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En danger de mort parce qu'elle aime les femmes

En danger de mort parce qu'elle aime les femmes
Photo 24 heures, Marie Christine Trottier


Menacée de mort par sa famille et risquant la prison à cause de son orientation sexuelle, une lesbienne camerounaise cherche à se réfugier au Canada afin de pouvoir y vivre librement son homosexualité en toute sécurité.

Originaire d'un petit village au nord du Cameroun, dans un «milieu très traditionnel», Luna* a toujours su qu'elle préférait les femmes. «Moi, je suis lesbienne à 100%. Je n'ai aucune attirance pour les hommes. Je ne pourrais pas faire semblant, c'est impossible.»

Secrètement lesbienne

Établie depuis plusieurs années à Yaoundé, la capitale du Cameroun, elle y vit plus facilement son homosexualité que dans son village. Elle a eu quelques amoureuses, sans que sa famille ne soit au courant.

Puis, un jour, son père a voulu la marier à un homme du village. Refusant catégoriquement, Luna a enchaîné les prétextes et les excuses.

«Je ne voulais pas me marier. Lorsque mon père a su que j'aimais les femmes, c'était le drame. Il m'a dit qu'il préférait me savoir morte. Tant qu'il vivra, il va vouloir me tuer.»

Torturée par sa propre famille

Une nuit de mars 2015, son père et deux de ses cousins sont descendus à Yaoundé et l'ont retrouvée pour la torturer et la tuer.

Ses jambes ont été lacérées par des tessons de verre et tout le côté droit de son corps a été écorché lorsqu'elle s'est fait trainer derrière une moto dans la rue.

Ses cris ont alerté ses voisins, qui lui ont porté secours. Elle n'a pas pu porter plainte, craignant que son homosexualité soit dénoncée auprès des autorités.

Luna vit donc constamment dans la peur depuis près d'un an. Chaque jour, elle sursaute en croyant croiser son père dans la rue. «Au détour d'une rue ou d'un commerce, quand je vois une silhouette sur une moto... J'ai toujours l'impression de voir mon père. Il pourrait venir n'importe quand pour me tuer.»

Famille déshonorée

Au Cameroun, la diversité sexuelle est taboue et interdite par la loi. D'ailleurs, «toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe» est passible d’un emprisonnement de six mois à cinq ans.

Lorsqu'une famille apprend qu'un de ses membres est lesbienne, gay, bisexuel ou transgenre (LGBT) «ça jette le malheur et le déshonneur sur tout le monde», d'expliquer Luna. Reniée par sa famille, elle ne peut donc plus aller dans son village natal sans risquer de se faire tuer.

Marquée à vie

Encore aujourd'hui, elle subit des séquelles de son agression. Les vilaines cicatrices sur ses jambes la font encore souffrir et elle est restée traumatisée.

«Presque toutes les nuits, j'entends des bruits et je me réveille en sursaut. Mon père pourrait venir n'importe quand pour me tuer.»

Espoir au Canada?

En couple avec une Québécoise d'origine française depuis quelques mois, elle espère pouvoir se réfugier au Canada afin d'y vivre en toute quiétude.

«J'aimerais obtenir l'asile du Canada parce que je sais que les droits des personnes LGBT sont protégés.»

Ses démarches pourraient être accélérées si elle était parrainée par un Canadien ou un organisme privé. Son amoureuse n'est toutefois pas en mesure de la parrainer, puisque cette démarche représente un trop gros engagement financier, qu'elle ne pourrait assumer.

«Si je pouvais vivre quelque part pour vivre mon homosexualité, je serais enfin heureuse. Ça ne pourra pas arriver au Cameroun.»

*Son nom a été changé pour des raisons de sécurité

En danger de mort parce qu'elle aime les femmes
Luna* (nom fictif) tente à tout prix de se réfugier au Canada pour fuir sa famille, qui menace de la tuer à cause de son homosexualité. Photo 24 heures, Marie Christine Trottier

Homosexualité 2.0 au Cameroun

Dans un pays où l'homosexualité est passible de cinq ans de prison, des membres de la communautélesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT) camerounaise se tournent vers les réseaux sociaux pour faciliter leurs rencontres.

La démocratisation des téléphones intelligents et la multiplication des points de réseau sans fil permet aux membres de la communauté LGBT camerounaise de se sortir de l'isolement à travers des réseaux secrets. Les nouvelles y circulent plus facilement, des militants s'organisent et, bien sûr, des histoires d'amour y naissent.

«Maintenant, c'est beaucoup plus facile! On se rencontre surtout grâce à des groupes secrets sur WhatsApp», explique Luna*, une lesbienne vivant à Yaoundé.

