 10 % à l'ANR. »

S'agissant des 6,7 millions d'euros payés par les organismes HLM à la SNI, une partie de la somme a servi à rétribuer les banquiers d'affaires et les avocats qui sont intervenus dans le dossier, indique M. Chazelle. Le solde a « couvert les frais engagés par le groupe ». « Nous n'avons pas gagné d'argent », assure le directeur général.

Quant au soupçon de conflit d'intérêts, il ne repose sur rien de tangible, déclare M. Chazelle : « La Caisse des dépôts est restée en dehors de la négociation avec Icade et nous n'avons pas agi sur ordre de notre actionnaire. La seule instruction que nous ayons reçue visait à plafonner le nombre de logements que nous pouvions acquérir à l'occasion de cette opération. »

Le directeur général conteste aussi l'idée selon laquelle le conseil que la SNI a pris dans les tractations avec Icade avait déjà été sollicité par la CDC.

Sollicitée par Le Monde, la direction de la Caisse des dépôts réfute, elle aussi, l'existence d'un conflit d'intérêts. Un porte-parole fait valoir qu'elle « n'a joué qu'un rôle de supervision d'ensemble » et qu'elle ne s'est jamais immiscée dans les pourparlers entre le vendeur et l'acquéreur : « Elle s'est abstenue lors des réunions du conseil d'administration d'Icade et du conseil de surveillance de la SNI. » En outre, poursuit-il, les bailleurs membres du consortium se sont déclarés « très satisfaits de l'opération ».

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