Pour la première fois depuis qu'il est entré à l’Élysée, François Hollande va devoir affronter un mouvement de rue qui peut le conduire à battre en retraite sans aucune possibilité de rebond ultérieur. Ce qui se joue à travers le projet de réforme du code du travail n'est rien moins que sa capacité d'achever son quinquennat autrement qu'en roue libre – au mieux – ou en guenilles – au pis. On pouvait s'interroger, il y a quelques semaines, sur les chances qu'il lui restait de pouvoir briguer un nouveau mandat en 2017. Il faut désormais se demander s'il est encore en mesure d'exercer jusqu'au bout le mandat pour lequel il a été élu en 2012.
Il y a une cohérence entre les insultes dont a été victime François Hollande au Salon de l'Agriculture, les accusations en trahison proférées contre lui par Martine Aubry et ses camarades et les slogans qui se concoctent avant les mobilisations syndicales et étudiantes du mois de mars. C'est la personne de François Hollande qui se trouve mise en cause avec des mots d'une violence inusitée qui en annoncent d'ailleurs d'autres, tout aussi assassins.
Le Président n'est plus respecté. Même le bouclier des institutions ne le protège plus. Une large partie de la gauche, au sein du PS, envisage désormais, sans trembler, le vote d'une motion de censure. Les mêmes nourrissent suffisamment de détestation à l'égard du Président pour vouloir l'entraîner, au besoin, dans la folie d'une primaire dont ils savent mieux quiconque qu'elle serait pour lui une manière d'humiliation. Or, cette révolte qui monte n'est pas le fait de minorités agissantes, coupées de l'opinion. Il suffit pour s'en convaincre de lire les sondages. On cherche d'ailleurs en vain les responsables socialistes qui sachent encore défendre François Hollande sans lui avoir, auparavant, déversé sur la tête des tombereaux de reproches.
Une droite ligueuse et une gauche conservatrice avec un même objectif
Le Président est face à un front du refus. Celui-ci est hétéroclite. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est aussi large. Il mélange des oppositions disparates. Il cristallise des refus qui portent à la fois sur le projet de révision constitutionnel et sur la philosophie générale du texte de Myriam El Khomri. C'est pour cela qu'il est potentiellement aussi puissant. Ce front se saisira demain, s'il le faut, de toutes nouvelles occasions pour exprimer sa colère. Il ne propose aucune alternative, à gauche. Peut-être parce qu'il n'en a ni l'envie, ni les moyens. Mais cette absence de projet ne l'affaiblit en rien. C'est le côté jacquerie de tout cela.
La droite façon ligueuse et la gauche conservatrice façon Force Ouvrière ne marchent pas côte à côte mais elles frappent ensemble sous le regard mi-blasé, mi réjoui, des Français. Les derniers amateurs de billard à six bandes peuvent bien pointer du doigt Manuel Valls, sa brutalité et son hétérodoxie au regard des prétendues valeurs de son camp, il ne fait aujourd'hui aucun doute que la seule cible est François Hollande et le seul objectif, l'interruption prématurée de son mandat effectif.
De toute part, on cherche le coup de grâce. Le Président est devenu tellement faible qu'il ne sert même plus de variable d'ajustement entre les différents candidats de la droite. Tous savent à présent qu'ils peuvent le battre d'une façon ou d'une autre. Être le meilleur contre François Hollande n'est plus un titre de gloire capable de favoriser la candidature de tel ou tel chez les Républicains.
Un président au centre d’un champ de mines
Quant à la gauche, consciemment ou non, elle aspire désormais à l'opposition. Ce qu'elle prépare aujourd'hui, dans la rue, est une répétition générale pour une posture qui sache lui éviter la moindre remise en cause. Elle veut qu'on cesse de la bousculer. Elle veut rêver en paix. Elle entend retrouver, à l'écart du pouvoir, ses anciens jeux, ses controverses de toujours, ses repères éternels. L'Histoire lui fait tellement peur qu'elle voudrait en sortir. Elle ne voit pas que ce retrait est une étape sur le chemin de la marginalisation. Cette gauche est bien à l'image de Martine Aubry, candidate à rien, hostile à tout et certaine, à ce double titre, d'avoir enfin la satisfaction de gagner sur chaque tableau dès lors que bonne conscience et impuissance se mettent à nouveau à rimer.
Cette situation inédite sous la Ve République signe le plus grand échec de François Hollande. Son seul véritable projet était de pouvoir emmener les Français sur la voie d'une modernisation raisonnable dans le cadre d'une démocratie apaisée. Sa hantise était que le mouvement nécessaire suscite, dans le pays, des crispations puis des ruptures auxquelles la gauche ne saurait pas répondre autrement que par la surenchère ou la division. Pour lire son comportement depuis 2012, il faut certes fouiller dans les recoins d'une psychologie assez particulière. Mais, en même temps, comment ne pas voir aussi que sa manière de présider sans jamais rien expliquer, d'avancer à petits pas en contournant les obstacles ou de refuser le plus longtemps possible des cristallisations pourtant inéluctables, étaient la manifestation concrète d'une profonde inquiétude?
François Hollande, depuis 2012, n'a cessé d'agir avec l'angoisse d'une de ces ruptures sèches qui font que tout à coup, l'opinion décroche, ne veut plus rien entendre et n'aspire plus qu'à se débarrasser – quoi qu'ils disent, quoi qu'ils fassent – de ceux qui la gouverne. Il a souvent confié, en privé, que ce court-circuit-là, François Mitterrand, en 1984, n'avait pas été loin de le connaître et que Jacques Chirac, en 2005, n'y avait pas échappé. Avec ce mélange d'optimisme et d'orgueil qui le caractérise, François Hollande voulait réformer en déminant. Le voilà aujourd'hui perdu dans un champ de mine dont il ne sortira pas intact, privé de toute capacité réformatrice. De ce point de vue, il a déjà tout perdu.