Discrétion nécessaire

WhatsApp offre une alternative plus discrète aux messages textes. Pour s'inscrite sur cette plateforme, nul besoin de créer un profil élaboré : on ne doit qu'inscrire un numéro de téléphone. De plus, cette application n'enregistre pas les messages de ses utilisateurs, contrairement à Facebook ou aux simples messages texte.

Ce besoin de rester incognito est primordial. Un rapport de Human Rights Watch de 2013 indique que des Camerounais ont déjà été condamnés pour homosexualité avec comme seule preuve des messages texte et des courriels prélevés dans leurs téléphones cellulaires.

Les membres de la communauté LGBT camerounaise doivent donc user d'imagination pour pouvoir communiquer et effacer rapidement toute trace compromettante.

Surnoms

Chaque groupe secret, sur WhatsApp, rassemble des utilisateurs qui empruntent un pseudonyme. Leur admission se fait de bouche-à-oreilles et les administrateurs des groupes filtrent chaque demande afin de ne pas mettre ses membres en danger.

«Tout le monde a des petit noms. Toutes les filles que j'ai rencontré grâce à WhatsApp, je n'ai jamais su comment elles s'appelaient réellement», explique Luna.

Elle raconte qu'une fois, un policier s'est fait passer pour une femme et a infiltré un des groupes de Luna. Il a été rapidement démasqué, mais pour la sécurité de tout le monde, le groupe a été effacé.

Drague en subtilité

Avant WhatsApp et les réseaux sociaux, les membres de la communauté LGBT devaient faire preuve d'imagination et de prudence pour se rencontrer.

«Souvent, quand je voyais une fille qui me plaisait dans les bars, j'allais la voir. Ici, ce n'est pas mal vu de danser avec une personne du même sexe. Je tentais de me rapprocher, et si je sentais une réponse positive, je pouvais lui dire qu'elle m'intéressait», raconte Luna.

*Son nom a été changé pour des raisons de sécurité

Coupables d'homosexualité

Arrestations de masse, aveux sous torture, profilage sexuel, «tests d'homosexualité» et emprisonnements : depuis une dizaine d'années, on assiste à une recrudescence de l'application de la loi interdisant l'homosexualité au Cameroun.

Des 77 pays où l'homosexualité est illégale, le Cameroun serait «le pays qui compte le plus de personnes condamnées et emprisonnées pour "relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe"» selon un rapport d'Amnistie internationale de 2014.

Ainsi, conformément à l'article 347 du code pénal camerounais, ces personnes déclarées coupables passent de six mois à un an en prison.

Violations de droits humains

Un rapport de Human Rights Watch datant de 2013 recense de nombreux cas de torture et de mauvais traitements, dont «des examens anaux, des violations de la vie privée et de l'homophobie flagrante de la part de juges et de responsables de l'application des lois.»

«Dans la plupart des cas, les accusés sont déclarés coupables, souvent sur la base de preuves très minces, voire non existantes», d'indiquer ce même rapport.

Pas de flagrant délit

Or, selon Paul Guy Hyomeni, le coordonnateur national du Réseau Camerounais des Organisations des Droits de l'Homme, toutes les personnes qui ont été déclarées coupables d'homosexualité n'ont jamais été prises en flagrant délit.

«C'est absurde, parce que la loi interdit les relations homosexuelles. Toutefois, ce qu'on fait dans le privé, c'est personnel et personne n'a jamais été surpris. Les personnes arrêtées ont toutes été dénoncées ou elles ont attiré l'attention des autorités, qui ont présumé de leur homosexualité.»

Rejet de l'occident

M. Hyomeni ajoute que de nombreux camerounais croient que l'homosexualité et la revendication des droits des LGBT sont une nouvelle forme de colonisation occidentale.

C'est ce qui expliquerait que depuis 2005, on assiste à une recrudescence de l'homophobie au sein de la société camerounaise, qui réagit aux revendications des communautés LGBT d'un peu partout dans le monde.

«Il y a des policiers qui sont contre les homosexuels et qui arrêtent les gens en fonction de leur humeur», affirme-t-il.

Raffles

Les bars fréquentés par la communauté LGBT sont systématiquement fermés par les autorités camerounaises. D'importantes descentes policières ont eu lieu dans certains bars de Yaoundé et Douala, les deux plus importantes villes.

«Un soir, j'ai été arrêtée dans une raffle. Heureusement, à l'époque, j'avais une copine policière et elle a pu me libérer discrètement avant que je ne me fasse interroger», raconte Luna*, une lesbiennevivant à Yaoundé.

*Son nom a été changé pour des raisons de sécurité

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